◁ Retour aux concerts des jeu. 17 avril et sam. 19 avril 2025
Programme détaillé
Ouverture Les Hébrides (La Grotte de Fingal), op. 26
[11 min]
Ouverture du Vaisseau fantôme
[11 min]
Mazeppa
[17 min]
--- Entracte ---
Les Nuits d’été, op. 7
Six mélodies avec un petit orchestre, sur des poèmes de Théophile Gautier
I. Villanelle : Allegretto
II. Le Spectre de la rose : Adagio un poco lento e dolce assai
III. Sur les lagunes (Lamento) : Andantino
IV. Absence : Adagio
V. Au cimetière (Clair de lune) : Andantino ma non troppo
VI. L’Île inconnue : Allegro spiritoso
[31 min]
Ouverture de Tannhäuser
[15 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Johanna Wallroth soprano
Introduction
Fuyant Riga criblé de dettes pour Paris en 1839, Wagner fut pris dans une terrible tempête au milieu des récifs norvégiens et forcé à un accostage d’urgence. C’est là qu’il entendit la légende du Hollandais volant. Il en fit le sujet de son premier opéra de maturité, Le Vaisseau fantôme, dont il dirigea la création à l’Opéra royal de Dresde en 1843. L’ouverture traduit la frayeur de sa propre traversée. Comment ne pas faire le parallèle avec Les Hébrides de Mendelssohn, présenté à Londres en 1832, qui traduit le saisissement du jeune homme de 20 ans devant une grotte frappée par des flots furieux, sur l’île écossaise de Staffa ? S’il fut une amitié artistique et personnelle hors du commun, c’est bien celle qui lia Wagner à Liszt, son aîné de deux ans devenu son beau-père (Wagner épousa en secondes noces sa fille Cosima). Les poèmes symphoniques de Liszt firent sur Wagner une impression prodigieuse, et Mazeppa (1854) est peut-être le plus grand d’entre eux. La chute du héros de Victor Hugo, traîné par un cheval inépuisable, et son triomphe final ressemblent au destin du héros éponyme de Tannhäuser, ouvrage créé lui aussi à Dresde, en 1845. Prisonnier de l’ensorceleuse Vénus et de ses appas blasphématoires, le poète Tannhäuser trouve le salut dans l’amour de la pure Élisabeth. Entre ces pages symphoniques tout en éclat, les Nuits d’été (1840-1856) apportent un charme frémissant et intime. Avec ce cycle inspiré par Théophile Gautier, Berlioz offre au genre de la mélodie française son premier chef-d’œuvre.
Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon
Mendelssohn Bartholdy, Ouverture Les Hébrides
Composition : 1829-1832.
Création : Londres, 14 mai 1832, sous la direction de Thomas Attwood.
Comme tous les artistes romantiques, Mendelssohn s’enthousiasme pour les romans de Walter Scott, les poèmes de Robert Burns et de James Macpherson. Ce dernier avait publié Fragments of Ancient Poetry Collected in the Highlands of Scotland en 1760, textes qu’il déclara avoir traduits du gaélique et de la langue erse (dialecte celtique de Haute-Écosse). Le succès du volume l’incita à poursuivre avec Fingal, an Ancient Epic Poem (1762) et Temora (1763), puis à rassembler ces sources dans The Works of Ossian, the Son of Fingal, Translated from the Gaelic Language (Les Œuvres d’Ossian, fils de Fingal, traduites du gaélique, 1765). On découvrit plus tard que l’auteur des textes n’était pas Ossian, barde du IIIe siècle, mais Macpherson lui-même.
Au XIXe siècle, le barde mythique inspire de nombreuses partitions, dont l’ouverture symphonique Les Hébrides que l’éditeur de Mendelssohn suggère de rebaptiser La Grotte de Fingal. Mais, alors que la plupart des musiciens romantiques connaissent l’Écosse par l’intermédiaire de sources littéraires et picturales, le jeune compositeur allemand a l’occasion de s’imprégner directement de l’esprit des lieux. En 1829, lors de son premier voyage en Angleterre, il voit de ses propres yeux les Highlands et les Hébrides. Il visite notamment l’île de Staffa où se situe la grotte de Fingal, source d’inspiration de l’ouverture Les Hébrides et de sa Troisième Symphonie, dite «Écossaise».
En 1831, il fait la connaissance de Berlioz à Rome et lui montre l’ouverture Les Hébrides. Mais quelques mois après, il lui écrit de Paris : «Je ne puis pas donner ici Les Hébrides, parce que, comme je te l’ai écrit dans le temps, je ne les trouve pas assez achevées ; le passage du milieu en ré majeur forte est très bête ; toute la modulation sent plus le contrepoint que l’huile de poisson, les mouettes et la morue salée, et ce devrait être tout le contraire. Or, j’aime trop ce morceau pour l’exécuter dans l’état d’imperfection où il est.» Dévoilée au public londonien le 14 mai 1832, l’œuvre est encore révisée avant d’être jouée dans sa version définitive à Berlin, le 10 janvier 1833, sous la direction de son auteur.
En dépit de son titre, elle ne transpose aucune source littéraire. Elle traduit plutôt les impressions de Mendelssohn contemplant les paysages mystérieux de l’île de Staffa. Au moyen d’un motif d’arpège et de combinaisons instrumentales inédites, elle évoque la houle et la résonance des sons dans la grotte. De cette matière ondoyante émergent plusieurs motifs thématiques – une mélodie teintée de mélancolie, un chant au lyrisme chaleureux, une vigoureuse fanfare –, qui s’évaporent dans l’éther des ultimes mesures. Ces Hébrides susciteront l’admiration, non seulement de Berlioz, mais aussi de Brahms et de Wagner, lequel en vantera la réussite «magnifique et magistrale».
– Hélène Cao
L’ouverture de concert
À l’origine, une ouverture était placée au début d’un opéra, d’un oratorio ou d’une musique de scène. Mais au XIXe siècle, les compositeurs écrivent aussi des ouvertures indépendantes destinées au concert. Ils s’inspirent souvent d’une source extramusicale (paysage, poème, pièce de théâtre ou roman). Berlioz et Mendelssohn se sont illustrés dans le genre, le premier avec les ouvertures de Waverley et de Rob Roy d’après Walter Scott, du Roi Lear d’après Shakespeare et du Corsaire d’après Fenimore Cooper, le second avec Mer calme et Heureux Voyage d’après Goethe, Les Hébrides, ou La Grotte de Fingal et La Belle Mélusine, inspirée par une légende poitevine. L’ouverture à programme annonce le poème symphonique, qui va la supplanter.
– H. C.
Wagner, Ouverture du Vaisseau fantôme
Composition : 1840-1841.
Création : Dresde, Opéra royal, 2 janvier 1843, sous la direction du compositeur.
Inspiré par Les Mémoires de Monsieur de Schnabelewopski de Heinrich Heine (1834), Le Vaisseau fantôme [Der fliegende Holländer] est le quatrième opéra de Wagner, le premier de la «trilogie romantique» poursuivie avec Tannhäuser et Lohengrin. Le compositeur abandonne le conte (Les Fées, son premier opéra), la comédie shakespearienne (La Défense d’aimer) et la fresque historique (Rienzi) pour se tourner vers les légendes nordiques, où le fantastique fait irruption dans la réalité quotidienne. Le «Hollandais volant» (titre allemand de l’opéra), condamné à l’errance pour avoir défié Dieu, sera rédimé seulement si une femme lui est fidèle jusqu’à sacrifier sa propre vie.
En janvier 1841, alors qu’il travaille au Vaisseau fantôme, Wagner publie un article intitulé «De l’ouverture» : il estime que cette introduction orchestrale doit être intimement liée au drame sans pour autant le résumer. L’ouverture du Vaisseau fantôme concrétise ce principe, puisqu’elle reflète le climat général de l’opéra dont elle expose les thèmes principaux. Dès les premières mesures, on entend ainsi le motif de fanfare associé au Hollandais ; plus loin, apparaissent la mélodie nostalgique de la future Ballade de Senta (acte II) et le joyeux chant des marins (acte III). Mais surtout, l’ouverture constitue la première «action» de l’œuvre, puisqu’elle figure la tempête qui oblige le navire de Daland à faire escale, et les ouragans intérieurs qui déchirent l’âme du Hollandais. Comme chez Mendelssohn, elle s’enracine dans une expérience vécue : en juillet 1839, Wagner et son épouse Minna avaient embarqué sur un navire en direction de Copenhague afin de fuir Riga, où leurs créanciers les poursuivaient. Au large des côtes norvégiennes, une violente tempête avait mis l’embarcation en péril. Wagner a raconté plus tard avoir aperçu un mystérieux bateau, vision qui aurait en partie stimulé la composition de son opéra.
– H. C.
L’ouverture d’opéra
Au XVIIe siècle, l’ouverture d’un opéra devait attirer l’attention du spectateur et, dans certains cas, affirmer la puissance du commanditaire. Au siècle suivant, Rameau compose quelques ouvertures «à programme» en relation avec le livret. À l’époque de Mozart, la majorité des ouvertures adoptent la structure d’un premier mouvement de symphonie sans établir de lien précis avec l’opéra. Mais dans Iphigénie en Aulide (1774) de Gluck, L’Enlèvement au sérail (1782) et Don Giovanni (1787) de Mozart, l’ouverture s’enchaîne à l’acte I et contient des éléments thématiques qui seront réentendus dans la suite de l’œuvre. Ici, elle n’est plus un simple lever de rideau équivalent aux «trois coups» d’une pièce de théâtre. Une idée dont s’empare Wagner, chez qui l’ouverture transpose le climat général du drame, voire lance l’action, comme dans Le Vaisseau fantôme.
– H. C.
Liszt, Mazeppa
Composition : 1851-1854.
Création : Weimar, 16 avril 1854, sous la direction du compositeur.
En quête de héros auxquels elle puisse s’identifier, l’Europe romantique s’enthousiasme pour Mazeppa, cosaque ukrainien qui, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, aurait été attaché, nu, à un cheval lancé au galop pour le punir de sa relation adultère avec une comtesse mariée. Au terme d’une chevauchée qui aurait dû lui être fatale, il est cependant sauvé par des paysans. Bien que la légende prenne des libertés avec la réalité historique, elle n’en inspire pas moins Byron et Hugo, les peintres Géricault, Delacroix, Vernet, Boulanger et Chassériau. Le compositeur irlandais Michael William Balfe en fait le sujet d’une cantate en 1862, Tchaïkovski et Clémence de Grandval le portent à la scène dans des opéras créés respectivement en 1884 et 1892.
Mais Liszt précède ces musiciens avec une pièce pour piano intitulée Mazeppa (1840). Quand il l’intègre au recueil de ses Études d’exécution transcendante, en 1851, il la convertit parallèlement en poème symphonique. Il ajoute au matériau de départ une section introductive (figurant le coup de fouet donné au cheval et le début de sa course éperdue) et une péroraison triomphale, issue d’un Arbeiterchor (Chœur des travailleurs) de 1848. En tête de sa partition orchestrale, il place la totalité du poème que Victor Hugo avait publié dans Les Orientales (1829), poème qui comprend lui-même une épigraphe empruntée à Byron. Son poème symphonique suit la trajectoire de cette source littéraire, même s’il ne cherche pas véritablement à évoquer le rythme d’une chevauchée. La première partie (l’orchestration de l’étude pour piano) se coule dans la forme d’un thème et variations. Un silence, suivi d’une ligne mélodique erratique, annonce la fin du supplice, ce que confirme la seconde partie riche en fanfares cuivrées.
– H.C.
Le poème symphonique
Inspiré par une source extra-musicale (littéraire, picturale ou historique), le poème symphonique se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ses racines puisent dans la symphonie à programme (Symphonie n° 6, «Pastorale» de Beethoven, Symphonie fantastique de Berlioz), l’ouverture d’opéra et l’ouverture de concert. Vers 1853, Franz Liszt invente le terme de symphonische Dichtung («poème symphonique»), qu’il illustre avec treize partitions. Ce genre offre une alternative à la symphonie et laisse plus de liberté formelle au compositeur. En un seul mouvement, il transpose parfois une action dramatique (Mazeppa de Liszt, Les Djinns de Franck, Till l’espiègle de Strauss), brosse le portrait psychologique d’un personnage (la plupart des poèmes symphoniques de Liszt), ou suggère une trajectoire dans un paysage (Dans les steppes de l’Asie centrale de Borodine).
– H.C.
Berlioz, Les Nuits d’été
Composition : 1840-1841, orchestration en 1843 et 1856.
Création : Leipzig, 23 février 1843, par Marie Recio sous la direction du compositeur pour Absence ; Gotha, 6 février 1856,par Anna Juliane Bochkoltz-Falconi, sous la direction du compositeur, pour Le Spectre de la rose. Date de création des autres mélodies inconnue.
Avec Les Nuits d’été, Berlioz offre son premier chef-d’œuvre au genre de la mélodie française. En 1843, deux ans après l’achèvement du recueil dans sa version pour voix et piano, il orchestre Absence à l’intention de sa maîtresse, la chanteuse Marie Recio. Ce n’est qu’en 1856 qu’il dote les autres mélodies d’une parure symphonique. À l’origine, il avait écrit ses six pièces pour différents types de voix, preuve qu’il ne les concevait pas comme un cycle (il n’a d’ailleurs jamais entendu Les Nuits d’été dans leur intégralité). Mais la cohérence poétique de l’ensemble invite au regroupement et à des transpositions permettant l’interprétation par une seule et même voix.
La totalité des poèmes provient d’un volume publié par Théophile Gautier en 1838 sous le titre de La Comédie de la mort. Ce titre désigne en fait la première section du recueil, laquelle porte cet intitulé que l’écrivain a repris pour l’ensemble du livre (qui aurait pu être titré, pour plus de clarté, La Comédie de la mort et autres poèmes). Au terme de cette première section, la mention «fin de la Comédie de la mort» crée une séparation claire avec ce qui suit. Or, les poèmes choisis par Berlioz ne font pas partie de cette Comédie de la mort, contrairement à ce qui est souvent dit. Si la Grande Faucheuse étend son ombre sur plusieurs mélodies des Nuits d’été, il ne faut pas non plus exagérer son emprise.
Deux mélodies rapides encadrent quatre mélodies lentes, avec une grande variété de facture et de climat : chanson joyeuse (Villanelle), atmosphère rêveuse et irréelle (Le Spectre de la rose), plainte obsessionnelle (Sur les lagunes), invocation à l’effusion retenue (Absence), trouble insidieux (Au cimetière), ample souffle lyrique (L’Île inconnue). Les mélodies possèdent chacune une structure formelle différente, les combinaisons des timbres instrumentaux contribuant de façon significative à leur individualisation. Si Berlioz n’avait probablement pas l’intention de les orchestrer au moment de leur composition, l’écriture pianistique, peu idiomatique, semble appeler des couleurs symphoniques. Quant à la partie vocale, elle exploite toutes les nuances d’une écriture syllabique offrant une parfaite intelligibilité. Le ton populaire, des lignes étirées et comme suspendues, les élans passionnés, le récitatif et la psalmodie se succèdent, parfois au sein d’une même pièce.
Si les mélodies lentes font allusion à la mort, Sur les lagunes est la seule au ton constamment tragique. Mais à l’inverse, l’enjouement des deux morceaux rapides s’avère factice. La dernière strophe de la Villanelle contient des couleurs harmoniques qui sous-tendent quelque menace, tandis que L’Île inconnue s’achève sur l’image de la brise et les bribes d’un refrain disloqué. Berlioz nous abandonne sur le souffle du vent, au terme d’une invitation au voyage dont la destination est un rêve inaccessible.
– H. C.
La mélodie française
Si le mot mélodie désigne une succession de hauteurs sonores organisées de façon à former une entité cohérente et significative, il est aussi associé à un genre qui émerge en France dans les années 1830 : une pièce brève pour voix et piano, souvent sur un texte à haute valeur poétique (Victor Hugo, Alfred de Musset, Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Charles Baudelaire, etc.). L’une des premières occurrences du terme mélodie apparaît en 1829 avec les Neuf Mélodies imitées de l’anglais de Berlioz, plus tard rééditées sous le titre d’Irlande. En orchestrant Absence (extraite des Nuits d’été) en 1843, puis La Captive en 1848, Berlioz ouvre une voie dans laquelle s’engagent ensuite Saint-Saëns, Massenet et Duparc : la mélodie devenant plus fréquente au concert dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’orchestre permet de «remplir» l’espace d’une grande salle davantage que le seul piano.
– H. C.
Wagner, Ouverture de Tannhäuser
Composition : 1842-1845.
Création : Dresde, Opéra royal, 19 octobre 1845, sous la direction du compositeur.
Après le cadre norvégien du Vaisseau fantôme, Wagner décide d’inscrire son nouvel opéra au cœur de l’Allemagne médiévale, dans le château de la Wartburg, en Thuringe, symbole au XIXe siècle d’une Allemagne en quête d’unité. Son héros, un Minnesänger (l’équivalent d’un troubadour), symbolise l’artiste romantique qui remet en question les conventions. Comme Liszt dans Mazeppa, Wagner s’appuie sur un personnage ayant réellement existé (le véritable Tannhäuser était actif au milieu du XIIIe siècle). Cependant, il n’est pas anodin qu’il choisisse, non un chevalier, mais un poète-musicien.
Si Tannhäuser s’interroge sur ses relations avec la tradition (comme plus tard Walther dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg), il incarne aussi le conflit entre des aspirations spirituelles et un désir charnel. L’ouverture de l’opéra en témoigne d’emblée : le thème solennel des pèlerins qui constitue le socle de sa première partie s’oppose à la musique fiévreuse et diaprée du Venusberg, «chant furieux de la chair» pour reprendre les termes de Baudelaire. Au cœur de cet épisode voluptueux résonne également un thème à la fois héroïque et passionné associé au personnage principal. La dernière partie reprend le thème des pèlerins. La conclusion majestueuse de cette ouverture qui, par ses proportions et son contenu, s’apparente à un poème symphonique, annonce la rédemption de Tannhäuser à la fin de l’opéra.
– H. C.