Notes de programme

BRAHMS, DOUBLE CONCERTO

Jeu. 12 jan. | Ven. 13 janv. 2023

Retour au concert du jeudi 12 janvier 2023

Programme détaillé

Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur, op. 102 («Double Concerto»)

I. Allegro
II. Andante
III. Vivace non troppo

[35 min]

 

--- Entracte ---

Giuseppe Martucci (1856-1909)
Notturno en sol bémol majeur, op. 70/1

[7 min]

Ottorino Respighi (1879-1936)
Pini di Roma
[Les Pins de Rome]

I. I pini di Villa Borghese [Les Pins de la villa Borghèse] : Allegretto vivace
II. Pini presso una Catacomba [Pins près d’une catacombe] : Lento
III. I pini del Gianicolo [Les Pins du Janicule] : Lento
IV. I pini della Via Appia [Les Pins de la voie Appienne] : Tempo di marcia

[23 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Speranza Scappucci 
direction
Alena Baeva violon
Anne Gastinel violoncelle

Brahms, Double Concerto

Composition : Hofstetten, au bord du lac de Thoune (Suisse), pendant l’été 1887. Création : Cologne, 18 octobre 1887, avec en solistes József Joachim (violon) et Robert Hausmann (violoncelle), sous la direction du compositeur.
Dédicace : le manuscrit offert à J. Joachim porte la dédicace «À celui pour qui il a été écrit».
Première édition : Simrock (Berlin), 1888. 

Ce «double concerto» fait partie des œuvres tardives de Brahms : c’est non seulement son dernier concerto, mais aussi sa toute dernière œuvre symphonique. La formation avec deux solistes est rarissime, surtout à l’époque romantique où le soliste d’un concerto est généralement traité comme un individu héroïque se confrontant à la masse de l’orchestre.

Sans être autant intégrés à l’ensemble orchestral que dans les concertos grossos de l’époque baroque ou les symphonies concertantes de la période classique, les deux solistes de cette œuvre originale entretiennent une complémentarité entre eux et envers l’orchestre, ce qui est l’essence même du dialogue qu’est en principe un concerto. Leur virtuosité n’est jamais pure démonstration, mais se met au service du développement des idées musicales, d’une grande richesse. Sans doute le triple concerto de Beethoven pour violon, violoncelle, piano et orchestre a-t-il pu servir de référence, dans une certaine mesure. 

«Une œuvre de réconciliation» 

Brahms avait d’abord projeté d’écrire un concerto pour violoncelle à l’intention de Robert Hausmann, mais à la suite d’une légère brouille avec son ami le violoniste József Joachim, et souhaitant créer l’occasion d’une réconciliation, il transforma son projet. À la fin de l’été 1887, le concerto était achevé, et une première audition privée eut lieu à Baden-Baden le 23 septembre avec les deux solistes et Brahms au piano, en présence de Clara Schumann qui appela cette nouvelle création «Versöhnungswerk» (œuvre de réconciliation). 

Tout en gardant le cadre général des trois mouvements habituels d’un concerto, Brahms expose et développe les nombreux thèmes de son œuvre avec une parfaite liberté, sans se référer strictement à des formes établies. Il agence son discours en faisant alterner les passages fougueux et les moments de lyrisme, les tutti d’orchestre et les soli (telles les deux cadences initiales, soigneusement écrites en dépit de leur allure de récitatif improvisé). 

Le deuxième mouvement, auquel le grave des instruments à cordes donne une couleur chaleureuse et mystérieuse à la fois, nous plonge dans une ambiance de ballade nordique, bientôt éclairée par un choral transparent des bois dans l’aigu. Dans ce décor sonore, les solistes se laissent aller à une inspiration rapsodique. 

Le finale renoue avec la fougue romantique, avec des rythmes plus marqués qui s’inspirent à certains moments d’accents à la tsigane, source d’inspiration que Brahms affectionne particulièrement. 

– Isabelle Rouard

Martucci, Notturno

Composition (Deux Nocturnes pour piano op. 70) : 1888 .
Orchestration par le compositeur : 1896.

Entre Brahms et Respighi, dont il fut l’un des maîtres, Giuseppe Martucci se situe comme un passeur. Ce musicien formé au conservatoire de Naples, représentant tardif de la musique romantique en Italie, fit d’abord une carrière de pianiste, en composant de nombreuses pièces pour son instrument. Puis il se tourna vers la direction d’orchestre et l’enseignement, prenant la tête d’institutions musicales prestigieuses : le Liceo Musicale de Bologne en 1886, puis le Conservatoire de Naples en 1902. Il fit découvrir à ses auditoires le répertoire romantique allemand en dirigeant, entre autres, Schumann, Liszt, Brahms et Wagner (il donna la première représentation italienne de Tristan et Isolde, au Teatro Comunale de Bologne, le 2 juin 1888), mais aussi les symphonistes français (Lalo, Franck, d’Indy, Debussy…), ou encore les musiciens britanniques. Par son action, il est un acteur majeur du renouveau instrumental et symphonique en son pays.

Il est l’un des rares compositeurs italiens de sa génération à ne pas avoir écrit d’opéra, se concentrant sur la musique instrumentale : musique de chambre, œuvres pour piano et pages pour orchestre (notamment deux symphonies).
Le Notturno op. 70/1 est à l’origine une pièce pour piano, dont l’orchestration par le compositeur lui-même transcende la relative minceur et la simplicité initiales. Parée des couleurs transparentes de l’orchestre, où les cordes sont au premier plan, une ample mélodie déroule ses arabesques voluptueuses en développement continu. Un crescendo apporte une brève dramatisation, avant une coda apaisée.

– Isabelle Rouard

Respighi, Les Pins de Rome

Composition : 1923.
Création : Rome, Teatro Augusteo, 14 décembre 1924, par l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile sous la direction de Bernardino Molinari.

Formant avec les Fontaines de Rome et les Fêtes romaines un grand triptyque sur la Ville éternelle, les Pins de Rome comprennent quatre mouvements, chacun évoquant un lieu différent. Bien que Respighi ait été à bonne école – auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov et de Max Bruch – pour maîtriser les subtilités de l’orchestration, il n’a réussi à imposer au répertoire que ces trois poèmes symphoniques, laissant dans l’ombre de nombreux opéras, ballets et œuvres de musique de chambre. Peut-être est-ce là la rançon de la gloire, après une première américaine inoubliable des Pins de Rome, en janvier 1926, à New York, sous l’illustre baguette d’Arturo Toscanini. Mais nous aurions tort de reprocher à Respighi de sacrifier à l’anecdote, car bien que ses titres fassent parfois oublier l’essentiel, la valeur de sa musique ne se réduit pas à une démarche illustrative. Au contraire, elle dépasse le pittoresque pour brosser un riche portrait de la culture italienne.

Dans les Fontaines de Rome, les riches motifs du Bernin ne tardaient pas à s’animer et, s’extrayant de l’ambiance pastorale des bruits d’eau, rendaient vie aux glorieux héros de la mythologie ; c’était alors toute l’histoire d’une nation qui s’esquissait. Dans les Pins de Rome, nul besoin d’attendre l’orgue pour que l’impression de «carte postale» disparaisse, notamment dans le profond sentiment du sacré. Sous les «Pins de la villa Borghèse», nous entendons, plus que des promeneurs et des enfants jouant dans le parc, l’enthousiasme et le bonheur de tout un peuple. Ottorino Respighi explique : «Des enfants jouent sous les pins de la villa Borghèse, ils se grisent de clameurs et de grand air comme des hirondelles à la tombée du soir.» Il y a dans cette page aux dissonances électrisantes une gaîté de cuivres et de bois si chaleureuse qu’on ne veut pas en réserver le caractère débridé de tarentelle aux âmes les plus jeunes. Sinon, comment comprendre ces «hurlements de cor et de trompette à faire crouler les murs de la salle de concert» (Michel Chion, Le Poème symphonique) ? Puis le chant s’assombrit dans la proximité des catacombes, comme si les arbres témoignaient du caractère funèbre des environs. Un chant liturgique aux parallélismes et à la modalité archaïques s’élève, et une procession ramène l’auditeur aux sources pseudo-grégoriennes de la chrétienté romaine. La trompette de nouveau, mais recueillie désormais, appel à la paix, à la résurrection des morts peut-être. La nuit tombe ensuite sur la colline du Janicule, peuplée d’ombres mystérieuses, tandis que du bruissement des feuillages s’échappe la mélodie d’un rossignol. «Un frémissement passe dans l’air» : peut-être inspiré par quelques couleurs debussystes, Respighi ajoute : «Clair d’une lune sereine». Les «Pins de la voie Appienne» se remémorent alors le retour des légions vers le capitole ; les vaincus ouvrent la marche, suivis de l’armée accueillie en triomphe. À moins que ce ne soit là qu’un lever de soleil annonçant une seconde journée italienne.
Anecdotiques, les Pins de Respighi ? Au fil des heures et des lieux, le compositeur multiplie les expériences orchestrales. Ne craignant pas le figuralisme, il choisit et dispose ses cuivres pour créer une impression d’espace, emploie de nombreuses percussions, gong, petites cymbales ou tambourin, recourt même à un enregistrement de rossignol. Peu à peu, les images se précisent, mais rapidement s’évanouissent pour laisser l’auditeur libre de choisir ce qu’il veut y entendre et y voir. Quitte, comme un certain Walt Disney dans Fantasia, à remplacer les pins par de froids icebergs…

– François-Gildas Tual

Le programme rédigé par le compositeur

I. Les Pins de la villa Borghèse

Joyeux ébats d’enfants sous les pins de la villa Borghèse. Danses et rondes ; les plus belliqueux jouent aux soldats et à la guerre. Tous se grisent de clameurs et de grand air comme des hirondelles à la tombée du jour, et finissent par s’échapper en essaim. Le paysage change tout à coup,

II. Pins près d’une catacombe

… et voici l’ombre des pins qui couronnent l’entrée d’une catacombe : une psalmodie mélancolique s’élève des profondeurs sépulcrales, se répand solennelle comme une hymne et s’évanouit mystérieuse.

III. Les Pins du Janicule

Un frémissement passe dans l’air : les pins du Janicule se profilent au clair d’une lune sereine. Le rossignol chante.

IV. Les Pins de la voie Appienne

Aube brumeuse sur la voie Appienne ; la campagne tragique est veillée par des pins solitaires. Indistinct, incessant, le rythme d’un pas innombrable. À la fantizsie du poète apparaît une vision de gloires antiques : les buccins retentissent, et une armée consulaire, sous l’éclat du nouveau soleil, fait irruption dans la Voie Sacrée pour monter au triomphe du Capitole.
 

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