Notes de programme

DVOŘÁK / ELGAR

Ven. 10 et sam. 11 juin 2022

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Programme détaillé

Georges Enesco (1881-1955)
«Prélude à l’unisson» de la Suite d’orchestre n° 1, en ut majeur, op. 9

[7 min]

Edward Elgar (1857-1934)
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, op. 85

I. Adagio – Moderato
II. Lento – Allegro molto
III. Adagio
IV. Allegro – Moderato – Allegro ma non troppo – Poco più lento

[30 min]

 

--- Entracte ---

Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie n° 8, en sol majeur, op. 88

I. Allegro con brio
II. Adagio
III. Allegretto grazioso – Molto vivace
IV. Allegro ma non troppo – Più animato

[35 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Jian Wang violoncelle

Concert enregistré par Radio Classique. Diffusé dimanche 12 juin à 21 heures sur Radio Classique (96.5FM) puis disponible en streaming sur radioclassique.fr.

Journée spéciale L’AO vendredi 10 juin sur Radio Classique, avec une programmation spéciale L’AO toute la journée à l’antenne et particulièrement dans les émissions Tous classiques (9h30-12h) avec Christian Morin, Tempo (14h-17h) avec Pauline Lambert et Journal du classique (20h-20h30) avec Laure Mézan.

Enesco, Prélude à l’unisson

Composition : 1903.
Dédicace : à Saint-Saëns.
Création : Bucarest, 1903, sous la direction du compositeur.
Durée : 7 minutes environ.

Né en 1881 à Liveni-Vîrnav, en Moldavie, Georges Enesco est à peine âgé de 5 ans quand il compose sa première œuvre, La Terre roumaine, véritable opéra pour violon et piano ! Parti à Vienne pour poursuivre sa formation, il s’installe ensuite à Paris où il a notamment Fauré et Massenet pour pour professeurs. «Au fond, expliquera-t-il plus tard, s’il est vrai que j’adorais Paris, je m’y sentais – artistiquement parlant – un peu dépaysé. On y était trop cérébral pour moi, qui demeurais, malgré tant de kilomètres franchis, le petit garçon tendre et têtu qui avait vu le jour, tout là-bas, dans une plaine de Roumanie

La musique roumaine en France, voilà qui aurait sans doute plu si, finalement, il n’y avait eu dans l’œuvre d’Enesco le croisement d’expériences aussi différentes que celles de Massenet, de Delibes et de la fameuse légèreté parisienne, de la grande Vienne cosmopolite de Haydn, de Mozart et de Beethoven, de Brahms aussi – Brahms dont Enesco se souvenait si bien pour avoir joué sous sa direction alors qu’il était membre d’un orchestre d’élèves. Wagner et Saint-Saëns, Ravel et Debussy ont compté parmi ses modèles. Et loin de voir les portes s’ouvrir, Enesco a bientôt vu les barricades se dresser devant lui. Composé par un jeune homme de 15 ans, créé avec succès aux Concerts Colonne et publié par Enoch, son magnifique Poème roumain a inspiré plus de jalousie et de soupçon que de reconnaissance. Certains ont prédit que son auteur ne serait qu’un «feu de paille», d’autres se sont méfiés de ses facilités exceptionnelles. Dans ses Souvenirs publiés par Bernard Gavoty, Enesco se souvient de ce qui se disait de lui : «“C’est un violoniste, disaient les compositeurs…” – “C’est un compositeur, répliquaient les virtuoses.”» Quelques échecs, beaucoup de doutes, et voici, redonnée en 1904 à Paris par Gabriel Pierné, la Première Suite d’orchestre et son terrible lot de critiques.

Unisson : Terme de Musique. Accord de deux voix, de deux cordes, de deux instrumens, qui ne font entendre qu’un même ton. L’unisson est la plus simple de toutes les consonnances. Chanter à l’unisson. Monter deux cordes, deux instrumens à l’unisson. Ces deux voix sont à l’unisson. – 4e édition (1762) du Dictionnaire de l’Académie française

«Chéri, donne un louis au Tzigane !» Le mot de Georges Vanor, poète symboliste, en plus d’être injuste, était inutilement cruel. «Il y avait si longtemps qu’on ne m’avait pas donné du “tzigane” : on pouvait bien, par compensation, m’offrir un louis», remarquait Enesco dans ses Souvenirs. Certes, à la tête de cette suite en quatre mouvements, se trouvait ce «Prélude à l’unisson» qui avait de quoi dérouter. Rien de pauvre mais une monodie de neuf bonnes minutes, instrumentée de façon à faire ressortir les moindres accents et inflexions de la phrase, et à produire différentes couleurs instrumentales au sein des seuls pupitres de cordes. Quelques commentaires plus élogieux ont fait abstraction de ce prélude pour s’attarder sur le «Menuet» rêveur et sur la «tarentelle fantasque» (Fauré) qui lui faisaient suite. Tous les mouvements tiraient en fait leur matériau du premier. La mélodie initiale, plus tard donnée par Kodály à ses élèves comme exemple d’écriture à l’unisson, est en effet fascinante : la ligne unique s’y dédouble sans cesse, parfois le temps d’une seule note, non pas tant pour marquer un accent ou une dynamique particulière que pour éclairer l’ensemble d’un subtil changement de couleur.

Le musicologue Noel Malcolm a remarqué que c’est dans la musique de Wagner, plus exactement dans le prélude du troisième acte de Tristan, que se trouvait la source véritable à laquelle s’était abreuvé le compositeur roumain pour composer cette pièce. Rien de surprenant quand on sait l’admiration que celui-ci vouait à l’auteur de la Tétralogie : «On me demande parfois, avec un sourire amusé, si j’aime encore Wagner : je réponds que je l’aime toujours. Aimer est une chose grave et définitive. Dès ma dixième année, certains chromatismes wagnériens faisaient partie de mon système vasculaire : les renier équivaudrait à me couper une jambe ou un bras. Si tant de gens, qui ont cru aimer Wagner à 20 ans, le brûlent à 50, c’est parce qu’ils ne l’ont jamais aimé.»

– François-Gildas Tual

Elgar, Concerto pour violoncelle

Composition : 1918-1919.
Dédicace : à Sir Sidney et Lady France Colvin.
Création : Londres, Queen’s Hall, 27 octobre 1919, par Felix Salmond et l’Orchestre symphonique de Londres sous la direction du compositeur.

Longtemps, celui qui recevrait en 1924 la distinction de «maître de la Musique du roi» et sept ans plus tard un titre de baronnet refusa néanmoins la plupart des postes prestigieux qui lui furent proposés, une sépulture à l’abbaye de Westminster à laquelle il préférait assurément son petit cimetière de campagne, et même les invitations à manger trop officielles. Peut-être est-ce cette distance avec ses pairs, ainsi qu’une formation en marge des institutions publiques, qui firent de lui un musicien exceptionnel ? Chantre inspiré de son pays, il immortalisa la beauté fin de siècle de sa capitale dans la Cockaigne Ouverture comme il peignit les paysages de son Worcestershire natal dans l’Introduction et Allegro pour cordes.

Elgar a parfois l’image policée d’un musicien trop classique, trop respectueux des usages, sans réelle personnalité. Il aimait au contraire les mystères et les jeux subtils, les références discrètes et les architectures improbables. Dernière de ses grandes œuvres, en quatre mouvements au lieu des trois habituels, son Concerto pour violoncelle rompt ainsi avec les modèles du genre. Le long récitatif introductif confirme que le soliste n’est pas convoqué pour briller, mais pour se faire la voix du compositeur vieillissant et qui s’apprête plus ou moins consciemment à dire au revoir au monde, et peut-être à sa chère Alice. Nulle velléité démonstrative : tout au long du Moderato, l’épanchement se poursuit, entre douleur et apaisement, dans une expression mesurée, si ce n’est le temps d’un bref tutti. Mais il suffit d’entendre le violoncelle conclure le mouvement en pizzicatos pour comprendre que nous sommes ici bien loin de la foi en l’avenir qui animait dix ans plus tôt la première symphonie.

«L’introspection plutôt que le dialogue»

Pas plus décidé à plaisanter, le scherzo est plus évanescent que véritablement enjoué, malgré une tonalité de sol majeur et un orchestre léger. Le concerto d’Elgar opte donc pour la demi-teinte, le questionnement plutôt que l’affirmation, l’introspection plutôt que le dialogue. L’enchaînement des mouvements et les retours thématiques – le récitatif dans le finale – montrent bien que le propos, sans être explicitement narratif, dépasse la seule expérience instrumentale, et que le musicien pense en symphoniste bien plus qu’il ne se met à la disposition de son soliste.

Malheureusement, l’œuvre connut des débuts difficiles. Elgar, qui devait la diriger, étudia longuement la partition avec Felix Salmond, mais ne put faire de même avec l’orchestre : le chef qui devait diriger le reste du programme, Albert Coates, s’était réservé la majeure partie du temps de répétition. Elgar aurait pu annuler, mais ç’eut alors été gâcher tous les efforts de son violoncelliste. «Jamais, selon toute probabilité, un aussi grand orchestre ne s’est fait remarquer en public de façon aussi lamentable», écrivit le critique Ernest Newman. Alice Elgar consigna dans son journal : «Encore furieuse… Espère ne plus jamais avoir à parler avec ce brutal Coates.» Salmond lui-même, dégoûté, ne joua plus cette œuvre qui pourtant l’enthousiasmait, et quitta finalement l’Angleterre pour l’Amérique. Le dernier mot revint naturellement à Elgar qui, dans son catalogue, à côté de son concerto, ajouta ces quelques mots : «C’est fini. Qu’il repose en paix

– F.-G. T.

Dvořák, Symphonie n° 8

Composition : Vysoká et Prague, du 6 septembre au 8 novembre 1889. 
Création : Prague le 2 février 1890, sous la direction de l’auteur.

En 1878, un compositeur allemand déjà bien installé, Johannes Brahms, suggérait à l’éditeur Simrock de publier le recueil de Danses slaves composé par un jeune Tchèque plein d’avenir, Antonín Dvořák. C’est ainsi que la réputation de Dvořák éclata hors de Bohême. Le cachet de ses premiers concerts en Angleterre, en 1884, lui permit d’acquérir à Vysoká, dans le sud de la Bohême, une bergerie qu’il aménagea et où il passa désormais les beaux jours, élevant des pigeons et sympathisant avec les paysans.

Il aimait à y composer, et l’été 1889 se révéla particulièrement fructueux. Le 19 août, il acheva son Quatuor avec piano en mi bémol. Une semaine plus tard, il couchait déjà sur le papier de nouvelles idées, et le 6 septembre sa Huitième Symphonie commençait à prendre forme. Dès le 23 septembre, les quatre mouvements étaient composés. Dvořák acheva l’orchestration le 8 novembre, de retour à Prague. C’est alors qu’il eut l’idée d’introduire le finale par une fanfare de trompettes en , qu’il ferait réapparaître plus loin dans le mouvement. Il dirigea lui-même la création, à Prague, le 2 février 1890 ; deux mois plus tard il dédia l’œuvre à l’Académie François-Joseph des sciences, de la littérature et des arts, qui venait de le recevoir parmi ses membres. 

«Les oiseaux sont les véritables maîtres.»

Pourtant, c’est en Angleterre que la Symphonie en sol majeur prit son essor. Elle servit de «thèse» en juin 1891 lorsque l’université de Cambridge nomma Dvořák docteur honoris causa, couronnant une carrière outre-Manche qui, depuis ses débuts en 1884, ne cessait de prendre de l’ampleur. Or Simrock, qui avait déjà publié deux symphonies mais gardait en mémoire le succès des Danses slaves, attendait de son nouveau compositeur vedette d’autres pièces de la même veine. À l’annonce d’une symphonie supplémentaire, il fit grise mine et en offrit un cachet médiocre. Dvořák se tourna donc tout naturellement vers l’éditeur londonien Novello, qui publia la symphonie en 1892. Elle prit rapidement le surnom de «Symphonie anglaise», une appellation qui ne reflète en rien son caractère, pétri du charme champêtre de Vysoká et de rythmes d’Europe centrale. Dès les premières mesures, les violoncelles ancrent l’œuvre dans la terre, et diverses interventions de flûte rappellent une confidence de l’auteur : «Les oiseaux sont les véritables maîtres

En 1893, George Bernard Shaw railla en des termes injustes cet éloge de la nature qui fait preuve en mains endroits d’un souffle grandiose, voire héroïque, et qui doit à la puissance de Brahms autant qu’à l’esprit de Haydn : «[Elle] atteint presque le niveau d’une ouverture de Rossini et ferait une excellente musique de promenade pour les fêtes que l’on donne l’été dans le parc.» 

«Des idées très personnelles élaborées de manière tout à fait neuve»

Selon le témoignage d’Otakar Šourek, Dvořák considérait l’Op. 88 comme une «œuvre différente de [ses] autres symphonies, avec des idées très personnelles élaborées de manière tout à fait neuve». Effectivement, la partition bouscule à plusieurs reprises les canons du genre et s’impose comme la plus originale des neuf symphonies de Dvořák.

Les surprises commencent dès les premières mesures, puisque l’Allegro initial s’ouvre par une déploration en sol mineur (au lieu du sol majeur attendu), aux accents mendelssohniens. Ce mouvement rapide séduit par ses changements rapides de sentiments et de climats, et par la profusion thématique qu’il déploie. Mais le plan tonal continue de surprendre, et l’ambiguïté qui s’établit entre sol majeur et son relatif mi mineur débouchera sur un second thème en si mineur (au lieu majeur). Le triste choral initial fait des retours réguliers, marquant le début du développement et celui de la réexposition.

Dans le mouvement lent, Dvořák préfère à la traditionnelle forme «lied» (en trois parties, de type ABA) un Adagio monothématique en deux parties, respectivement en ut mineur et ut majeur. Le matériau thématique se réduit à des fragments de gammes et à des oscillations énigmatiques, qui créent le sentiment de questions sans réponses. Ces interrogations prennent par moment un tour presque menaçant, mais finissent par trouver l’apaisement.

Une valse champêtre à 3/8 vient en lieu et place du traditionnel scherzo, peut-être l’écho de celle de la Cinquième Symphonie de Tchaïkovski, que Dvořák avait entendue un an auparavant. Après l’architecture complexe de l’Adagio, elle revient à la plus simple des découpes : une première partie en sol mineur, un trio en sol majeur au parfum tchèque plus affirmé, le retour de la première partie da capo et une coda emportée (Molto vivace).

Lancé par la fanfare de trompettes mentionnée plus haut, le finale se présente comme un vigoureux thème et variations. Un épisode central en ut mineur interrompt toutefois ce tournoiement virtuose, qui reprend ensuite de plus belle jusqu’à la conclusion.

– Claire Delamarche

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