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Notes de programme

MAHLER, Wunderhorn-Lieder

Gustav Mahler (1860-1911)
Des Knaben Wunderhorn
[Le Cor merveilleux de l’enfant]

Extraits :
– Rheinlegendchen [Petite Légende rhénane] : Gemächlich [Nonchalant] – août 1893
– Des Antonius von Padua Fischpredigt [Sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons] : Behäbig, mit Humor [Avec aise et humour] – juillet/août 1893
– Wo die schönen Trompeten blasen [Là où résonnent les belles trompettes] : Verträumt. Leise [Rêveur. Doux] – juillet 1898

[10 min]

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider, direction
Christiane Karg, soprano

Avant d’être une œuvre de Mahler, Des Knaben Wunderhorn [Le Cor merveilleux de l’enfant] est un recueil qui comporte plus de 500 poésies et de chants populaires, dans lequel ont également puisé Brahms, Richard Strauss, Schubert ou Schumann. Une somme et un témoignage incontournables de la culture populaire, transmis oralement pendant des siècles et rassemblés au début du xixe siècle sous l’impulsion de deux écrivains romantiques allemands, Achim von Arnim et Clemens Brentano. La variété et la richesse des sujets étaient propres à susciter l’intérêt des romantiques : légendes du Moyen Âge, mondes de l’amour de l’enfance mais aussi de la guerre sous tous ses aspects.

Rapidement fasciné par ce recueil, Mahler mettra en musique vingt-quatre poèmes au total, de 1888 à 1901. Dans les neuf premiers, il recourt à un accompagnement de piano. Mais l’univers des poésies est si riche qu’il appelle les capacités narratives de l’orchestre, vers lequel le compositeur tend déjà naturellement. Dès Zu Strassburg auf der Schanz [Sur les remparts de Strasbourg], le pianiste doit reproduire par des trilles graves le son des tambours. L’orchestre s’impose donc et Mahler y recourt systématiquement à partir de 1892, dans les treize Wunderhorn-Lieder pour voix et orchestre publiés en 1899 – trois mélodies intégrées à des symphonies seront ensuite écartées du recueil –, et dans les deux publiés en 1905 avec les Rückert-Lieder, Revelge [La Diane] et Der Tambourg’sell [Le Jeune Tambour].

En dehors même des thèmes abordés, il n’est guère surprenant que Mahler se soit intéressé de près à Des Knaben Wunderhorn. En effet, le recueil contient en germe des éléments stylistiques qui ne peuvent que le fasciner et dont il fait une large utilisation dans sa musique, tels l’ironie et le grotesque, mais il suppose aussi tout un monde sonore qui interpelle le compositeur : celui de la nature notamment, mais aussi celui de la musique militaire qui revient plus d’une fois, comme dans Revelge, pièce macabre et terrifiante qui illustre la proximité du soldat avec la mort, ou encore dans Der Tamboursg’sell. Dans un même registre tragique, Das irdische Leben, titre donné par Mahler lui-même qui signifie La Vie terrestre, mérite une attention particulière : un enfant affamé doit attendre que le grain soit semé, récolté, moulu et enfin cuit avant de pouvoir être nourri : le pain arrive trop tard, l’enfant meurt, d’où le titre original de Verspätung [Retard]. Ce lied s’inscrit en réalité dans une tradition : celle d’Erlkönig [Le Roi des Aulnes] de Schubert, où l’enfant est emporté par la mort ; mais ce thème a également fasciné Moussorgski, compositeur de référence pour Mahler, qui s’appuie sur un sujet équivalent dans la «Berceuse» des Chants et Danses de la mort.

Les Wunderhorn-Lieder s’inscrivent donc dans une tradition tout en regardant orchestralement vers l’avenir. Au-delà du monde tragique, la grande diversité des sujets abordés par le recueil Des Knaben Wunderhorn permet en effet à Mahler de démontrer sa grande maîtrise orchestrale et narrative dans des formes brèves avant de s’atteler à la symphonie, plus longue, plus complexe à gérer dramatiquement.
Le matériau musical des Wunderhorn-Lieder est de ce point de vue si important qu’il va servir de base à pas moins de trois symphonies, les Deuxième, Troisième et Quatrième, tout comme les Lieder eines fahrenden Gesellen avaient nourri la Première. Mahler puise ainsi très largement dans deux lieder pour abreuver sa Deuxième Symphonie : une version instrumentale de Des Antonius von Padua Fischpredigt [Sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons] constitue la base du troisième mouvement (Berio a lui-même repris ce mouvement de symphonie comme toile de fond d’une partie de sa célèbre Sinfonia, en 1968), tandis que Urlicht est devenu le quatrième mouvement de la même symphonie. Le troisième mouvement de la Troisième emprunte, à l’orchestre seul, Ablösung im Sommer [Relève en été] et le cinquième mouvement reprend Es sungen drei Engel [Trois anges chantaient], fondé sur le poème Armer Kinder Bettlerlied [Chant de mendicité des enfants pauvres]. Quant au finale de la Quatrième Symphonie, il repose sur le lied Das himmlische Leben [La Vie céleste]. On voit donc que les mondes du lied et de la symphonie s’interpénètrent dès le début de la carrière de Mahler et que la composition des Wunderhorn-Lieder marque un pas décisif dans l’évolution mahlérienne, qui s’explique par l’incroyable richesse des thèmes et les qualités narratives du cycle orchestral.
Benjamin Grenard

Textes chantés allemands

rheinlegendchen

Bald gras’ ich am Neckar
Bald gras’ ich am Rhein;
Bald hab’ ich ein Schätzel,
Bald bin ich allein.

Was hilft mir das Grasen,
Wenn d’ Sichel mich schneid’t
Was hilft mir ein Schätzel,
Wenn’s bei mir nicht bleibt!

So soll ich denn grasen
Am Neckar, am Rhein,
So werf’ ich mein goldenes
Ringlein hinein.

Es fließest im Neckar
Und fließest im Rhein,
Soll schwimmen hinunter
Ins Meer tief hinein.

Und schwimmt es, das Ringlein,
So frißt es ein Fisch.
Das Fischlein soll kommen
Auf’s Königs sein Tisch.

Der König tät fragen,
Wem’s Ringlein sollt’ sein?
Da tät mein Schatz sagen:
Das Ringlein g’hört mein.

Mein Schätzlein tät springen
Bergauf und bergein,
Tät mir wied’rum bringen
Das Goldringlein fein!

Kannst grasen am Neckar,
Kannst grasen am Rhein!
Wirf du mir nur immer
Dein Ringlein hinein!

Des Antonius von Padua Fischpredigt

Antonius zur Predigt
Die Kirche find’t ledig.
Er geht zu den Flüssen
Und predigt den Fischen.
Sie schlagen mit den Schwänzen,
Im Sonnenschein glänzen.

Die Karpfen mit Rogen
Sein all hierher zogen.
Hab’n d’ Mäuler aufrissen,
Sich Zuhörn’s beflissen.
Kein Predigt niemalen
Den Fischen so g’fallen.

Spitzgoschete Hechte,
Die immerzu fechten,
Sind eilends herschwommen,
Zu hören den Frommen.
Auch jene Phantasten,
Die immerzu fasten:
Die Stockfisch’ ich meine,
Zur Predigt erscheinen!
Kein Predigt niemalen
Den Stockfisch’ so g’fallen.

Gut Aale und Hausen,
Die Vornehme schmausen,
Die selbst sich bequemen,
Die Predigt zu vernehmen.
Auch Krebse, Schildkröten,
Sonst langsame Boten
Steigen eilig vom Grund,
Zu hören diesen Mund.
Kein Predigt niemalen
Den Krebsen so g’fallen.

Fisch’ große, Fisch’ kleine,
Vornehm’ und gemeine
Erheben die Köpfe
Wie verständ’ge Geschöpfe.
Auf Gottes Begehren
Die Predigt anhören.

Die Predigt geendet,
Ein jeder sich wendet.
Die Hechte bleiben Diebe,
Die Aale viel lieben;
Die Predigt hat g’fallen,
Sie bleiben wie Allen!

Die Krebs’ gehn zurücke,
Die Stockfisch’ bleiben dicke,
Die Karpfen viel fressen,
Die Predigt vergessen,
Die Predigt hat g’fallen,
Sie bleiben wie Allen.

Wo die schönen Trompeten blasen

„Wer ist denn draußen und wer klopfet an,
Der mich so leise, so leise wecken kann?“'
„Das ist der Herzallerliebste dein,
Steh' auf und lass mich zu dir ein!
Was soll ich hier nun länger steh'n?
Ich seh' die Morgenröt aufgeh'n,
Die Morgenröt, zwei helle Stern',
Bei meinem Schatz, da wär' ich gern,
bei meiner Herzallerlieble!“

Das Mädchen stand auf und ließ ihn ein;
Sie heißt ihn auch willkommen sein.
„Willkommen, lieber Knabe mein,
So lang hast du gestanden!“
Sie reicht ihm auch die schneeweiße Hand.

Von ferne sang die Nachtigall;
Das Mädchen fing zu weinen an.

„Ach weine nicht, du Liebste mein,
Aufs Jahr sollst du mein eigen sein.
Mein Eigen sollst du werden gewiss,
Wie's keine sonst auf Erden ist!
O Lieb' auf grüner Erden.
Ich zieh' in Krieg auf grüner Heid',
Die grüne Heide, die ist so weit.
Allwo dort die schönen Trompeten blasen,
Da ist mein Haus, von grünem Rasen.“

 

Textes chantés français

Petite Légende rhénane

Tantôt je coupe de l’herbe au bord du Neckar,
Tantôt au bord du Rhin,
Tantôt j’ai un amoureux,
Tantôt je suis seule.

À quoi bon couper de l’herbe
Si la faucille ne coupe pas,
À quoi bon une amoureuse
Si elle n’est pas avec moi ?

Donc, si je dois couper de l’herbe
Au bord du Neckar, du Rhin,
J’y jetterai
Ma petite bague en or.

Elle s’en ira avec le Neckar,
Elle s’en ira avec le Rhin,
Elle nagera au fond des eaux,
Jusqu’au fond de la mer.

Et elle nagera, la petite bague,
Et un poisson la gobera,
Et le petit poisson paraîtra
Sur la table du Roi.

Le Roi demandera :
«À qui est cette bague ?»
Et ma chérie dira :
«Cette petite bague est à moi !»

Ma chérie viendra en courant,
Par monts et vallées,
me rapporter
Ma belle petite bague en or.

Coupe de l’herbe au bord du Neckar,
Coupe de l’herbe au bord du Rhin,
Mais jettes-y toujours
Ta petite bague !

Sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons

Antoine, pour son sermon,
Trouve l’église vide.
II va au bord de la rivière
Et prêche aux poissons.
Ils remuent tous la queue,
Et brillent au soleil.

Les carpes et leurs petits
Se dont tous assemblés,
Bouche bée,
Écoutant attentivement.
Jamais sermon
n’a autant plu aux poissons !

Les brochets aux museaux pointus,
Toujours prêts à se battre,
En hâte sont venus
Entendre l’homme pieux.
Et même ces étranges créatures
Qui font tout le temps maigre
(Les merluches, je veux dire),
Se montrent au sermon.
Jamais sermon
N’a autant plu aux merluches !

Belles anguilles et beaux esturgeons,
Qui n’aiment que les festins,
Se rassasient
En écoutant le sermon !
Les crabes et les tortues aussi,
Pourtant si lents à se mouvoir,
Surgissent du fond
Pour écouter cette bouche.
Jamais sermon
N’a autant plu aux crabes !

Gros poissons, petits poissons,
Distingués ou communs,
Lèvent la tête
Comme des êtres intelligents.
Selon la volonté de Dieu,
Ils écoutent le sermon.

Le sermon terminé,
Chacun s’en retourne.
Les brochets restent des voleurs,
Les anguilles, des coureuses ;
Le sermon leur a plu,
Ils restent ce qu’ils étaient !

Les crabes marchent à reculons,
Les merluches sont toujours obtuses,
Les carpes s’empiffrent,
Le sermon est oublié !
Le sermon leur a plu,
Mais ils restent comme avant !

Là où résonnent les belles trompettes

«Qui est là, dehors, qui frappe à ma porte,
M’éveillant si doucement ?»
«C’est le plus cher amour de ton cœur.
Lève-toi et laisse-moi entrer.
Pourquoi devrais-je attendre plus longtemps ?
Je vois le matin poindre,
Le matin et deux étoiles brillantes.
Près de ma chérie, je voudrais être !
Près de ma bien-aimée !»

La jeune fille se lève et le fait entrer ;
Elle lui souhaite la bienvenue.
«Bienvenue, mon chéri,
Tu as attendu si longtemps dehors !»
Elle lui donna sa main blanche comme neige.
Au loin chantait le rossignol ;
La jeune fille se mit à pleurer.

«Ah, ne pleure pas, ma chérie !
Avant un an, tu seras mienne. Tu seras mienne, c’est sûr,
Comme personne d’autre, ici-bas, ne peut l’être !
Ô mon amour sur cette terre verte !
Je pars pour la guerre sur la lande verte,
La lande verte qui est si loin !
Là où résonnent les belles trompettes,
Là est mon foyer d’herbe verte.»

Traductions ONL