Notes de programme

BEETHOVEN, CONCERTO N° 2

Jeu. 13 et sam. 15 janv. 2022

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Programme détaillé

César Franck (1822-1890)
Le Chasseur maudit

[14 min]

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 2, en si bémol majeur, op. 19

Concerto pour piano et orchestre n° 2, en si bémol majeur, op. 19
I. Allegro con brio
II. Adagio
III. Rondo : Molto allegro

[28 min]

-- Entracte --

Edward Elgar (1857-1934)
Variations Enigma, op. 36

Thème (Andante)
Variation I : L’istesso tempo, «C. A. E.»
Variation II : Allegro, «H. D. S.-P.»
Variation III : Allegretto, «R. B. T.»
Variation IV : Allegro di molto, «W. M. B.»
Variation V : Moderato, «R. P. A.»
Variation VI : Andantino, «Ysobel»
Variation VII : Presto, «Troyte»
Variation VIII : Allegretto, «W. N.»
Variation IX : Adagio, «Nimrod»
Variation X : Intermezzo (Allegretto), «Dorabella»
Variation XI : Intermezzo (Allegro di molto), «G. R. S.»
Variation XII : Andante, «B. G. N.»
Variation XIII : Romanza (Moderato), «***»
Variation XIV : Finale (Allegro presto), «E. D. U.»

[31 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Rudolf Buchbinder piano

Franck, Le Chasseur maudit

Composition : 1882.
Sujet : inspiré de la ballade Der wilde Jäger [Le Chasseur sauvage], du poète allemand Gottfried August Bürger (1747-1794). 
Création : Paris, Société nationale de musique, salle Érard, 31 mars 1883, sous la direction d’Édouard Colonne.

Si Franz Liszt est considéré comme le père du «poème symphonique», avec Ce qu’on entend sur la montagne d’après Victor Hugo en 1848-1849, César Franck s’est essayé avant lui à la musique symphonique à programme, prenant Hector Berlioz pour modèle. Le Belge a même devancé de quelques mois le Hongrois – auquel le liait une admiration réciproque –, illustrant le même poème dès 1847. Ce qu’on entend sur la montagne est l’une des étapes menant au chef-d’œuvre orchestral de Franck, la grandiose Symphonie en ré mineur de 1888. Sur ce parcours, il y aura ensuite Les Éolides (1877), Psyché (1887) – symphonie avec chœur rebaptisée poème symphonique – et bien sûr Le Chasseur maudit.

De ce poème symphonique créé en 1883, Franck se montre très satisfait. Il écrit à son élève Gabriel Pierné : «Il faut que je vous donne des nouvelles de mon Chasseur maudit : vous savez peut-être déjà qu’il a fait son entrée dans le monde d’une façon très brillante. Le public a paru très remué par cette œuvre. L’exécution en a été très bonne et n’a pas coûté trop de peine. Mon orchestre sonne superbement, je n’y ai pas changé une seule note.» Le plaisir de cette réussite est d’autant plus vif que Franck, organiste de Sainte-Clotilde à Paris et professeur d’orgue estimé au Conservatoire de cette même ville, tarde à être reconnu pour ses œuvres de compositeur. Il puise l’inspiration de l’œuvre dans une ballade de Gottfried August Bürger, poète allemand qui a déjà offert à Duparc la matière de sa Lénore. Faut-il s’étonner de cette inspiration germanique ? Certes, les cicatrices de la capitulation de Napoléon III à Sedan et du siège de Paris ne se sont pas refermées. Mais on n’a pas totalement oublié la création de Tannhäuser dans la capitale française, en 1861, et il revient à Wagner d’avoir défendu «l’union intime des deux arts», musique et poésie, afin d’exprimer «avec la clarté la plus satisfaisante ce que ne pouvait exprimer chacun d’eux pris isolément». Nombre de musiciens font donc le voyage à Bayreuth, le fief de Wagner, pour écouter ses ouvrages lyriques ; et les modèles demeurent allemands pour l’opéra comme pour la symphonie, quand bien même ils sont joués dans le cadre de la Société nationale de musique, qui affiche pour devise : Ars Gallica.

C’est dans ce «berceau et […] sanctuaire de l’Art français», pour reprendre les termes de Romain Rolland, que Franck fera résonner son Chasseur maudit. Il en résume l’argument en tête de la partition, en français évidemment : négligeant l’office dominical, un comte part à la chasse et se voit soudainement pourchassé par des démons. La chevauchée «se poursuit comme un tourbillon» dans un grand concert de cloches et de chants religieux, au son du cor et d’une voix lugubre et implacable.

«Le vacarme assourdissant devenait progressivement un murmure…»

Si le récit rappelle le «Songe d’une nuit de Sabbat» de la Symphonie fantastique de Berlioz, la pièce prend la forme d’une symphonie miniature avec ses quatre parties enchaînées : Andantino quasi allegretto – Allegro – Lento – Presto. L’orchestre est ample, fait de cuivres puissants et de percussions, comparables à un grand orgue qui ferait chanter toutes ses mixtures et ses anches. Vincent d’Indy raconte comment Franck, de la console de Sainte-Clotilde, parvenait à tirer d’infinies nuances de son instrument : «Tôt ou tard, selon le déroulement des choses, le vacarme assourdissant devenait progressivement un murmure, puis un quasi silence, et enfin rien du tout… Le maître avait trouvé ce qu’il cherchait

Menant le chasseur à son tragique destin, la musique ne murmure que pour exploser ensuite, ne se retient que pour mieux se lâcher dès la bride détendue, en des crescendo et accelerando irrésistibles, dans un vacarme dont les couches se superposent comme la polyphonie des tuyaux. Des motifs plutôt que des thèmes, de longues plages d’effets : cloches et cors rivalisent jusqu’à ce que commence la course fantastique et sans issue. Inquiétant, le chromatisme participe aux contrastes de lumière et au clair-obscur, la tonalité de sol majeur laisse place à un sol mineur plus menaçant, les bois exhortent le comte à retrouver raison, et le tuba paraît d’un autre monde : «Les flammes jaillissent de toutes parts… le comte, affolé de terreur, s’enfuit toujours, toujours plus vite, poursuivi par une meute de démons… pendant le jour à travers les abîmes, à minuit, à travers les airs…»

– François-Gildas Tual

Beethoven, Concerto pour piano n° 2

Composition : 1790-1793, révision en 1794-1795 (nouveau finale), nouvelle révision en 1798.
Premières exécutions : dates incertaines, peut-être le 29 mars 1795, à Vienne, au Burgtheater, et en 1798, à Prague.
Premières éditions : 1801, à Vienne chez Hoffmeister ; à Leipzig, au Bureau de musique.

Édité après le Premier Concerto, mais composé avant ce dernier, le Concerto op. 19 est la première œuvre du genre achevée par Beethoven, et son histoire est liée à celle de ses débuts dans les concerts publics viennois. Commencé durant les années à Bonn, il fut repris en perspective de concerts viennois, pour l’année 1795 : à cette occasion Beethoven écrivit un nouveau finale. 

La réputation de l’œuvre a souffert du jugement sévère que le compositeur lui porta, dans sa correspondance avec ses éditeurs, en 1800-1801 : «un concerto que je ne considère pas comme l’un de mes meilleurs». À cette époque, ayant déjà sur le métier son Troisième Concerto, il était conscient que son style avait beaucoup évolué. Cependant le Deuxième Concerto, s’il conserve encore l’empreinte du dernier Mozart dans le premier mouvement, se distingue par un Adagio profondément original et par un finale très enlevé.

Le premier mouvement, en si bémol majeur, est largement construit sur l’opposition entre les deux éléments qui constituent le premier thème : un motif arpégé de rythme martial et un dessin cantabile. Assez brève, l’introduction, dans une démarche originale, évite d’énoncer le second thème, et instaure des changements de couleur avec des modulations inattendues. Brillante et de grande qualité mélodique, l’écriture pianistique ne se montre cependant pas aussi hardie qu’elle le sera dans le Premier Concerto. À la fin du mouvement, la cadence, composée par le compositeur en 1809, offre avec le restant de la partition un contraste des plus saisissants : débutant par un énergique fugato, elle trace de vigoureuses lignes de forces entre les registres extrêmes et tisse les textures les plus rudes, hérissées de rythmes pointés.

L’Adagio central, en mi bémol majeur, forme une méditation d’une grande liberté dans laquelle les principes de la forme sonate se trouvent dépassés par le courant du Phantasieren*. Le mouvement s’ouvre par une sorte d’hymne de caractère recueilli, traversé par un souffle lyrique puissant. Ce thème donne naissance à une série de variations et de commentaires libres au piano, d’une grande intensité. La fin de la pièce fait entendre les interventions du piano, dans une sonorité lointaine et diffuse, dans un dialogue rêveur avec l’orchestre, qui murmure le début de l’hymne.

Le finale, en si bémol majeur, ramène l’auditeur à des joies moins éthérées, avec un pétulant rondo, fondé sur un refrain bondissant, dont la rythmique ternaire se trouve perturbée par des accents déplacés. Le premier couplet affiche une gracieuse simplicité, tandis que le second arbore un profil plus excentrique, aux accents hongrois.

– Anne Rousselin

* Pour Beethoven, l’improvisation est une activité quotidienne, et le travail s’opère conjointement au piano et à la table de travail. Double activité créatrice que Haydn pratiquait également et qu’il définissait par deux termes : Phantasieren (improvisation) et Komponieren (composition). Domaine de la fantaisie et de la rêverie, le Phantasieren conduit Beethoven, qui de son temps est le musicien le plus désireux d’exploiter les potentialités du pianoforte, vers des terres sonores vierges. 

Elgar, Variations «Enigma»

Composition : 1899.
Création : Londres, Saint-James Hall, 19 juin 1899, sous la direction de Hans Richter.
Dédicataires : «To my friends pictured within» [À mes amis dont je fais ici le portrait].

Les œuvres musicales regorgent de messages cachés, délivrés de façon plus ou moins maligne par leur auteur. En retranscrivant certains motifs musicaux dans la notation allemande ou anglo-saxonne, qui utilise des lettres pour qualifier les notes de la gamme, on retrouve ainsi le nom de Bach (B-A-C-H) ou les initiales de Chostakovitch (D-S-C-H) dans des pièces de ces compositeurs.

Toutefois, ces pratiques tiennent du clin d’œil pour les happy few, ou d’une signature à la fois plus abstraite et plus profonde que celle apposée au bas de la dernière mesure du manuscrit, plus que d’un réel jeu. Le titre Enigma Variations d’Edward Elgar vient au contraire chatouiller l’imaginaire de l’auditeur, intrigué et évidemment soucieux d’en découvrir la clef.

Elgar écrivit le mot Enigma sur la partition au-dessus du célèbre thème, mélancolique et passionné. La dédicace du compositeur «À mes amis dont je fais ici le portrait» permet ensuite de deviner que chaque variation brossera le portrait d’un proche. En dévoilant les initiales ou le surnom des dédicataires sur la partition, le compositeur semble presque trop peu joueur : comment ne pas reconnaître, par exemple, sous le paraphe C. A. E. de la première variation, son épouse Caroline Alice Elgar ? Mais il ne s’agit pas seulement de trouver «qui est là» : le «comment x est là» est en réalité l’élément le plus intéressant à deviner.

La musique représente parfois une caractéristique de la personne décrite. Aussi la variation X, sous-titrée «Dorabella», désigne-t-elle Dora Penny, proche amie d’Elgar, en faisant entendre son rire, donné dans l’orchestre par les bois.

Elgar nomme parfois la variation en raison d’une association d’idées : la variation IX, peut-être la plus fameuse, s’intitule «Nimrod», du nom du «roi-chasseur» de la Bible. Le mot «chasseur» se traduit Jäger en allemand, or le meilleur ami d’Elgar s’appelait Jaeger.

Dans d’autres cas, la variation fait référence à un événement particulier vécu par le compositeur avec la personne en question. Aussi la tumultueuse variation VI, d’une trentaine de secondes seulement, évoque-t-elle l’énergique William Meath Baker, dont Elgar raconte qu’il quitta un jour un salon de musique en en claquant (involontairement) la porte avec la force. La variation XII rappelle quant à elle la chute du chien de George Robertson Sinclair («G. R. S.») dans une rivière lors d’une promenade, et de son aboiement joyeux au moment de retrouver la rive.

Le mystère devient plus difficile à percer pour la variation XIII, où la personne n’est qualifiée que par un astéronyme (succession d’astérisques dissimulant les lettres de leur nom). Une telle discrétion de la part d’Elgar et l’atmosphère de cette «Romanza» aiguillent vers quelque histoire galante, tandis que la citation de Mer calme et heureux voyage de Mendelssohn semble désigner une femme ayant effectué un périple en mer. Plusieurs proches d’Elgar pourraient correspondre à ce portrait, notamment un ancien amour ayant émigré en Nouvelle-Zélande.

L’ultime variation représente quant à elle le compositeur, dont le prénom, Edward, fut tendrement transformé en «Edu» par son épouse.

Ces devinettes plaisantes dissimulent une autre énigme, plus complexe et d’ailleurs irrésolue. Elgar fit mention à plusieurs reprises d’un thème connu qui servirait de charpente à l’ensemble de ces variations sans jamais y apparaître explicitement. Certains songent à un mélange de thèmes de Beethoven, d’autres encore au God Save the Queen. Cette dernière suggestion permet en tout cas de souligner l’imprégnation forte de l’œuvre d’Elgar dans la culture britannique, et son grand patriotisme qu’il exprima souvent en musique. La variation «Nimrod» est traditionnellement jouée à Londres lors du Remembrance Sunday, jour de commémoration proche du 11 novembre. Une autre de ses pièces devint un chant patriotique de son vivant : particulièrement fier d’une mélodie tirée du recueil de marches militaires de sa composition Pomp and Circumstance, Elgar la reprit dans une version chantée (Land of Hope and Glory) qui fait désormais office d’hymne national anglais complémentaire au God Save the Queen, hymne du Royaume-Uni mais pas de l’Angleterre en particulier.

– Mathilde Serraille

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