◁ Retour aux concerts des ven. 4 et sam. 5 avril 2025
Programme détaillé
Concerto pour violon en ré majeur, op. 77
I. Allegro non troppo
II. Adagio
III. Allegro giocoso, ma non troppo vivace
[42 min]
--- Entracte ---
Symphonie n° 11, en sol mineur, op. 103, «L’Année 1905»
I. La Place du Palais (Adagio)
II. Le 9 janvier (Allegro)
III. Mémoire éternelle (Adagio)
IV. Le Tocsin (Allegro non troppo)
[65 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
David Grimal violon et direction
Introduction
Violoniste et chef d’orchestre, David Grimal a dirigé pendant vingt ans de l’archet son ensemble Les Dissonances (qui a cessé ses activités en décembre dernier). Il prolonge cette expérience avec l’Orchestre national de Lyon dans celui, de tous les concertos pour violon, qui est probablement son préféré. Cette partition très orchestrale, parfois qualifiée de concerto «contre» le violon tant la partie soliste est redoutable, fut accueillie avec réserve par le public de la création, en 1879 à Leipzig, avant que son dédicataire, le violoniste hongrois József Joachim, ne parvienne à l’imposer. Le mouvement lent, sur lequel Brahms avait des doutes, est une merveilleuse romance introduite par un long solo de hautbois. Conçue un an après l’insurrection hongroise de 1956, la Onzième Symphonie utilise des thèmes populaires pour évoquer la révolution russe de 1905. Chostakovitch laisse toutefois le public décider de ce qu’il voudra y entendre : le Dimanche rouge et la place du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg ensanglantée par les troupes du tsar, ou un élan de liberté écrasé par les chars soviétiques.
(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)
Brahms, Concerto pour violon
Composition : Pörtschach (Autriche), été 1878.
Création : Leipzig, Gewandhaus de Leipzig, 1er janvier 1879, par le dédicataire, József Joachim, sous la direction du compositeur.
«Le Wörthersee est une terre vierge. L’air y est si plein de mélodies qui volent autour de vous que l’on doit bien prendre garde de ne pas marcher au passage sur l’une d’entre elles», écrit Brahms à propos de ce lac de Carinthie où il passa trois étés idylliques, de 1877 à 1879. Lors de ces paisibles retraites estivales, il composa la Deuxième Symphonie, la Première Sonate pour violon et piano et le Concerto pour violon. Les deux œuvres pour violon étaient destinées au virtuose hongrois József Joachim, avec lequel Brahms s’était lié d’une amitié profonde dès leur première rencontre, en mai 1853. Ils avaient alors une vingtaine d’années ; Joachim, l’aîné de deux ans, menait déjà une belle carrière, tandis que Brahms était un parfait inconnu. C’est Joachim qui insista pour que Brahms rende visite à Robert et Clara Schumann, rencontre cruciale pour le jeune compositeur, professionnellement autant que personnellement. En 1884, leur amitié connaîtrait une éclipse : Brahms prit le parti de la femme du violoniste lors de leur divorce. Joachim continua toutefois de jouer la musique de Brahms, et celui-ci finit par enterrer la hache de guerre, offrant à son ami, trois ans plus tard, le Double Concerto en signe de réconciliation.
«Un pauvre Adagio»
Pour le Concerto pour violon, Brahms choisit la tonalité de ré majeur, celle de la Deuxième Symphonie tout juste achevée et du concerto de Beethoven. Mais il souhaita dépasser le modèle beethovénien et offrir à son œuvre une dimension symphonique, avec quatre mouvements au lieu des trois habituels. Il renonça finalement à cette idée, comme il le confia à Joachim : «Les mouvements médians ont quitté les rangs – bien sûr, c’étaient les meilleurs ! Je suis en train de les remplacer par un pauvre Adagio.» Le scherzo abandonné trouva place dans le Second Concerto pour piano (1881), qui est lui bel et bien en quatre mouvements.
Si l’ambition symphonique reste tangible, dans l’ampleur de l’œuvre comme dans sa cohésion formelle, le Brahms lyrique des œuvres vocales transparaît de bout en bout. Le premier mouvement, de forme sonate, oppose mélodies radieuses et éléments plus tourmentés – telle l’entrée du soliste. Brahms collabora étroitement avec Joachim pour la partie de violon solo, l’une des plus difficiles du répertoire : doubles et triples cordes, traits véloces parcourant la tessiture jusqu’aux extrêmes… Il confia à son ami l’écriture de la cadence du premier mouvement, passage laissé à la fantaisie des solistes jusqu’à ce que Beethoven choisisse de composer de bout en bout celles de ses propres concertos.
Le «pauvre Adagio» est une merveilleuse romance sans paroles introduite par un long solo de hautbois (vexé que le soliste se voie ainsi voler la vedette, le violoniste espagnol Pablo de Sarasate refusa de jouer l’œuvre). Le rondo final est un hommage extraverti à la virtuosité de Joachim.
Lors de la création, en janvier 1879, le public de Leipzig bouda le concerto. Mais Vienne l’adopta sans réserve quinze jours plus tard. Henryk Wieniawski le jugea injouable, et Bronisław Huberman décréta qu’il s’agissait d’un «concerto pour violon contre l’orchestre». Néanmoins, d’autres violonistes comme Leopold Auer, Eugène Ysaÿe, Fritz Kreisler ou Adolf Busch assurèrent sa diffusion, composant leurs propres cadences. Kreisler fit même l’acquisition du manuscrit autographe, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque du Congrès, à Washington.
– Claire Delamarche
Chostakovitch, Symphonie n° 11
Composition : 1957.
Création : Moscou, Conservatoire, 30 octobre 1957, par l’Orchestre symphonique d’État de l’URSS dirigé par Nikolaï Ratchline.
On ne peut guère comprendre les motivations de Chostakovitch sans replacer ses œuvres dans leur contexte historique. Et l’on pourrait presque écouter ses symphonies comme on lit un manuel d’histoire, aussi riche d’informations sur la Russie de la première moitié du XXe siècle que sur son devenir après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi la Deuxième Symphonie, envisagée comme un hommage à la révolution d’Octobre, puis les Onzième et Douzième, consacrées aux années 1905 et 1917 : chacune revoit les événements à l’aune du temps présent, des attentes de l’appareil politique, des pressions exercées sur l’artiste, sans oublier quelques intentions cachées dans le tissu polysémique de l’œuvre. «Je me sens très proche de cette période de l’histoire de notre pays», confiait Chostakovitch dans ses Réflexions sur l’état actuel de ma carrière. Quelques années plus tard, il précisera que le «Dimanche sanglant» était une allusion à la répression soviétique en Hongrie en 1956…
Dimanche 9 janvier 1905 : sur la place du palais d’hiver de Saint-Pétersbourg, près de cent quarante mille personnes se réunissent autour du pope Gapon pour supplier le tsar de remédier à leur misère. Mais le pope n’est qu’un agent à la solde de la police secrète du tsar ; un millier de morts et près de cinq mille blessés plus tard, grèves et manifestations se multiplient, premières fissures dans le système, douze ans avant l’effondrement de l’édifice tsariste en octobre 1917.
Composée pour commémorer le quarantième anniversaire de la révolution d’Octobre, la Onzième Symphonie se souvient donc de ce qui s’était passé douze ans plus tôt, le véritable point de départ. Elle peut donc être analysée de différentes manières, selon qu’on y voit un souvenir ému des élans populaires ou qu’on la considère à la lumière de ce que le Parti communiste a fait plus tard de ces prémisses révolutionnaires et de leur répression sanglante. Dès le début, de longues tenues nous transportent sur la place glacée du palais. Quelques réminiscences de chansons – Écoute, Le Prisonnier – nous rappellent le sort réservé aux opposants politiques du siècle précédent. Dans le deuxième mouvement, les références sont encore plus claires avec deux motifs empruntés aux Dix Poèmes sur des textes de poètes révolutionnaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, op. 88 : Obnajite golovy [Découvrez-vous] et Goï ty, tsar nach, batiouchka [Ô toi, notre tsar, petit père]. Deux motifs parmi d’autres, puisque l’on pourra encore reconnaître la marche funèbre Vy jertvoïou pali [Vous êtes tombés en victimes] (1880), chantée par Lénine et ses frères d’exil lorsqu’ils auront pris connaissance du désastre du Dimanche rouge. Finalement, cette symphonie serait presque un poème symphonique, inscrivant le récit de ces sombres journées dans une structure quadripartite très classique : place du palais sous la neige, arrivée de la foule désirant présenter ses suppliques au tsar, puis charge de l’armée et grand déchaînement de cuivres et de percussions après une fugue terrifiante conduite par les cordes et les timbales. Retour sur la place recouverte de cadavres ; le troisième mouvement nous fait entendre l’émouvante marche funèbre, et le finale de nouveaux chants populaires : Des orages ennemis traversent les airs, Sévissez, vous les tyrans. Si la victoire et la vengeance du peuple sont suggérées le temps d’un glissement du mineur au majeur, il conviendra néanmoins de s’interroger sur le sens d’un dernier accord plus vide que lumineux.
Aussitôt reprise par Evgueni Mravinski à Leningrad, entrée au palais de Chaillot, à Paris, sous la direction d’André Cluytens, la Onzième valut rapidement à son auteur de nombreuses récompenses, tant en Russie qu’à l’étranger. Son finale fut réemployé en 1976 au sein d’une nouvelle musique de film pour Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, sans doute parce que l’œuvre recelait des effets très adaptés au cinéma. Et c’est ainsi qu’un long crescendo accompagna la célèbre scène de l’escalier… Descente sans fin des soldats, fusils pointés sur la foule ; allant à leur rencontre, une femme gravit les marches avec dans ses bras son enfant tombé sous les balles. Sur le retour du thème des cordes, celui-là même qui ouvrait la symphonie et sur lequel maintenant tout se fige, calme étrange, presque doux après l’impressionnant déploiement orchestral, les Cosaques tirent.
Le violoncelliste Mstislav Rostropovitch déclara plus tard que la Onzième, comme sa sœur cadette, souffrait d’un manque d’inspiration réel. Selon lui, la conscience ne permettait pas d’écrire des œuvres «assez bien pour qu’elles se fassent une place dans l’Histoire». Admettons toutefois que la conscience de Chostakovitch conféra à la symphonie une saveur très particulière. Cette saveur des plus grandes œuvres hésitant entre des significations contraires, et parvenant dès lors à aborder les choses dans toute leur complexité.
– François-Gildas Tual