L’orgue
◁ Retour au concert du dim. 6 fév. 2022
Programme détaillé
Distant Figure, passacaille pour piano seul
[13 min]
The Poet Acts, extrait de «The Hours», pour piano
[4 min]
Dance 4, pour orgue
[24 min]
Étude 20, pour piano
[11 min]
Étude 12, pour piano
[6 min]
Mad Rush (version originale pour orgue)
[12 min]
Concert sans entracte.
Distribution
Maki Namekawa piano
James McVinnie orgue
Notre partenaire
Les œuvres
Distant Figure, passacaille pour piano seul
Composition : 2017.
Création : Aarhus (Danemark), 18 novembre 2017, par le pianiste Anton Baganov.
Commande : de la Ville d’Aarhus.
The Poet Acts
Extrait de la musique du film de Stephen Daldry The Hours (2002)
Arrangement pour piano solo par Michael Riesman et Nico Muhly : 2003.
Dance n° 4, pour orgue
Extrait de la musique du ballet Dance de Lucinda Childs.
Composition : 1978.
Création : Amsterdam, 19 octobre 1979.
Étude pour piano n° 20
Composition : 2007.
Commande : de Bruce Levingston.
Création : New York, Lindoln Center, 2007, par le dédicataire.
Étude pour piano n° 12
Composition : 2012.
Commande : du Perth Festival, à l’occasion du 75e anniversaire du compositeur.
Création : Perth, 16 février 2013.
Mad Rush, pour orgue
Composition : 1979.
Création : New York, cathédrale St-John-the-Divine, septembre 1979, par le compositeur.
Philip Glass, l’un des compositeurs les plus joués de notre temps, est considéré comme l’un des principaux représentants du courant minimaliste qui a émergé aux États-Unis dans les années 1960 dans les milieux artistiques d’avant-garde. En rupture avec la complexité de la musique contemporaine européenne et avec l’indétermination prônée par John Cage, la musique minimaliste explore la simplicité du matériau et de sa mise en œuvre, ainsi que l’objectivité de l’expression, neutre et abstraite. Le plus souvent, cette musique s’inscrit dans le flux temporel de la manière la plus élémentaire qui soit, par répétitions successives.
Glass accepte volontiers le qualificatif de minimaliste pour les créations de ses débuts à New York, après ses études musicales en France auprès de Nadia Boulanger et son retour d’un voyage qui l’a mené notamment en Inde et au Tibet. Mais il réfute le terme de «musique répétitive» (lui préférant celui de «musique à structures répétitives») car les processus combinatoires appliqués au matériau font que la musique change constamment. Pour l’auditeur, la simplicité des données initiales permet un niveau d’attention optimal, qui, si l’on consent à entrer dans le flux sonore, crée un jeu d’attentes, de frustrations et de résolutions qui peut devenir plaisant, voire addictif.
«La structure et le contenu sont identiques et c’est là l’idée maîtresse du minimalisme»
(Philip Glass)
Tout en restant fidèle à une écriture composée de trames sonores miroitantes en flux ininterrompu, Glass a élargi peu à peu sa création, dépassant les musiques de ses débuts pour petit effectif que jouaient à New York les musiciens de son ensemble, aguerris à ce nouveau style. Au gré de multiples collaborations artistiques des plus prestigieuses, il a abordé successivement tous les genres : ballet, musique de scène, opéra, musique de films, symphonie, concerto, quatuor à cordes, et son style a considérablement évolué, abandonnant l’ascétisme de ses premières œuvres pour une création recherchant les ambiances sonores les plus diverses, la délectation harmonique (toujours dans un langage résolument tonal et généralement non modulant), l’hédonisme des sonorités et la reconquête de l’expressivité.
Philip Glass se considère désormais comme un compositeur classique, et de ce fait, dans ses œuvres récentes, renoue volontiers avec les formes du passé, comme la passacaille, qui est une danse baroque fondée sur une structure répétitive (un schéma harmonique récurrent sur quatre ou huit mesures, donnant lieu à des variations écrites ou improvisées).
Dans Distant Figures, après une introduction recueillie où résonne une tierce mineure oscillante qui est la marque de fabrique de Glass, apparaît une structure harmonique récurrente de douze mesures qui va donner lieu à une impressionnante amplification du jeu pianistique, au fil de ses variations : arpèges volants, accords martelés, gammes pleines d’élan… la structure elle-même devient variable : extensions, parenthèses et boucles partielles permettent de se délecter du retour de certains enchainements d’accords. Après un climax qui relève quasiment de la transe, la forme musicale se referme peu à peu, en arche, jusqu’à une douce coda qui n’est autre que le rappel exact de l’introduction, comme un mirage, une chimère, l’illusion d’un temps circulaire.
Philip Glass est un compositeur prolifique de musiques de films, ayant collaboré avec des prestigieux réalisateurs comme Martin Scorcese (Kundun). En 2002, il compose l’intégralité de la bande originale du film The Hours de Stephen Daldry, pour lequel il est nommé aux Oscars et reçoit le prix Anthony-Asquith de la meilleure musique des BAFTA (académie britannique des arts, de la télévision et du cinéma) et celui de la meilleure musique originale aux Prestige Academy Awards. Pour évoquer la puissance de la littérature sur le destin de trois femmes d’époques différentes, Glass créée avec un petit ensemble de cordes et un piano des ambiances musicales prégnantes, dénuées de tout récit, qui laissent le champ libre à une narration cinématographique très travaillée. Devant le succès de cette bande originale, une transcription pour piano solo en a été tirée par Michael Riesman et Nico Muhly (collaborateurs réguliers de Philip Glass). The Poet Acts accompagne de sa profonde mélancolie la scène d’ouverture du film où Virginia Woolf, après avoir rédigé une lettre d’adieu à son mari, va s’engloutir dans les flots d’une rivière.
>>>>> Voir scène originale du film.
Dès le début de sa carrière de compositeur, Philip Glass s’est tenu à l’écart des cercles officiels de la musique contemporaine, avec «son mélange de folie dissonante et de politesse excessive» (Ph. Glass, Paroles sans musique, p. 221). Il trouvait son énergie créatrice en fréquentant les milieux du théâtre d’avant-garde, de la danse contemporaine et des performances des plasticiens. Il a même été un moment l’assistant du sculpteur Richard Serra dans ses projections de plomb fondu, grâce à ses compétences … d’artisan plombier.
Dance n° 4 est une pièce initialement composé pour orgue Farfisa, qui a été insérée en 1979 dans la musique du ballet Dance de la chorégraphe Lucinda Childs, avec laquelle Glass avait déjà collaboré en 1976 pour son opéra Einstein on the Beach. Elle utilise une écriture en arpèges par mouvement contraires d’une fluidité parfaitement régulière, conjuguant vitesse et immobilité. Au gré des structures répétitives, l’écoute se concentre sur les successions – prévisibles ou non – d’accords parfaits juxtaposés, soulignés de basses puissantes au pédalier. Le flux sonore ininterrompu dans une registration très sonore créée une formidable énergie. Et quand arrive enfin un accord de septième de dominante, c’est un véritable événement !
Philip Glass entretient avec son public des liens privilégiés, amplifiés par les facilités médiatiques actuelles de diffusion de sa musique, qui est appréciée bien au-delà des cercles d’amateurs de «musique contemporaine». Depuis ses débuts, il se présente sur scène en jouant ses propres œuvres au clavier, ce qui n’est pas si courant de nos jours, les compositeurs s’étant généralement éloignés du rôle d’interprète actif. Glass se définit lui-même comme «a decent pianist for a composer» [un pianiste acceptable, pour un compositeur]. C’est ainsi qu’il a composé un vaste cycle d’Études pour piano initialement à son propre usage, pour parfaire sa technique pianistique selon les exigences particulières de ses propres œuvres. Bien sûr, ces vingt études composées de 1994 à 2012 sont aussi des «études de composition» qui explorent une variété de tempi, de textures et de techniques du piano, forment un portrait musical de leur auteur et présentent un résumé de son évolution, jusqu’à ses prolongements récents. Mais au-delà des six premières études, qu’il comptait jouer en public, Glass s’est rapidement rendu compte qu’il avait envie de dépasser les limites de ses propres possibilités techniques, pour confier leur interprétation à des concertistes avérés. L’une des interprètes privilégiées de ce cycle est justement Maki Namekawa, qui a longuement travaillé avec Glass, s’est produite avec lui en concert et en a réalisé le premier enregistrement intégral (Orange Mountain Music).
«Les Études suggèrent parfois un dialogue avec les compositeurs du passé qui ont laissé leur marque sur cet artiste curieux et omnivore qu’est Glass. Ce n’est jamais au moyen d’une «imitation» évidente – sa voix reste parmi les plus originales et presque instantanément reconnaissables en musique moderne – mais de façon subtile, quasi clandestinement. La plus visible de ces présences passées est celle de Schubert, compositeur particulièrement cher à Glass (ils partagent même leur date d’anniversaire).»
(Thomas May, extrait d’une note de programme du Kennedy Center, Washington, 2018)
L’Étude n° 20 à laquelle aboutit ce vaste cycle est sans doute l’une des pièces les moins «répétitives» du compositeur, se concentrant sur l’harmonie, l’altération des accords, la douce amertume mineure, la blue note, les sonorités profondes ou cristallines du piano. Elle fait penser à Debussy, lui aussi compositeur de deux livres d’Études pour piano qui sont la quintessence de sa pensée musicale.
Et c’est évidemment à Schubert, ce maître du temps musical, et à sa Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur D 940 que fait penser l’Étude n° 12, même si la tonalité de l’étude de Glass est ré mineur. Une profonde nostalgie émane de ces deux pièces, proches d’une ascèse (au sens propre d’exercice).
Philip Glass, qui n’est pas organiste, a composé seulement un petit nombre d’œuvres pour orgue ; encore celles-ci sont le plus souvent destinées à être jouées sur des instruments électroniques adaptés à toutes sortes de configurations scéniques inédites ou expérimentales, et peuvent être également être jouées au piano (le compositeur se livrant volontiers à cet exercice). Mais en ce qui concerne Mad Rush, il s’agit bien d’une œuvre originale pour grand orgue. À l’origine, cette musique qui ne portait de titre a été composée pour un lieu et une occasion spéciale : la venue à New York du Dalaï-lama, et son premier discours prononcé en Amérique du Nord, dans la cathédrale St-John-the-Divine, à l’automne 1979. Philip Glass était déjà imprégné des traditions spirituelles indiennes et tibétaines qu’il avait étudiées suite à ses voyages en Inde et au Népal à partir de 1967, et avait déjà rencontré le Dalaï-lama dans son exil à Dharamsala en 1971. Il habitait alors tout près de St-John-the-Divine et il est venu composer cette œuvre sur l’orgue de la cathédrale pour accompagner l’entrée du Dalaï-lama.
Plus tard, en 1981, la chorégraphe Lucinda Childs réalisa une chorégraphie sur cette musique qui prit alors le titre ‒ quelque peu trompeur ‒ de Mad Rush. Pourtant les trames répétitives de cette pièce, aux sonorités successivement douces ou scintillantes, n’ont rien d’une course folle : les constantes oscillations rapides que forment les notes sur trois basses sans cesse réitérées sonnent finalement comme un miroitement immobile. Les mains posées sur le clavier, le plus souvent centrées dans le médium, révèlent la concentration d’un exercice spirituel. Glass considère que la musique est pour lui, comme les pratiques bouddhistes, un moyen de surmonter la négativité du monde moderne submergé par le stress.
– Isabelle Rouard
L’ORGUE DE L’AUDITORIUM
Les facteurs d’orgue :
Aristide Cavaillé-Coll (1878)
Victor Gonzalez (1939)
Georges Danion/S. A. Gonzalez (1977)
Michel Gaillard/Manufacture Aubertin (2013)
Construit pour l’Exposition universelle de 1878 et la salle du Trocadéro, à Paris, cet instrument monumental (82 jeux et 6500 tuyaux) fut la «vitrine» du plus fameux facteur de son temps, Aristide Cavaillé-Coll. Les plus grands musiciens se sont bousculés à la console de cet orgue prestigieux, qui a révélé au public les Requiem de Maurice Duruflé et Gabriel Fauré, le Concerto pour orgue de Francis Poulenc et des pages maîtresses de César Franck, Charles-Marie Widor, Marcel Dupré, Olivier Messiaen, Jehan Alain, Kaija Saariaho, Édith Canat de Chizy, Thierry Escaich ou Philippe Hersant. Remonté en 1939 dans le nouveau palais de Chaillot par Victor Gonzalez, puis transféré en 1977 à l’Auditorium de Lyon par son successeur Georges Danion, cet orgue a bénéficié en 2013 d’une restauration par Michel Gaillard (manufacture Aubertin) qui lui a rendu sa splendeur. La variété de ses jeux lui permet aujourd’hui d’aborder tous les répertoires, de Bach ou Couperin aux grandes pages romantiques et contemporaines. C’est, hors Paris (Maison de la Radio et Philharmonie), le seul grand orgue de salle de concert en France. En juin 2019, il a accueilli la première édition à l’orgue du Concours international Olivier-Messiaen.