◁ Retour au concert du mar. 25 janv. 2022
Programme détaillé
Symphonie n° 90, en do majeur, Hob. I:90
I. Adagio – Allegro assai
II. Andante
III. Menuetto – Trio – Menuetto da capo
IV. Finale : Allegro assai
[26 min]
I. Adagio – Allegro
II. Adagio cantabile
III. Menuetto – Trio – Menuetto da capo
IV. Finale : Presto
[28 min]
--- Entracte ---
Ouverture de La scala di seta
[L’Échelle de soie]
[6 min]
Symphonie n° 94, en sol majeur, «La Surprise», Hob. I:94
I. Adagio cantabile – Vivace assai
II. Andante
III. Menuetto – Trio – Menuetto da capo
IV. Finale : Allegro di molto
[25 min]
Distribution
Kammerorchester Basel
Il Giardino Armonico
Giovanni Antonini direction
Haydn, père la symphonie
S’il n’est pas l’unique créateur du genre de la symphonie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Joseph Haydn est incontestablement celui qui a porté le genre à sa première perfection, grâce à une production d’une fécondité sans équivalent (106 symphonies !), en évolution constante, pour arriver aux chefs-d’œuvre classiques que sont les douze symphonies londoniennes.
Ses premières symphonies, composées dans les années 1758-1760 pour le modeste orchestre privé du comte Morzin, se démarquent à peine du genre du divertimento, ou de la sinfonia d’ouverture d’opéra à l’italienne en trois mouvements. Mais bientôt, avec les œuvres qu’il compose pour la cour du prince Esterházy (à partir de 1761), où il restera en service pendant un trentaine d’années, la symphonie adopte sa forme type en quatre mouvements et prend de l’ampleur, tant en durée qu’en variété de sonorités instrumentales, et en ingéniosité d’élaboration thématique et formelle. Ayant un orchestre de musiciens professionnels aguerris à sa disposition, Haydn pouvait librement expérimenter et approfondir ses idées et son style.
Dans les années 1780, sa renommée s’était étendue au-delà de sa cour hongroise pour toucher les capitales européennes, notamment par le biais de l’édition de ses œuvres. Les commandes et les invitations affluaient, tant et si bien que Haydn ne pouvait pas toujours toutes les honorer. En 1790, Haydn fut libéré de son engagement auprès des princes Esterházy, et put enfin avoir un contact direct avec le grand public en se rendant en personne à Londres pour deux séries de concerts triomphales (1791-1792 et 1794-1795) où furent crées ses douze dernières symphonies, les plus célèbres et les plus accomplies.
«Placé à la tête d’un orchestre, je pouvais me livrer à des expériences, observer ce qui provoque l’effet ou l’amoindrit et par suite, corriger, ajouter, retrancher, en un mot oser ; isolé du monde, je n’avais auprès de moi personne qui pût me faire douter de moi ou me tracasser, force m’était donc de devenir original.»
(Haydn, 1776, à propos de la composition des symphonies pour la cour d’Eszterháza).
Les Symphonies nos 90, 91 et 92 sont les dernières composées à Eszterháza en 1788 et 1789, avant le départ de Haydn pour Londres. Elles répondaient à une commande du comte d’Ogny, fondateur des Concerts de la Loge olympique et commanditaire de six précédentes symphonies «parisiennes» (nos 82-87, 1782-1787) qui avaient recueilli un grand succès. Or, en même temps, Haydn reçut une autre commande de trois symphonies de la part d’un gentilhomme bavarois, le prince d’Oettingen-Wallerstein, qui en souhaitait l’exclusivité. Après s’être fait prier, pressé par le temps, surmené par son travail de directeur de théâtre (108 représentations de 17 opéras différents furent données à Eszterháza en cette année 1788 !), Haydn finit par lui envoyer avec retard la copie des trois dernières symphonies dont il avait donné le manuscrit à Ogny. Le prince bavarois découvrit la supercherie mais ne tint pas rigueur à Haydn, puisqu’il lui commanda trois nouvelles symphonies… que Haydn ne put jamais lui fournir.
Haydn, Symphonie n° 90
Composition : 1788.
La Symphonie n° 90 a été conçue pour un orchestre d’effectif modeste (1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors altos en ut, timbales et cordes). Lorsqu’il la dirigea à Londres le 1er avril 1791, (sous le titre de Nouvelle Grande Ouverture), Haydn y ajouta des trompettes, dont il était certain de pouvoir disposer dans l’orchestre à grand effectif des concerts organisés par son ami Salomon.
La brève introduction lente feint de commencer sur un ton tragique mais, très vite, celui-ci s’allège. Les notes répétées créent une attente à laquelle répondent bientôt d’autres notes répétées, vives et légères, constitutives du premier thème de l’Allegro assai. Le second thème, chantant et primesautier, est confié à la flûte solo, relayée par le premier hautbois. Dans le développement, le potentiel dramatique des notes répétées est utilisé pour accroître la tension du discours modulant, laissant néanmoins reparaitre la mélodie légère de la flûte et du hautbois dans un joli contraste. La réexposition, revisitée en accentuant les effets dramatiques, se termine par le rappel du premier thème dans sa légèreté initiale.
Dans le second mouvement, en forme de variations à deux thèmes alternés, Haydn expérimente des sonorités nouvelles : le premier thème, à l’allure élégante d’une danse de cour, est d’abord joué les premiers violons doublés par le premier basson. Celui-ci laisse sa place à la flûte solo dans la première variation, puis au violoncelle solo à la récapitulation. Le second thème, joué essentiellement par les cordes, offre le contraste de sa tonalité mineure et son caractère déclamatoire.
Le robuste menuet donne encore l’occasion aux solistes de s’exprimer, notamment le hautbois, dans le trio central.
Dans le finale, au tempo très enlevé, on trouve encore des solos, mais les effets de masse orchestrale sont privilégiés, avec une abondance de fanfares brillantes (trompettes, cors et timbales). L’humour de Haydn se manifeste vers la fin, par une apparente conclusion… suivie d’un retour inopiné du thème principal dans une tonalité inattendue (ré bémol majeur), où les solistes semblent s’amuser de cet effet de surprise, avant la véritable coda en fanfares et traits tourbillonnants.
Haydn, Symphonie n° 98
Composition : 1792.
Création : Londres, 2 mars 1792.
La Symphonie n° 98 fait partie des douze symphonies «londoniennes» et frappe par sa grandeur sévère. Haydn y prend en compte les effets puissants qu’on peut obtenir avec un orchestre fourni dans une grande salle de concert. Beethoven, disciple de Haydn, en acquit plus tard le manuscrit autographe et s’en inspira, notamment dans sa Quatrième Symphonie, dans la même tonalité de si bémol majeur. Mais c’est aussi à Mozart que cette symphonie fait penser. Celui-ci venait de mourir (5 décembre 1791) quand Haydn composait cette symphonie. Des liens étroits d’amitié et d’admiration mutuelle liaient les deux compositeurs, et Haydn fut très affecté de la disparition de son jeune confrère.
«J’ai été longtemps hors de moi à la nouvelle de la mort de Mozart, et ne pouvais croire que la Providence ait si vite rappelé dans l’autre monde un homme aussi irremplaçable …»
(Lettre de Haydn, janvier 1792)
Il est peu probable que Haydn ait eu connaissance de la dernière symphonie de Mozart, la Quarante-et-unième (surnommée plus tard «Jupiter») : on ne sait même pas si elle fut jouée du vivant de Mozart, et sa première édition est un peu plus tardive (1793). Pourtant c’est à cette symphonie que la Quatre-vingt-dixuitième de Haydn fait songer, par son caractère énergique, noble et sérieux, et l’abondance de ses développements polyphoniques (dans le premier mouvement).
Coïncidence ou hommage, le second mouvement, que d’aucuns ont considéré comme une sorte de «Requiem pour Mozart», présente un thème au caractère d’hymne recueillie qui n’est pas sans ressemblance avec celui du mouvement lent de la Symphonie «Jupiter», outre que ses premières notes évoquent également le début du God Save the King.
Le menuet apporte une détente certaine, avec son thème bondissant et son trio d’allure naïve et populaire.
Le finale, très développé, est d’une grande richesse d’idées et de trouvailles originales. Il prend pourtant le prétexte d’un motif de danse assez mince, mais le transfigure par une vitalité rythmique constante. Le développement central comporte plusieurs solos de violon destinés à «Mr Salomon» (l’organisateur des concerts londoniens), et la coda, au tempo plus détendu (moderato) nous fournit la surprise d’un petit solo de clavecin, qui, selon un témoin londonien, fut interprété par Haydn lui-même au pianoforte «avec la plus grande précision et la plus grande délicatesse».
Haydn, Symphonie n° 94, «La Surprise»
Composition : 1792.
Création : Londres, 23 mars 1792.
La Symphonie n° 94, «La Surprise» est devenue très vite l’une des plus appréciées de Joseph Haydn, et tire son surnom d’un effet comique inséré dans le deuxième mouvement, propre à faire sursauter les auditeurs distraits ou somnolents (nous n’en dirons pas plus !). Sa popularité provient aussi de l’association parfaite entre de brefs motifs thématiques très simples, parfois d’allure populaire (comme le thème du deuxième mouvement qui ressemble à une chanson enfantine et qui reste très perceptible pendant toutes ses variations, ou encore celui du menuet, véritable danse campagnarde) et une élaboration formelle dense et recherchée, parfois teintée d’accents dramatiques. En cela Haydn se distingue de Mozart, chez qui l’abondante inspiration mélodique est souvent prédominante, et préfigure le travail sur le motif, plus important que le motif lui-même, caractéristique du style de Beethoven, le disciple le plus éminent de Haydn.
Pour terminer, le finale de la Symphonie n° 94 se présente comme une sorte de galop d’un caractère enlevé, léger et bondissant, qui entraîne l’auditeur dans toutes sortes de péripéties dignes d’une course poursuite échevelée. Un roulement de timbales souligne soudain une modulation inattendue, dernière «surprise» avant une conclusion brillante et pleine d’humour.
Rossini, Ouverture de L’Échelle de soie
Création (farsa comica) : Venise, Teatro San Moisè, 9 mai 1812.
Associer Haydn et le jeune Rossini est tout à fait judicieux, même si leurs carrières respectives se sont orientées dans des domaines d’activités bien différents. En effet, lorsqu’il était adolescent, Rossini avait étudié à Lugo puis au Liceo Musicale de Bologne, institution qui avait recueilli les archives de l’Accademia Filarmonica où avait été reçu le jeune Mozart, élève en 1770 du Padre Martini. On raconte que Rossini passait son temps dans la bibliothèque, à dévorer les partitions de Haydn et Mozart, ce qui lui avait valu le surnom de «il Tedeschino» [le petit Allemand]. C’est sans doute d’où il tient sa maîtrise de l’écriture symphonique, qu’il mettra au service de l’opéra. Mais pour son professeur, le père Stanislao Mattei, contrapuntiste de renom, l’influence germanique devait plutôt être combattue.
À partir de 1810, avec La cambiale di matrimonio, Rossini se lance dans une carrière de compositeur lyrique et recueille immédiatement un grand succès. La scala di seta [L’Échelle de soie], en 1812, est déjà son sixième opéra, et fait partie des cinq «farces comiques» en un acte qu’il écrivit pour le Teatro San Moisè de Venise de 1810 à 1813. Il a alors 20 ans !
L’ouverture, plein de charme, est restée célèbre. L’équilibre de la forme est celle d’un premier mouvement de symphonie classique, mais on décèle déjà des éléments qui seront la marque de fabrique de Rossini : la vivacité et la théâtralité, l’élégance délicate des mélodies confiées au hautbois et à la flûte solos dans l’introduction lente, les effets de surprise, les accents narquois qui ponctuent le second thème (joués aux bois), et surtout, un magnifique exemple du fameux «crescendo rossinien» en tutti tourbillonnant.
– Isabelle Rouard