Notes de programme

COPLAND / CHOSTAKOVITCH

Jeu. 3 oct. | sam. 5 oct. 2024

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Programme détaillé

Cindy McTee (née en 1953)
Timepiece

[12 min]

Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Concerto pour violoncelle n° 2, en sol mineur, op. 126

I. Largo
II. Allegretto
III. Allegretto

[35 min]

 

--- Entracte ---

Aaron Copland (1900-1990)
Symphonie n° 3

Édition : Boosey & Hawkes, révision Philip Rothman (2014)

I. Molto moderato, with simple expression
II. Allegro molto
III. Andantino quasi allegretto
IV. Molto deliberato (freely, at first) – Allegro risoluto

[43 min]

Dans le cadre d’Unanimes ! Avec les compositrices. Attentif depuis plusieurs années à la place des femmes dans sa programmation, l’Auditorium-Orchestre national de Lyon participe à cette initiative de l’Association française des orchestres (AFO) dédiée à la promotion des compositrices et de leur répertoire.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Leonard Slatkin 
direction
Sheku Kanneh-Mason violoncelle

Introduction

Avant de fêter en 2025 le cinquantenaire de l’Auditorium, l’Orchestre national de Lyon célèbre les 80 ans de son directeur musical honoraire, Leonard Slatkin. Avec en invité d’honneur Sheku Kanneh-Mason, jeune violoncelliste placé sous les feux des projecteurs depuis son triomphe en 2016 au prix BBC du jeune musicien de l’année. Timepiece (1999) a été écrit par Cindy McTee, l’épouse de Slatkin, pour le centenaire de l’Orchestre symphonique de Dallas. Une réflexion sur le temps qui passe… Composé pour Mstislav Rostropovitch, le Second Concerto pour violoncelle de Dmitri Chostakovitch (1966) s’ouvre sur un Largo très sombre, possible témoignage des affres soviétiques. Douleur, crainte et espoir se mêlent jusqu’à la conclusion, illuminée d’un carillon céleste. Au début des années 1940, le monde musical attendait encore LA grande symphonie américaine, et elle survint sans nul doute avec cette Troisième Symphonie d’Aaron Copland (1946) : une partition monumentale en quatre mouvements, commande de Serge Koussevitzky pour  l’Orchestre symphonique de Boston, dont la puissance et la jubilation sonnaient comme une célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Copland y fait une autocitation en incorporant le thème de sa Fanfare for the Common Man dans le finale. Elle est jouée dans l’édition publiée en 2014 par Philip Rothman, qui rétablit notamment une coupure réalisée par Leonard Bernstein en 1948, puis autorisée par le compositeur en 1954.

(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)

McTee, Timepiece

Composition : 1999 ; transcription pour instruments à vent : 2001 ; révision (version pour orchestre) : 2023.
Dédicace (transcription pour vents) : «à la mémoire de Martin Mailman (1932-2000), ami et collègue durant de nombreuses années à l’Université du Texas du Nord, sans les encouragements duquel je n’aurais peut-être jamais transcrit ma pièce antérieure, Circuits, pour ensemble à vent».
Commande (version originale) : Orchestre symphonique de Dallas pour son 100e anniversaire ; (transcription pour instruments à vent) : groupement d’ensembles à vent.
Création (version originale) : Dallas, 17 février 2000, par le Dallas Symphony Orchestra sous la direction d’Andrew Litton ; (transcription pour instruments à vent) : Denton, Université du Texas du Nord, 22 février 2001, par le North Texas Wind Symphony dirigé par Eugene Migliaro Corporon.

«Si je n’étais pas un physicien, probablement serais-je un musicien», assurait Einstein ; nous pourrions imaginer Cindy McTee lui répondre du tac au tac : «Si je n’étais pas une compositrice, probablement serais-je une physicienne.» Tandis que le maître de la relativité pensait en musique, rêvait en musique ou goûtait aux joies de la vie grâce à la musique, Cindy McTee est fascinée par les mystères du temps qui passe, au point de s’inspirer, dès 1996, des études du physicien américain Alan Lightman. Quelques années plus tard, elle compose Einstein’s Dream pour célébrer l’Année mondiale de la physique. Pour aborder en musique la relativité, elle part alors d’une anecdote invérifiable selon laquelle, s’étant trompé en jouant du violon avec son ami Fritz Kreisler, Albert Einstein se serait vu reprocher avec humour de ne pas savoir compter. Mais en 2001 déjà, quatre ans avant ce rêve scientifique et comme en écho au nouveau millénaire, la version originale de Timepiece est créée par l’Orchestre symphonique de Dallas à l’occasion de la centième saison de la prestigieuse phalange du Texas. Avec, une fois encore, ce souhait de questionner le temps en explorant son fonctionnement au sein de la forme musicale. Selon la compositrice, Timepiece donne l’impression de commencer avant sa propre naissance, lentement, «dans un lieu de maintien subjectif, semblable à un utérus». 
    
Ancienne élève de Krzysztof Penderecki, Cindy McTee a vécu pendant un an en Pologne avant de regagner les États-Unis et, à l’issue de sa formation, y entreprendre une double carrière de compositrice et d’enseignante, à l’Université du Texas du Nord notamment – là où a été créée la seconde version de Timepiece, pour instruments à vent. À propos de sa Première Symphonie, Cindy McTee définissait son style : «Bien que je n’aie jamais tenté “d’être” américaine, je reconnais que mon style musical reflète généralement mes racines plutôt que ma formation européenne. Les écrivains européens, cependant, continuent de façonner ma pensée, en particulier le psychologue suisse Carl G. Jung qui sentait que l’énergie créatrice naissait de la tension entre les oppositions du conscient et de l’inconscient, de la pensée et du sentiment, de l’objectivité et de la subjectivitéTimepiece préserve l’extraordinaire énergie de ces tensions. À la fois inquiétante et impatiente, l’œuvre fait alterner deux échelles mélodiques et autant de tempi opposés. La pulsation se révélant de plus en plus régulière, les motifs obstinés l’emportent quand bien même la discipline céderait parfois sa place à l’improvisation, et le sérieux pourrait s’effacer derrière l’humour. Il y a quelque chose d’un peu effrayant dans cette course folle des instruments autoritaires résistant à toutes les incongruités qui surgissent au fil de leur parcours. Associés à des contrastes et sauts soudains, les martellements implacables rappellent Le Sacre du Printemps de Stravinsky ou la musique française des années 1920, son objectivité parfois ironique ou teintée de jazz. La danse n’est jamais loin, mesurée par le battement du wood-block à la façon d’un tic-tac de montre. La résolution des instruments est prise, et les rêveries d’un physicien musicien ne sauraient changer le cours du temps.

– François-Gildas Tual
 

Chostakovitch, Concerto pour violoncelle n° 2

Composition : Crimée, du 20 au 27 avril 1966.
Création : Moscou, grande salle du Conservatoire, 25 septembre 1966, par Mstislav Rostropovitch et l’Orchestre d’État de l’URSS dirigé par Ievgueni Svetlanov,  à l’occasion du 60e anniversaire du compositeur.

Peu de temps après un Premier Concerto (1959) dédié à Mstislav Rostropovitch, Dmitri Chostakovitch renouvelle cette rencontre heureuse en écrivant, en l’espace d’une semaine (du 20 au 27 avril 1966), ce Second Concerto aux très nettes consonances populaires. «Dans le deuxième et dans la culmination du troisième mouvement, explique-t-il à son ami Isaac Glikman (lettre du 27 avril 1966), il y a un thème qui ressemble beaucoup à la chanson populaire qu’on chante à Odessa, Achetez des petits pains, des petits pains tout chauds !. Je ne saurais en expliquer la raison. Mais il y a une nette ressemblance. En composant, j’ai bien sûr pensé au merveilleux Mstislav Rostropovitch. Je compte sur son interprétation.» Les deux derniers mouvements sont en effet virtuoses et démonstratifs, avec une part belle donnée aux vents, percussions et harpes ; alors que le premier sonne de manière plus intérieure, comme un immense récitatif soliste surplombant l’orchestre.

Mis à part ces élans lyriques, de franches pages burlesques imposent de réfléchir au sens que pouvaient revêtir ces contrastes extrêmes. Il semble que le caractère désabusé du compositeur se soit servi de ces oppositions pour s’exprimer, Chostakovitch doutant perpétuellement de son utilité et de sa place dans la société officielle russe – bien qu’il fût régulièrement récompensé par les plus hautes instances soviétiques. Le 20 mars 1966, il écrit encore à son confident Isaac Glikman à propos de son œuvre en général : «J’ai composé une Préface à mes œuvres complètes suivie d’une brève réflexion sur ladite préface [op. 123, pour basse et piano]. Les paroles et la musique sont de moi. [...] D’une seule traite, je noircis ma feuille / Mon sifflement l’ouïe docile accueille / Je casse des oreilles du monde entier / Et plouf ! le texte publié dans le Lethé.» Ces vers paraphrasent une épigramme de Pouchkine, L’Histoire d’un versificateur ; ils témoignent de l’attirance qu’éprouvait Chostakovitch pour l’autodérision, véritable remède à la pression que lui imposait le régime officiel, ou à la tentation de grandiloquence que laisse quelquefois transparaître son style.

– Emmanuel Hondré

Copland, Symphonie n° 3

«Il ne fait aucun doute qu'il s'agit de la plus grande symphonie américaine. Elle va du cœur au cœur.»
Serge Koussevitzky

«Vous en conviendrez, j’en suis sûr, que si un jeune homme talentueux peut composer une symphonie comme celle-ci à l’âge de vingt-trois ans, il sera prêt d’ici cinq années à commettre un meurtre !» S’adressant au public le 11 janvier 1925 à l’occasion de la création de la Symphonie pour orgue et orchestre de Copland, Walter Damrosch rendait un vibrant hommage à ce jeune compositeur plein de fougue, prêt à «lisser les plumes hérissées de ces petites dames conservatrices des concerts du dimanche après-midi». Des années vingt aux années soixante, la symphonie américaine a connu un véritable âge d’or. En France, on en connaît bien mal les représentants : Roger Sessions, Howard Hanson, Roy Harris ou Paul Creston, Samuel Barber, William Schuman ou Walter Piston, notamment. Ces compositeurs ont offert à l’orchestre quelques pages parmi ses plus belles. Au modernisme des uns répondait le postromantisme des autres, ici les sensualités déliquescentes du jazz, là un germanisme post-wagnérien ou straussien. Pourquoi ce riche répertoire ne s’est-il pas plus imposé au-delà de ses propres frontières ? Peut-être parce que l’Europe s’est engagée dans une autre modernité, provoquant une sorte de rupture avec le passé. Mais plus étonnants sont les jugements de Virgil Thomson, lui-même compositeur et critique du Herald Tribune. Particulièrement sévère avec la musique de Sibelius, il a qualifié la Troisième Symphonie d’Aaron Copland de «fausse» alors que, de toutes les symphonies de ce dernier, c’était la plus respectueuse du genre.

Après avoir défendu les avant-gardes à l’issue de son séjour parisien auprès de Nadia Boulanger, Aaron Copland a choisi d’ancrer son inspiration dans les images fondatrices de la nation américaine. Le vent des grandes plaines s’est mis à souffler sur sa musique, Billy the Kid et Abraham Lincoln sont devenus ses personnages. La guerre n’est pas encore achevée quand le chef d’orchestre Serge Koussevitzky lui commande sa Troisième Symphonie. Si le nouvel ouvrage préserve l’ordre classique en quatre mouvements avec scherzo et mouvement lent au centre, et bien que le premier d’entre eux soit plus lent qu’il ne l’est habituellement, le titre de symphonie témoigne surtout de l’apparente abstraction de son discours, ainsi que de l’absence de toute citation de musique populaire. Certes, certaines tournures mélodiques très modales s’inscrivent encore dans une esthétique nationale, mais une volonté d’universalité semble extraire la musique de l’imaginaire du Nouveau-Monde. En fait, Aaron Copland pioche dans son propre catalogue. Il reprend ici sa Fanfare for the Common Man, une pièce composée à la demande d’Eugène Goossens suite à l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 par l’aviation japonaise. Le chef d’orchestre lui avait commandé, ainsi qu’à d’autres, une fanfare en hommage aux soldats, aux marins ou aux aviateurs ; Copland avait imaginé une célébration plus large, étendant l’effort de guerre à la participation de l’«homme ordinaire».

Il est usuellement admis que l’ensemble de la symphonie reprend les contours de la fanfare, avant que celle-ci ne soit citée dans le finale. Dès les premières mesures, la symphonie impose sa solennité. Trois thèmes constituent l’essentiel du premier mouvement, parmi lesquels un motif fugué qui reviendra dans l’Andantino. L’architecture confirme l’admiration portée par Copland à Mahler. Mais il n’y a ici aucun programme. Aaron Copland a déclaré ne pas avoir fait de sa symphonie une réponse directe à la guerre même si, probablement influencé par l’époque, la grandeur et le caractère de l’œuvre paraissent s’être nourris de joie et de victoire.

– F.-G. T.