◁ Retour au concert du mar. 15 oct. 2024
Programme détaillé
ANDREA CHénier
Opéra en quatre tableaux.
Version de concert.
Livret : Luigi Illica, d’après la vie du poète André Chénier (1762-1794).
Composition : 1895-1896.
Création : Milan, Teatro alla Scala, 28 mars 1896, avec Giuseppe Borgatti (Andrea Chénier), Evelina Carrera (Madeleine de Coigny) et Mario Sammarco (Carlo Gérard), sous la direction de Rodolfo Ferrari.
Distribution
Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chœurs de l’Opéra de Lyon (chef des chœurs : Benedict Kearns)
Daniele Rustioni direction
Hugo Peraldo assisant à la direction musicale
Riccardo Massi ténor (Andrea Chénier)
Anna Pirozzi soprano (Madeleine de Coigny)
Amartuvshin Enkhbat baryton (Carlo Gérard)
Thandiswa Mpongwana* mezzo-soprano (Bersi)
Sophie Pondjiclis mezzo-soprano (la Comtesse de Coigny / Madelon)
Robert Lewis* ténor (l’Abbé)
Pete Thanapat* baryton (Roucher)
Alexander de Jong** basse (Jean-Baptiste Mathieu et Pierre Fléville)
Filipp Varik** ténor (un Incroyable)
Kwang-Soun Kim basse*** (Fouquier-Tinville)
Hugo Santos** basse (Dumas / Schmidt)
Antoine Saint-Espes*** basse (le Majordome)
* Membres du Lyon Opéra Studio, promotion 2022/2024
** Membres du Lyon Opéra Studio, promotion 2024/2026
*** Artistes des Chœurs de l’Opéra de Lyon
Nouvelle production.
Coproduction Opéra de Lyon et Théâtre des Champs-Élysées.
Coréalisation Auditorium-Orchestre national de Lyon.
Durée : 2h + entracte (20 minutes).
Argument
L’action se déroule à Paris, en 1789.
La demeure de la Comtesse de Coigny, aux environs de Paris, durant l’hiver 1789.
Dans la grande véranda du jardin d’hiver, on prépare une brillante réception. Une foule de valets et de laquais s’affaire. Le serviteur Charles Gérard (Carlo Gérard) transporte un canapé bleu. Depuis le jour où on l’a surpris en train de lire Rousseau et les Encyclopédistes, on ne le laisse plus en paix et il s’en plaint ironiquement au canapé («Compiacente a’ colloqui del cicisbeo»). Du jardin s’avance son vieux père, courbé sous le poids d’un meuble ; ce spectacle indigne Gérard («Son sessant’anni, o vecchio, che tu servi !»). Les idées révolutionnaires de Gérard ne l’empêchent pas d’aimer Madeleine de Coigny (Maddalena di Coigny), la fille de la Comtesse. Madeleine entre justement, accompagnée de sa mère et de sa fidèle servante, la mulâtre Bersi. La Comtesse s’inquiète de l’avancée des préparatifs et la fille contemple le coucher de soleil, sous le regard admiratif de Gérard («Il giorno già s’insera lentamente !»).
Les invités arrivent. Parmi eux se trouve le poète André Chénier (Andrea Chénier). L’Abbé apporte de Paris de mauvaises nouvelles : le roi est faible, mal conseillé par Necker, il y a un Tiers-État et la statue d’Henri IV a été offensée. L’angoisse monte, mais Pierre Fléville la dissipe rapidement («Passiamo la sera allegramente»). Il invite l’assemblée à admirer la pastorale qu’il a écrite. Bergers et pastourelles déclament en soupirant les vers arcadiens de sa composition, déchaînant les moqueries. Madeleine demande alors à Chénier d’improviser des vers. Tout d’abord réticent, le poète s’abandonne à une grande tirade où il exprime successivement son amour de la patrie, sa révolte devant la misère et son admiration pour Madeleine, dont il a perçu l’humanité («Un dì all’azzurro spazio»). Son air a transporté Gérard, qui fait irruption au milieu d’une gavotte à la tête d’un groupe de mendiants. Après un moment de malaise, la Comtesse ordonne que la danse reprenne.
Paris, un jour de juin 1794. Au premier plan, un autel dédié à Marat, le café Hottot et la terrasse des Feuillants ; au fond, l’ex-Cours-la-Reine et le pont Péronnet, qui traverse la Seine et mène au palais des Cinq-Cents.
Toute une foule se trouve là, parmi laquelle des sans-culottes, des Incroyables, des Merveilleuses, et Bersi, la servante des Coigny. Chénier est assis, seul, à une table du café Hottot. Le sans-culotte Mathieu et son ami Horace Coclès parlent de révolution. Bersi remarque qu’un Incroyable semble la surveiller ; elle l’interroge sur les espions de Robespierre et feint d’être convertie à la cause révolutionnaire («Temer, perché ?») ; mais sa profession de foi ne convainc pas l’homme, qui décide de continuer à l’espionner. Le véritable but de l’Incroyable est de remettre à la justice le contre-révolutionnaire Chénier. Roucher, arrivé au café, tente vainement de convaincre son ami de fuir pour sauver sa tête. Mais Chénier veut rester : il croit à son destin, et notamment à l’amour qui lui est promis. Une femme mystérieuse lui a en effet envoyé de brûlantes lettres signées Espérance, et il veut la retrouver («Credo a una possanza arcana»). Roucher examine les missives et, relevant l’écriture calligraphiée, le papier raffiné et parfumé de rose, il pense que l’expéditrice est une Merveilleuse qui tente de le piéger. Chénier espérait que sa correspondante anonyme fût Madeleine, dont il est épris. Déçu, il accepte de partir. La foule acclame Gérard et le passage des Représentants : Robespierre, Collot d’Herbois, Barère, Saint-Just, Couthon, David, Tallien, Fréron, Barras, Fouché, Thuriot, Carnot… Pendant ce temps, Gérard, toujours amoureux lui aussi de Madeleine, demande à l’Incroyable de la lui retrouver. Bersi, de son côté, prévient Chénier que l’inconnue doit venir le retrouver près de l’autel. Malheureusement, l’Incroyable a surpris cette conversation. Chénier se prépare au rendez-vous et, par prudence, choisit de s’armer.
La nuit tombe, des patrouilles commencent leur ronde et l’espion se dissimule derrière un arbre. Chénier rencontre son Espérance, qui se révèle être Madeleine vêtue en humble couturière. Madeleine implore l’aide de Chénier, et tous deux se déclarent la flamme qui ne les a pas quittés depuis leur première rencontre («Eravate possente»). Ils se jurent fidélité jusqu’à la mort. L’espion, qui n’a rien perdu de la conversation, court avertir Gérard, lequel se hâte d’arriver et tente d’arracher Madeleine à Chénier. Le fidèle Roucher emmène rapidement la jeune fille. Les deux rivaux croisent le fer, et Gérard est blessé. Avec noblesse, il prévient Chénier que Fouquier-Tinville a inscrit son nom sur la liste noire et l’enjoint de fuir et de protéger Madeleine. Aux gardes nationaux accourus, il tait le nom de son agresseur et laisse croire à un complot girondin. Il sombre dans l’inconscience, tandis que la foule appelle à la mort des Girondins.
Première section du Tribunal révolutionnaire. Un drapeau tricolore annonce : «La patrie est en danger.» Sur la table, une grande urne attend les dons des citoyens.
Mathieu exhorte le peuple à donner des offrandes pour la Révolution, mais n’obtient guère de succès («Dumouriez tradittore e giacobino»). Gérard, qui souffre encore de ses blessures, se montre plus persuasif («Lacrime e sangue dà la Francia»). Des citoyennes viennent offrir leurs objets de valeur. La vieille Madelon amène son petit-fils de 15 ans, son seul soutien, pour le faire engager dans l’armée révolutionnaire ; elle lui fait des adieux déchirants («Son la vecchia Madelon»). Dans la rue, le peuple chante la Carmagnole. L’Incroyable annonce à Gérard que Chénier a été arrêté, et que Madeleine ne tardera sans doute pas à le rejoindre («Donnina innamorata»). Tout d’abord hésitant, Gérard signe l’acte d’accusation affirmant que Chénier a trahi la Révolution ; mais il ne le fait pas sans remords. Il s’interroge sur cet idéal qui le transforme en assassin ; s’il a changé de maîtres, il est toujours esclave («Nemico della patria ?»).
Entre Madeleine, qui a appris l’arrestation de Chénier. Gérard lui confesse son amour («Io l’ho voluto allora che tu piccina») et, ivre de jalousie, tente de la posséder. Madeleine veut s’échapper, puis accepte de se donner à Gérard si cela peut sauver Chénier. Ému, Gérard éclate en sanglots. Madeleine apprend à son ancien valet que sa mère a été tuée, que le château a brûlé, et qu’elle doit la vie à la fidèle Bersi. Elle raconte comment, dans un élan d’extase, elle a alors eu la vision d’un ange, incarnation de l’amour, qui la menait à la mort («La mamma morta»). À cet instant, le Greffier du tribunal apporte à Gérard la liste des accusés ; elle porte le nom de Chénier. Saisi de remords, Gérard offre sa vie pour qu’on sauve le poète de la Révolution sanguinaire. Mais il est trop tard. On fait entrer les prévenus. Accusé d’avoir combattu avec Dumouriez et corrompu les mœurs de sa plume, Chénier se défend avec arrogance («Sì, fui soldato»). Gérard avoue avoir porté une fausse accusation, mais Fouquier-Tinville la reprend à son propre compte. Le poète est condamné à mort tandis que la foule avide de sang exulte. On emmène Chénier ; Madeleine s’effondre, désespérée.
La cour de la prison Saint-Lazare, tard dans la nuit.
Chénier écrit son dernier poème, adieu à la vie et vibrant hommage à la poésie, «ultime déesse». Il le lit à Roucher, venu lui faire ses adieux («Come un bel dì di maggio»). Au dehors, Mathieu entonne la Marseillaise. Gérard arrive avec Madeleine. Il est au désespoir d’avoir échoué à sauver Chénier. Décidée à suivre son amant dans la mort, Madeleine soudoie le geôlier Schmidt et obtient de prendre la place d’une autre femme, Idia Legray, qui doit être exécutée le lendemain. Dans un dernier espoir, Gérard court demander leur grâce auprès de Robespierre. Madeleine et Chénier se préparent à la mort avec sérénité. Ils montent ensemble dans la charrette qui les mène à l’échafaud, au comble de l’extase d’être enfin réunis. Tandis qu’ils s’éloignent, Gérard revient. Étreint par la douleur, il tient à la main le billet que lui a fait remettre Robespierre, au lieu de le recevoir : «Même Platon bannit les poètes de sa République.»
Introduction
Quatrième opéra d’Umberto Giordano, Andrea Chénier est aussi le plus connu. Aucun de ses autres opéras ne rencontrera le même succès, pas même Fedora, créé en 1898 au Teatro Lirico de Milan avec un tout jeune Enrico Caruso. Inspiré par la vie du poète révolutionnaire André Chénier, l’ouvrage doit sa popularité à son magnifique rôle-titre, dont les airs admirablement écrits pour la voix ont fait un cheval de bataille de nombreux ténors. Le baryton et la soprano ne sont pas en reste : les personnages de Gérard et Madeleine ont eux aussi de nombreux atouts de séduction, et ils ont fait le bonheur des plus grands chanteurs. Pourtant, la genèse de l’œuvre ne fut pas de tout repos ; la première représentation, le 28 mars 1896 à la Scala de Milan, ne put avoir lieu qu’après la levée de nombreux obstacles – notamment le remplacement in extremis du ténor pressenti pour le rôle-titre, qui venait de déclarer forfait. Ce fut néanmoins un triomphe. En une seule soirée, Giordano se hissa parmi les jeunes compositeurs italiens les plus en vue, aux côtés de Leoncavallo, Mascagni et Puccini. Le même enthousiasme accueillit l’ouvrage lors de ses débuts américains, le 15 novembre 1896 à New York. Rapidement, Chénier fut monté sur les principales scènes européennes et américaines, et sa notoriété n’a jamais connu d’éclipse.
– Claire Delamarche
Du Chénier historique au protagoniste de l’opéra
Le véritable André Chénier (de son vrai nom André Marie de Chénier) est né à Constantinople le 30 octobre 1762, d’une mère grecque et d’un diplomate français. Il avait 3 ans lorsque sa famille rentra en France, et il passa l’essentiel de son enfance à Carcassonne, s’enthousiasmant pour la poésie grecque classique. Après des études au collège de Navarre, à Paris, il fit en 1783 un bref passage dans un régiment de Strasbourg, se rendant vite compte que la chose militaire n’était pas pour lui ; l’épisode inspira tout de même au librettiste, Luigi Illica, son air «Sì, fui soldato» [«Oui, je fus militaire»].
Par la suite, Chénier rejoignit sa famille à Paris, fréquentant les salons et se liant avec Lavoisier, Lesueur, Dorat, Lebrun-Pindare, Parmy, et un peu plus tard avec le peintre David. Issu d’une famille aristocratique, il était également invité dans des châteaux tels que celui décrit dans le premier tableau de l’opéra.
Chénier passa deux ans à Londres, de 1788 à 1790, comme secrétaire de l’ambassadeur de France. À son retour à Paris, il fut saisi par le chaos qui y régnait. Il commença à critiquer violemment les excès de Robespierre, Jacques-Pierre Brissot, Jean-Paul Marat et autres, tant en collaborant au Journal de Paris, organe des modérés, qu’en tenant des séances au café des Feuillants (lieu du deuxième tableau de l’opéra). Un de ses poèmes les plus subversifs, l’Ode à Charlotte Corday, naquit au plus fort de la Terreur : il s’y réjouit que, grâce à l’assassinat de Marat, «un scélérat de moins rampe dans cette fange».
Obligé de se cacher à plusieurs reprises, Chénier finit par être arrêté à Passy par des membres du Comité de sûreté générale. Durant les 140 jours que dura son emprisonnement, il écrivit quelques-uns de ses poèmes les plus poignants (dans l’opéra, son séjour à Saint-Lazare ne dure que quelques jours, ce qui en accroît la force dramatique). De même que, chez Illica, Gérard saisi de remords en appelle à Robespierre pour le faire libérer, la famille du véritable Chénier demanda sa grâce – en vain – au chef de la Révolution. Le poète fut exécuté le 25 juillet 1794 à l’âge de 31 ans, en compagnie de son ami fidèle l’écrivain Jean-Antoine Roucher. Selon la légende, celui-ci tomba sans connaissance à la vue de la guillotine ; Chénier lui aurait alors dit : «Courage, mon ami, d’autres rivages !» Chénier mourut trois jours trop tôt : le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre était arrêté, et il tombait dès le lendemain sous la lame du bourreau Sanson.
L’authentique Chénier connaissait la famille de Coigny et c’est pour leur fille, Aimée, rencontrée en prison, qu’il écrivit la veille de son exécution l’une de ses odes les plus admirées, La Jeune Captive. Au contraire de Chénier, guillotiné à la veille de la chute de Robespierre, Aimée échappa à sa sentence et vécut jusqu’en 1820.
Pour les besoins du drame, Illica transforma Aimée en Maddalena et inventa une liaison amoureuse entre la jeune fille et le héros. Ainsi crée-t-il – corsant l’affaire en inventant à Chénier un rival, Gérard – l’éternel triangle amoureux à la base de tant d’opéras romantiques. Comme tant de couples romantiques, séparés par des forces qui les dépassent, Andrea et Maddalena ne pouvaient réaliser leur amour dans leur vie : leur mort était inévitable, seule à même de les réunir. C’est leur amour, via la jalousie de Gérard, qui est le principal responsable de leur exécution.
Toutes sortes de personnages historiques se croisent dans l’opéra, de l’odieux Fouquier-Tinville à Robespierre lui-même ; mais les situations dans lesquelles on les voit, pour être souvent plausibles, n’ont rien de véridique.
Illica forgea son livret à partir de nombreuses sources, notamment des commentaires d’Henri de Latouche (premier éditeur des poèmes de Chénier en 1819), la Galerie du XVIIIe siècle d’Arsène Houssaye, le drame de Jules Barbier André Chénier (1849), le roman de Joseph Méry André Chénier (1856) et l’Histoire de la société française pendant la Révolution des frères Goncourt (1854). Le livret regorge de détails contemporains, concernant notamment le mode de vie de l’aristocratie française, qu’il n’hésite pas à brocarder au passage. Illica s’inspire en outre d’authentiques poèmes de Chénier. L’Hymne à la justice est à la source de l’Improvviso [Improvisation], à l’acte I, mais aussi de récriminations de Gérard contre l’aristocratie. Quant à la dernière poésie composée par Chénier dans l’opéra, «Come un bel dì di maggio» [«Comme un beau jour de mai»], elle paraphrase l’un des ultimes poèmes du personnage historique, écrit véritablement dans la prison Saint-Lazare : Comme un dernier rayon, où Chénier dénonce les débordements sanguinaires de la Terreur.
– C. D.
La partition
Andrea Chénier est largement redevable au courant du «vérisme» musical, pendant italien du «réalisme» français. Le réalisme s’était développé après la révolution de 1848, au travers des peintures de Corot, Courbet ou Millet et des romans de Zola, qui illustraient des gens ordinaires dans leurs occupations quotidiennes ; il avait ensuite trouvé sa voie à l’opéra avec notamment Louise de Charpentier (achevé en 1896, créé en 1900). En Italie, ce courant trouva un équivalent dans le vérisme littéraire, dont le principal représentant est l’écrivain sicilien Giovanni Verga. Ses ouvrages mettent en scène des personnages du monde rural dont les crises personnelles se résolvent dans la violence et les passions exacerbées.
Illica et Giordano pouvaient difficilement échapper à cette vague déferlante, qui avait atteint Pietro Mascagni, Ruggero Leoncavallo et même Giacomo Puccini. Cela valut à Andrea Chénier des attaques sur son emphase dramatique et ses effets jugés faciles. Mais le succès de Chénier tient à ce qu’il étoffe les ressorts habituels du vérisme – le conflit amoureux, sur fond de jalousie déchaînée – par les grands thèmes chers au mélodrame romantique italien : amitié, amour filial, patriotisme. Le livret d’Illica offre au musicien toutes sortes d’angles d’attaque : historique, dramatique, sentimental, psychologique. Il invite à une musique colorée, oscillant avec souplesse de l’intime au grandiose, de la rhétorique au lyrisme, du chant velouté au cri terrible.
Giordano pare le livret d’une musique très efficace. L’orchestre se concentre sur l’illustration de l’action plus que sur le prolongement psychologique des événements. Il est aussi varié que le langage harmonique et plus généralement l’ensemble du style musical, soumis à des changements d’atmosphère rapides qui reflètent les revirements dramatiques et émotionnels du livret.
On retient tout particulièrement les quatre grands airs (l’Improvviso de Chénier, «Nemico della patria» de Gérard, «La mamma morta» de Maddalena et «Come un bel dì di maggio» de Chénier), construits sur un modèle presque immuable. Ils débutent dans un style déclamatoire, sur une mélodie assez monocorde, accompagnée de légers accords ou trémolos de cordes, qui souligne le texte et ses implications dramatiques ; dans les airs de Chénier, ce procédé renforce l’impression de poésie déclamée. Puis, l’émotion s’intensifie soudain, la mélodie prend son envol, se déployant sur toute l’étendue de la tessiture en vastes courbes tandis que l’orchestre prend corps ; mais même alors, le texte reste toujours parfaitement intelligible et les fioritures sont rares.
À l’instar du livret, la partition fourmille de détails de «couleur locale» – notamment d’airs révolutionnaires : on entend Ça ira, La Carmagnole et La Marseillaise. La structure générale de chaque tableau est souple, et les retours thématiques sont rares (seule la fin de l’air de Maddalena «La mamma morta» revient à la fin du quatrième tableau). Andrea Chénier apparaît comme un kaléidoscope d’atmosphères contrastées, qui reflète le caractère inopiné des événements de la vraie vie. Toutefois, les auteurs réussissent parfaitement à conduire chaque tableau vers un sommet d’intensité. La fin de l’opéra n’est pas le moindre : à l’instar de l’Isolde de Richard Wagner, les deux amants avancent comme hypnotisés vers leur mort dans un «Liebestod» (Mort d’amour) à l’italienne portés par un orchestre incandescent.
– C. D.