Notes de programme

Händel

dim. 13 avril 2025

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Programme détaillé

Georg Friedrich Händel (1685-1759)
Te Deum de Dettingen, HW 283

I. We praise Thee, O God
II. All the earth doth workship Thee
III. To Thee all angels cry aloud
IV. To Thee Cherubim and Seraphim continually do cry
V. The glorious company of the apostles praise Thee
VI. Thou art the King of Glory
VII. When Thou tookest upon Thee to deliver man
VIII. When Thou hadst overcome the sharpness of death
IX. Thou sittest at the right hand of God
X. Sinfonia
XI. We therefore pray Thee, help Thy servants
XII. Make them to be number’d with Thy saints
XIII. Day by day we magnify Thee
XIV. Vouchsafe, O Lord, to keep us this day without sin

[38 min]

 

--- Entracte ---

Georg Friedrich Händel
Coronation Anthems

The King Shall Rejoice, HW 260
I. The King shall rejoice
II. Exceeding glad shall he be
III. Glory and great worship
IV. Alleluia

Let Thy Hand Be Strenthened, HW 259
I. Let Thy hand
II. Let justice and judgment
III. Alleluia

My Heart Is Inditing, HW 261
I. My heart is inditing
II. King’s daughters
III. Upon Thy right hand
IV. Kings shall be Thy nursing fathers

Zadok the Priest, HW 258

[36 min]

Distribution

Le Concert spirituel
Hervé Niquet 
direction

Introduction

Georg Friedrich Händel déploya pour la musique des princes un apparat d’exception, disposant de l’un des plus importants effectifs instrumentaux et vocaux qu’il lui serait donné de diriger. Il sut mettre son art et son énergie bouillante au service du pouvoir et de la glorification de la couronne d’Angleterre. C’est ainsi que ses quatre Coronation Anthems [Hymnes du couronnement] de 1727 permirent tout autant au jeune Saxon, fraîchement naturalisé, de démontrer un zèle dévoué au service de la couronne que de participer à la construction en musique d’un discours politique efficace en faveur du nouveau roi Georges II. C’est cette même fonction patriotique que symbolise son Te Deum de 1743, composé pour célébrer l’une des batailles du grand conflit européen contemporain qu’est la guerre de succession d’Autriche : la victoire de Dettingen sur les armées françaises de la coalition des armées autrichiennes, hanovriennes et britanniques, conduites par Georges II lui-même. 

– Bénédicte Hertz

Coronation Anthems

Composition : vers septembre 1727. 
Création : Londres, abbaye de Westminster, 11 octobre 1727, par la Musique du roi dirigée par Händel. 
Circonstance : couronnement du roi Georges Ier et de son épouse la reine Caroline de Brandebourg-Ansbach.

Début 1727, Händel devient sujet britannique. Lui qui «avait donné le témoignage et sa loyauté et de sa fidélité à Sa Majesté [Georges Ier] et au bien du Royaume», comme le stipule sa requête de naturalisation auprès du parlement, va avoir cette même année l’occasion de prouver son service à la couronne d’Angleterre. En juin de cette même année, Georges Ier décède, et Händel se voit commander quatre anthems – les Coronation Anthems – pour orner le couronnement du nouveau roi de Grande-Bretagne Georges II et de son épouse Caroline de Brandebourg-Ansbach, le 27 octobre 1727 en l’abbaye de Westminster. Il est ainsi au détriment de Maurice Greene, qui venait pourtant tout juste d’être nommé maître de musique à la Chapelle royale le 4 septembre 1727, en remplacement de William Croft décédé quinze jours auparavant. Cette entorse au protocole était la juste reconnaissance, par ailleurs unanime, de son talent. En tant qu’étranger, Händel n’avait jusque-là pu prétendre qu’à un poste officiel à la Musique du roi. Il ne bénéficiait en conséquence que d’une pension depuis 1723 comme «compositeur de la Chapelle royale». Il dut sans doute aussi cette préférence en raison de sa proximité avec le couple souverain, qu’il servait déjà alors comme maître de musique auprès de deux jeunes filles de la famille, Louisa et Anne.

Händel était déjà familier de ce genre anglais de l’anthem, mise en musique des antiennes liturgique en langue vernaculaire. Outre les Chandos Anthems composés à Cannons entre 1717 et 1718 pour le duc de Chandos, il en avait eu une large production pour la Chapel Royal, dès son arrivée en Grande-Bretagne en 1712, la plupart étant dévolus à la Morning Prayer [prière matinale] du palais Saint-James. Dans ce corpus, les anthems de circonstance – Coronation Anthems, Wedding Anthems ou Funeral Anthems [anthems de couronnement, de mariage ou de funérailles] – se démarquent par une pompe soulignée par une orchestration, une choralité et une architecture tenant de l’extraordinaire. Les quatre Coronation Anthems offrent une coloration et des subtilités orchestrales inédites : l’effectif divise les pupitres de hautbois et de bassons, et requiert trois parties de trompettes associées aux timbales, dont c’est probablement là la première apparition dans un anthem anglais.

Chaque anthem trouvait sa place dans la liturgie, comme en témoigne le nouveau rituel du service du couronnement que l’on fait imprimer dans la foulée : Let Thy Hand Be Strenthened est associé à l’intronisation, Zadok the Priest à l’onction, The King Shall Rejoice au couronnement du roi, My Heart Is Inditing à celui de la reine. L’ordonnancement de la cérémonie de 1727 restaure ainsi le cérémonial anglican, qui avait subi quelques aménagements lors du couronnement en 1685 de Jacques II, roi ouvertement catholique (certains anthems s’étaient trouvés déplacés ou adaptés, ainsi du My Heart Is Inditing, dont Purcell avait fourni une version plus développée).

La postérité retiendra les deux répétitions de la semaine qui précéda la cérémonie, sans doute parmi les plus fameuses de l’histoire, auxquelles le public assista avec «la plus grande affluence que l’on ait jamais vue» aux dires des chroniqueurs. Il faut dire que le journal londonien du Parker’s Penny Post avait alléché ses lecteurs en vantant «la musique qui sera chantée à l’abbaye pour le couronnement, et que les Italiens exécuteront avec plus d’une centaine des meilleurs musiciens», dont il assurait que «l’ensemble surpassera tout ce qu’on a pu faire dans ce genre». L’horaire des répétitions ne fut pas longtemps tenu secret et elles attirèrent en nombre les auditeurs qui attendaient avec une ferveur et un engouement non mesurés ces nouvelles compositions de leur génie national.

Le succès des Coronation Anthems fut aussi immédiat que durable, et ils furent exécutés à maintes reprises tout au long du règne de Georges II (1727-1760). Le plus célèbre d’entre eux, Zadok the Priest, est intégré depuis sa création au rituel du couronnement des souverains britanniques jusqu’au plus récent, celui de Charles III, en mai 2023. Extraits de l’Ancien Testament, et plus spécifiquement du Premier Livre des Rois, ses quatre versets glorifient l’onction du roi Sadoq, à laquelle le peuple énonce en hommage un «God save the King, long live the King, may the King live for ever !», qui n’est pas sans rappeler un autre hymne publié quinze ans plus tard et qui deviendra l’hymne royal.

– B. H.

Te Deum de Dettingen

Composition : du 17 au 29 juillet 1743 (première version retravaillée par la suite). 
Création : Londres, chapelle royale de St. James’s Palace, le 27 novembre 1743, par la Musique du roi dirigée par Händel. 
Circonstance : célébration de la victoire britannique à la bataille de Dettingen le 27 juin 1743.

La réforme anglicane avait adopté l’hymne du Te Deum traditionnellement attribuée par les catholiques romains à saint Ambroise. Elle prenait place dans la liturgie ordinaire du matin et, comme dans l’ensemble des monarchies du continent européen, se présentait comme l’hymne d’apparat par excellence, pièce centrale des services de circonstance, célébrant avec faste les fêtes et réjouissances du royaume. Purcell le premier y avait introduit les instruments en 1694 et Händel pérennisa le modèle avec son Te Deum d’Utrecht (célébrant la paix d’Utrecht en 1713), premier Te Deum en musique de sa composition qui fut suivi de quatre autres.

En 1743, Händel s’inspira très largement du Te Deum de l’Italien Francesco Antonio Urio (1631-1719) pour écrire son propre Te Deum de Dettingen. Riche de ses voyages, le Saxon possédait dans sa bibliothèque personnelle nombre de manuscrits, qu’il avait peut-être copiés lui-même, de l’œuvre d’Urio, mais aussi d’Erba, Kerl, Stradella, Muffat, Keiser etc. Il emprunta abondamment à ces auteurs dans ses compositions, et Urio seul fournit ainsi à Händel, en plus du Te Deum de Dettingen, de grandes pages musicales pour les oratorios Saul ou Israël en Égypte ou l’opéra Giulio Cesare in Egitto.

La victoire de Dettingen sur les Français, remportée au mois de juin 1743 en Bavière par Georges II en personne à la tête de l’armée de coalition rassemblant Britanniques, Hanovriens et Autrichiens, s’assortit comme à l’usage de réjouissances publiques que venait solenniser l’exécution en grande pompe d’un Te Deum. Händel avait sans doute imaginé que sa composition serait destinée à la cathédrale Saint-Paul, tant l’effectif grandiose paraît inadapté aux dimensions de la petite Chapelle royale du Saint James’s Palace.

Comme le voulait l’usage, le Te Deum fut accompagné lors du service d’un anthem. Händel fournit pour l’occasion une nouvelle version de The King Shall Rejoice (HWV 265), cette fois-ci en cinq mouvements, qui recyclent en partie des compositions antérieures, empruntées en partie à Telemann, en partie à son opéra Semele créé un mois avant.

À l’instar des Coronation Anthems, le Te Deum de Dettingen adopte un effectif d’apparat de circonstance : quatre solistes, un chœur à cinq voix, dialoguant avec un orchestre fourni. L’ensemble instrumental comprend, outre les cordes et la basse continue d’usage, deux hautbois, trois trompettes et des timbales rehaussant par l’éclat de leur timbre la solennité de certaines sections. Händel utilise ainsi à merveille le couple timbales/trompettes si symptomatique du Te Deum et des pièces royales pour chanter les louanges du souverain chef des armées et vainqueur de la guerre. Ils imposent la tonalité de majeur, brillante, claire et ostentatoire. 

Au-delà de cette utilisation traditionnelle, l’écriture déploie des trésors d’inventivité pour étendre la palette dramatique des cuivres. La trompette incarne à merveille sa fonction d’instrument céleste, soulignant la royauté divine, comme dans la section «Thou art the King» [«Ô Christ, tu es le roi de la gloire»]. Mais c’est aussi l’instrument du Jugement dernier, lorsque les trompettes s’élèvent seules dans le silence, pour évoquer le trépas à venir, dans la courte sinfonia qui suit le «Thou sittest at the right hand of God» [«Tu es assis à la droite de Dieu»]. Le quatuor vocal qu’elles introduisent («We therefore pray Thee» [«Nous te supplions donc de secourir tes serviteurs»]) redit, dans la tourmente des dissonances, l’espérance, celle de la rédemption finale pour chacun des fidèles, racheté par le Christ ou sauvé par son roi. Ainsi, à travers des sections courtes et contrastées, ménageant ses effets pour développer un discours efficace, l’œuvre enchaîne les déclarations discursives qui ne sont pas sans évoquer la rhétorique des grands oratorios, et notamment du Messie créé à Londres deux ans auparavant.

– B. H.