Programme détaillé
Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912)
A Christmas Overture
[5 min]
Frederick Delius (1862-1934)
Sleigh Ride (Winter Night)
[6 min]
Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908)
Suite de «La Nuit de Noël» (extraits)
– Introduction du 1er tableau
– Introduction du 6e tableau
[6 min]
Johann Strauss fils (1825-1899)
Ouverture de «La Chauve-souris»
[9 min]
Leroy Anderson (1908-1975)
Christmas Festival
[7 min]
Leroy Anderson
Sleigh Ride
[3 min]
Orchestre national de Lyon
Ernst van Tiel, direction
Concert sans entracte, présenté par Luc Hernandez.
Coleridge-Taylor, Christmas Overture
Samuel Coleridge-Taylor avait tout pour devenir l’un des plus grands compositeurs anglais de son époque, à l’égal d’Edward Elgar ou Frederick Delius. Mais sa couleur de peau – son père était un médecin noir originaire de la Sierra Leone, sa mère une Anglaise blanche – et sa mort prématurée d’une pneumonie le privèrent de la carrière brillante qui lui était promise. Il connut toutefois de nombreux succès, jusqu’à être surnommé le «Mahler Africain» aux États-Unis au début des années 1900. Sa Christmas Overture [Ouverture de Noël] daterait de 1911 ; mais elle resta inconnue jusqu’en 1925, treize ans après la mort de Coleridge-Taylor, lorsqu’elle fut publiée dans une orchestration de Sydney Baynes. On y entend successivement trois noëls anglais : God Rest Ye Merry Gentlemen, Good King Wenceslaus, et enfin Hark The Herald Angels Sing, dont la célèbre mélodie est empruntée au Festgesang de Felix Mendelssohn (une cantate composée en 1840 pour le 400e anniversaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, où elle porte les paroles «Vaterland, in deinen Gauen»).
Claire Delamarche
Delius, Sleigh Ride
Fils de deux Allemands qui avaient émigré en Angleterre pour prospérer dans le commerce de la laine, Frederick Delius embrassa une carrière musicale contre l’avis de son père et la mena largement à l’étranger, aux États-Unis et en Europe continentale. Il ne fut jamais un avant-gardiste ; il demeura dans le sillage du romantisme, sans velléités de rompre avec le langage dont il avait hérité. Pourtant, la poésie profonde qui se dégage de sa musique, notamment lorsqu’il s’agit peindre des paysages, enthousiasma aussi bien son aîné Edvard Grieg que son cadet Béla Bartók, bien plus aventureux que lui. Grieg est d’ailleurs lié directement à l’histoire de Sleigh Ride. Alors qu’il séjourne à Leipzig, le compositeur norvégien raconte dans une lettre du 25 décembre 1887 à son ami Frants Beyer le merveilleux réveillon qu’il a passé la veille en compagnie d’amis scandinaves comme le violoniste Johan Halvorsen ou le compositeur Christian Sinding. Delius, qui faisait partie de la fête, a joué au piano une pièce qu’il a présentée comme une Promenade en traîneau norvégienne [Norwegian Sleigh Ride]. En 1889, Delius orchestrera cette page en lui ajoutant le titre alternatif de Nuit d’hiver [Winter Night] et la placera en deuxième position d’un cycle intitulé Trois Petits Poèmes musicaux [Three Small Tone-poems], où elle est encadrée de deux pages estivales. Les grelots agités par le trot alerte des chevaux s’effacent rapidement devant la peinture d’un paysage enneigé aussi mystérieux qu’apaisant.
Claire Delamarche
Rimski-Korsakov, La Nuit de Noël
Rimski-Korsakov attendit la mort de Tchaïkovski en 1893 avant de se mettre à son opéra La Nuit de Noël [Notch pered Rojdestvom], composé en 1894-1895 d’après la nouvelle homonyme de Gogol : en effet, si ce sujet l’intéressait de longue date, il n’avait osé s’y mesurer plus tôt car son rival l’avait lui-même illustré en 1874 sous le titre de Vakoula le Forgeron (remanié en 1885 sous le titre Les Souliers de la reine). L’action se déroule entre un village ukrainien et la cour de Catherine II de Russie à Saint-Pétersbourg, avec des escales dans l’espace aérien pour contempler la danse des étoiles, se promener sur le balai d’une sorcière ou enfourcher un cheval ailé qui n’est autre que le diable… L’imagerie païenne liée aux fêtes du solstice d’hiver se mêle aux célébrations chrétiennes de la Nativité en un ouvrage à la fois poétique, pétillant et spectaculaire.
La Nuit de Noël ne fut donné que dix-huit fois à l’époque, car l’auteur en avait réservé l’exclusivité au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Mais sa musique se répandit à travers toute la Russie sous la forme d’une suite d’orchestre, dont l’Orchestre national de Lyon joue ici les deux premiers volets. On entend tout d’abord l’introduction orchestrale de l’opéra, merveilleuse illustration musicale de la beauté intersidérale. Le thème lié aux étoiles scintille sous la forme de notes éparses du glockenspiel, du hautbois et de la harpe, vibrent sous les trilles et trémolos des violons, tandis que le cor ouvre l’espace par de majestueux arpèges. En deuxième position, la suite d’orchestre fait entendre le prélude du sixième tableau, qui se déroule dans l’espace. Ce morceau prolonge l’univers du précédent ; la harpe irise à présent la musique de ses arpèges, et le thème des étoiles envahit les cordes.
Claire Delamarche
J. Strauss fils, ouverture de «La Chauve-souris»
Johann Strauss fils a déjà composé nombre de valses et polkas célèbres lorsqu’il aborde, en 1871, la scène lyrique. Il est encouragé dans cette voie à la fois par sa première épouse, la cantatrice Jetty Treffz, et par la direction de la principale scène viennoise offrant un répertoire léger, le Theater an der Wien. Franz von Suppé, le père de l’opérette viennoise, directeur de la scène rivale du Carl-Theater, règne alors sur le genre en Autriche ; mais, de même qu’Hervé s’est fait supplanter à Paris par Offenbach, Suppé verra son étoile pâlir au profit de celle de Strauss.
Depuis 1858, les opérettes d’Offenbach jouissent d’une faveur à Vienne que les œuvres de Suppé n’ont pu contrecarrer. Après son triomphe au théâtre des Bouffes-Parisiens, où il a été créé en 1858, Orphée aux Enfers obtient le même succès au Carl-Theater en 1860. Johann Strauss assiste à l’événement et, sous le charme de l’ouvrage, compose un pot-pourri de ses airs sous le titre d’Orpheus-Quadrille. Puis il se lance à son tour dans la composition d’opérettes. Après deux ouvrages au succès mitigé, il atteint lapleine réussite avec le troisième, Die Fledermaus [La Chauve-Souris], en 1874. Pour le livret, Strauss a puisé à la source la plus sûre : une comédie en vaudeville d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les artisans des plus grands succès d’Offenbach et les futurs librettistes, en 1875, de Carmen. Le Réveillon a triomphé le 10 septembre 1872 au Théâtre du Palais-Royal ; mais il est tiré lui-même d’une pièce autrichienne de 1851, Das Gefängnis [La Prison]. L’opérette de Strauss effectue donc un retour aux sources !
L’étincelante ouverture donne la tonalité générale de la partition et en préfigure l’écriture parfaitement pesée et maîtrisée, derrière sa légèreté. Ce patchwork de thèmes tirés de l’ouvrage adopte en effet une structure très habile qui mêle une sorte de forme sonate sans développement à l’esprit d’une forme ternaire ABA. La succession des différents thèmes est en effet présentée deux fois : tout d’abord dans une tonalité changeante qui évite toute monotonie, puis dans la tonalité principale de la majeur.
Si l’esprit viennois domine sans conteste cet enchaînement de valses et polkas, le lancinant solo de hautbois central, seul thème dans une tonalité mineure et dans un tempo alangui, lorgne vers la Hongrie voisine et témoigne que, si les interactions étaient nombreuses entre Vienne et Paris, elles l’étaient tout autant entre Vienne et Budapest !
Claire Delamarche
Anderson, A Christmas Festival – Sleigh Ride
Né en 1908 de parents immigrés suédois, Leroy Anderson aurait pu faire une carrière de linguiste : il étudia cette matière conjointement à la musique dans la prestigieuse université Harvard de sa ville natale de Cambridge, Massachusetts. Pour le bonheur de nos oreilles, il opta finalement pour la musique et se fit rapidement remarquer par Arthur Fiedler, le directeur du Boston Pops Orchestra. Il écrivit pour ce célèbre orchestre de musique légère toutes sortes d’arrangements et de compositions originales, comme les deux au programme de ce concert ou sa célèbre pièce pour machine à écrire et orchestre The Typewriter.
A Christmas Festival naquit en 1950, avant d’être révisé et légèrement raccourci deux ans plus tard. Composée pour servir de bis aux Boston Pops, cette ouverture de concert mélange en un pêle-mêle virtuose les carols les plus célèbres. On y reconnaît également un air qui n’est pas un chant de Noël à proprement parler, mais un chant profane, Jingle Bells. Toutefois, confie le compositeur, «[cet air] est tellement associé avec la joie et l’esprit de Noël qu’il était impossible de ne pas l’inclure».
Comme Delius, Leroy Anderson est l’auteur d’un Sleigh Ride. La fortune de ce morceau a été faite par Mitchell Parish, qui lui ajouta des paroles en 1950. Reprise aussi bien par Bing Crosby ou Ella Fitzgerald que par les Spice Girls, les Trois Ténors, le dessin animé Les Simpsons, Céline Dion ou Gwen Stefani, cette chanson figure parmi les plus gros profits de l’Ascap, la société des auteurs et compositeurs de musique américaine. Contrairement à Delius, Anderson ne trouva pas l’inspiration de cette page dans un paysage enneigé mais… dans la canicule de juillet 1946 ! La version originale pour orchestre fut achevée en février 1948.
Claire Delamarche