L’orgue
◁ Retour au concert du sam. 4 nov. 2023
Programme détaillé
- C#1
[31 min]
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Minecraft (Extraits)
- Beginning – Key – Door – Mice on Venus
- Living Mice – Moog City
[20 min]
- I, Philip
- Vood(oo)
[10 min]
Minecraft (Extraits)
- Dry Hands – Wet Hands – Sweden
[10 min]
Symphonie-Passion
- 4e mouvement : «Résurrection»
[7 min]
Concert sans entracte.
Distribution
Cindy Castillo orgue
Pierre Slinckx électronique
Luca Akaeda Santesson orgue
Slinckx, C#1
Création : Bruxelles, église Notre-Dame-des-Grâces, 16 novembre 2016, Festival Ars Musica, par Cindy Castillo (orgue) et Pierre Slinckx (électronique).
Enregistrement : 2019, Label Cyprès.
Dédicace : Cindy Castillo.
Rares sont les occasions de redécouvrir l’orgue grâce aux instruments électroniques. C’est le pari que se sont donné Pierre Slinckx et Cindy Castillo pour la composition de C#1, pour orgue et dispositif électronique en temps réel. Le compositeur belge Pierre Slinckx est un habitué de la musique dite mixte, c’est à dire qui mêle à fois les instruments acoustiques et les instruments électroniques. Ses pièces M#1, pour quatuor et électronique (publié en même temps que C#1), ou encore H#1/2/3/4, pour ensemble et électronique, incarnent parfaitement la recherche musicale du compositeur ces dernières années.
C#1 est né de la rencontre entre l’interprète (C comme Cindy ou Castillo) et le compositeur entre 2015 et 2016. C’est à l’occasion d’une carte blanche donnée à l’organiste pour l’édition du festival Ars Musica de 2016 que leur première collaboration prend vie. C#1 est une exploration des multiples richesses offertes par un grand orgue à quatre claviers, avec une grande puissance sonore, comme celui de Notre-Dame-des-Grâces à Bruxelles, où l’œuvre a été créée et enregistrée. L’électronique (composée entre autres d’un ordinateur, de contrôleurs MIDI, et de samplers) est aussi considérée comme un instrument à part entière, loin d’une simple extension de l’orgue. Cindy Castillo et Pierre Slinckx jouent tous les deux sur scène de leur instrument, côte à côte, comme un duo de musique de chambre.
Pour recevoir la musique de Pierre Slinckx, il faut comprendre qu’il ne donne pas de titre à ses pièces afin d’exclure toute métaphore musicale : «Je ne cherche jamais l’inspiration ailleurs que dans le son, l’acoustique et la musique. C’est pour cette raison que je ne donne pas de titres à mes compositions, comme une invitation à écouter la musique dans toute son abstraction», affirme le compositeur.
Pierre Slinckx poursuit : «C#1 est une pièce en forme explosive où les premières mesures du Choral BWV 721 (Erbarm dich mein) de Jean-Sébastien Bach sont prises dans une spirale infiniment ascendante qui les distord jusqu’à un paroxysme techno». Les inspirations hétéroclites de C#1 invitent à s’immerger dans une atmosphère envoûtante. Le timbre grave de l’orgue atteint l’écoute après quelques secondes. Les tissus et nappes sonores se superposent dans une atmosphère très planante, où l’électronique et acoustique ne font qu’un. Dans une longue et lente ascension, entre tension et détente, des vibrations apparaissent, à la manière d’une pulsation interne au plus profond des couches sonores. Comme si la première ascension n’était là que pour se préparer, une deuxième prend le relai, plus rapide cette fois-ci, pulsée par des distorsions électroniques qui empruntent aux marches harmoniques de chez Bach, l’un des grands maîtres de l’instrument. L’ascension mène jusqu’à un long do dièse dans les aigus – do se traduisant C en notation anglaise, comme une référence au titre.
Toujours plus majestueux et impressionnant, ce duo orgue et électronique provoque des frissons et transporte dans un monde où se côtoient paix et danger.
Pour finir, le thème du choral de Bach se révèle, et s’intègre parfaitement au climat, comme si l’orgue ne pouvait finalement jamais se détacher de son héritage musical et de ses figures emblématiques. Ralenti par rapport aux interprétations habituelles, il est aussi varié, prolongé, jusqu’à un final grandiose.
C#1 est un hommage à cet instrument si rarement exploité au sein des musiques électroacoustiques. Avec ses timbres et registres amples, l’orgue n’a pas encore raconté tous ses secrets. Pierre Slinckx parvient à réaliser parfaitement cette connivence entre l’orgue, l’électronique mais aussi la mise en lumière flamboyante.
– Irène Hontang
Rone, Vood(oo) – I, Philip
I, Philip
Composition : 2016, pour le court-métrage I, Philip, réalisé par Pierre Zandrowicz.
Sortie : 3 novembre 2017, dans l’album Mirapolis, produit par le label InFiné.
Vood(oo)
Composition : 2016.
Sortie : 25 mars 2016, dans l’EP Vood(oo), produit par le label InFiné.
Considéré comme l’un des artistes de la scène électronique les plus créatifs de sa génération, Rone (de son vrai nom Erwan Castex) ne cesse de surprendre par ses nombreuses collaborations. En 2021, il présente à l’Auditorium de Lyon L(oo)ping, un concert électro-classique avec l’Orchestre national de Lyon sous la direction de Dirk Brossé, programme repris durant la saison 2022/2023 à l’Auditorium et à la Philharmonie de Paris, enregistré en CD chez InFiné (juin 2023) et retracé dans un reportage télévisé (Arte).
Captivé par les nouvelles technologies, il compose en 2016 la bande originale de I, Philip, court-métrage de Pierre Zandrowicz, la première fiction française en réalité virtuelle, tournée en 3D et en 360°. Le scénario propose d’imaginer la dernière histoire d’amour de Philip K. Dick, l’auteur de Blade Runner entre autres. Rone a composé une musique tout aussi contemplative et émouvante que le scénario. Il a étudié le cinéma et maîtrise parfaitement la composition de musique à l’image, jusqu’à obtenir la plus belle récompense en France en 2020, le César de la meilleure bande-originale pour La Nuit venue de Frédéric Farrucci.
La musique de Rone est mélancolique et mystérieuse. I, Philip répond tout à fait à cette dynamique. Le morceau a ensuite été publié au sein de l’album Mirapolis sorti en novembre 2017, qui a été inspiré par le souvenir d’enfance d’un ancien parc d’attraction du même nom (rendu célèbre par sa statue gigantesque de Gargantua), alors situé à Courdimanche dans le Val d’Oise, où il observait souvent l’entrée sans jamais y franchir les portes. Le compositeur a fait le choix d’insérer I, Philip dans cet album allant en adéquation parfaite avec ces atmosphères brumeuses.
Composé dans les mêmes années, Vood(oo) laisse entendre le souvenir d’une rave party, d’une fête trop animée, mêlée à un univers planant. Les inspirations de la musique techno se ressentent davantage, grâce aux rythmes, à la pulsation effrénée, mais aussi aux sons de scratch de vinyle, typique des années quatre-vingt-dix. La graphie originale du titre est empruntée au morceau (OO), sorti en 2015, dont le geste fait allusion à un personnage aux yeux écarquillés.
Aujourd’hui omniprésente, cette particularité graphique traduit la perception que l’on peut avoir de la musique de Rone : surprenante, envoutante, prête à mettre son public en transe.
Jeune organiste à la carrière prometteuse, Luca Akaeda-Santesson entretient une affection de longue date avec cette musique, que l’on n’associe pas spontanément à son instrument. Il a pu approfondir ce lien en participant, au sein de l’ONL, aux différents concerts donnés par Rone avec la formation lyonnaise. «Le rapport qui naît entre le compositeur et l’interprète rend beaucoup de vivacité à la musique, je pense que c’est important. Dans mon cas personnel j’ai eu l’occasion d’échanger à de multiples reprises avec Erwan [Rone, n.d.r.] : nous avons échangé sur nos idées et sur nos points de vue sur ses pièces», précise l’organiste. Également conscient de sa démarche inédite d’interpréter cette musique en public à l’orgue, il ajoute : «Il y a des “choix” artistiques à faire lorsqu’on joue de l’orgue. Chaque orgue est différent, chaque musique est différente, chaque concert sera donc différent. Dans le cas de Minecraft, mais également de Rone, les compositeurs n’ont pas à se soucier que leur musique puisse être jouée par un instrumentiste, c’est donc notre rôle d’adapter la musique pour qu’elle soit jouable à l’instrument. Des passages peuvent être allégés ou modifiés s’il en est nécessaire. Le but n’est pas d’imiter à tout prix le son original, mais surtout de garder l’identité de la pièce.»
– I. H.
C418, Minecraft
Composition : 2009-2011.
Sortie : 18 novembre 2011, avec le jeu Minecraft sur PC.
En novembre 2011, Minecraft bouleverse l’industrie du jeu vidéo. C’est Markus Persson, un illustre inconnu suédois passionné de programmation, qui est à l’origine du projet. Alors qu’il développe les interfaces du jeu vidéo, il demande à C418 (Daniel Rosenfield), un autre passionné avec qui il chatte régulièrement en ligne (sur la plateforme TigSource, dédiée à la création de jeux indépendants) de composer les musiques et sons de Minecraft. C’est à ce moment que débute la carrière du compositeur.
Daniel Rosenfield est un jeune musicien autodidacte allemand né à Chemnitz (qui s’appelle encore Karl-Marx-Stadt), non loin de Dresde. Sa pratique musicale lui vient de son frère aîné, son plus grand modèle. Grâce à lui et au logiciel Ableton, dont il a récupéré une version piratée, il découvre que l’ordinateur peut être un instrument de musique. Pour Rosenfield, cette découverte est vue comme un espace infini : les effets, les rythmes et les dynamiques sont des paramètres faciles à manipuler – et c’est grâce à ce logiciel que naît la musique originale du jeu-vidéo Minecraft.
Minecraft est un jeu libre, appelé aussi «bac à sable», qui peut être apparenté aux jeux de lego. À l’aide d’un personnage, le but du jeu est de construire son propre univers à l’aide de cubes, représentant des végétaux ou des matériaux mis à disposition. Il existe aussi divers modes de jeu où le joueur peut interagir avec d’autres en ligne ; construire son propre univers ; ou même atterrir dans un monde complexe où il doit survivre.
Le concept du jeu impose au compositeur une problématique majeure : comment composer une musique d’un monde encore inconnu ?
C418 palie cette difficulté en créant de nombreux impromptus aux mélodies minimalistes, simples et calmes. Il utilise presque systématiquement le loop, un outil qui permet la répétition d’une petite cellule de sons afin de créer une boucle. Pour Luca Akaeda-Santesson, organiste et amateur du jeu Minecraft, la mission du compositeur est accomplie : «La musique doit s’adapter à l’infinité des possibilités du jeu, et c’est chose très réussie. Elle a en effet un impact crucial sur l’expérience de Minecraft, surtout quand on joue en mode solo. C’est un des éléments qui sont restés le plus clairement dans mes souvenirs. Le lien principal que j’attache à cette musique est unique pour chaque pièce, mais la sensation de nostalgie, d’enfance est toujours présente. Chaque musique donne ensuite un aperçu de l’expérience Minecraft : les grands paysages, l’aventure, les grottes et les moments de tranquillité à la maison, hors de tout danger.»
Une deuxième contrainte arrive rapidement au compositeur. Le jeu possède une faible puissance de son, et donc limite les possibilités musicales : «Imaginez un fichier audio en boucle qui est lu pendant deux secondes, puis qui recommence. Disons que c'est un effet sonore de pluie et que maintenant vous êtes sur une plage, donc vous avez aussi des sons de vagues – mais si vous faites cela, si vous jouez simultanément deux fichiers sonores en boucle, le moteur plante. Et le moteur ne dispose que de 20 canaux sonores. Ainsi, si vous créez une ferme de vaches ou de moutons, vous ne pouvez pas faire en sorte que tous les animaux fassent du bruit en même temps. Terrible», admet Daniel Rosenfield dans une interview accordée au Guardian.
Malgré ces deux contraintes, la musique de C418 ouvre un vaste espace, avec des accords et mélodies simples et maîtrisés qui marquent les esprits, comme celui de l’interprète : «Je rêve depuis toujours de jouer des pièces qui tiennent un grand rôle dans ma vie, que ce soit la musique pour orgue ou tout autre musique. […] Minecraft fait partie de ces musiques qui me connectent à mon enfance, à la nostalgie, et à celle de millions de personnes autour du monde, tout en ayant une identité qui peut s’imiter et se réapproprier à l’orgue. J’ai donc choisi cette musique. C’est en parlant à d’autres joueurs de Minecraft tout au long de ma vie que j’ai réalisé l’impact que cette musique a eu pour chacun de nous, c’est quelque chose de fascinant. Je suis un grand joueur de ce jeu, j’y ai passé plusieurs milliers d’heures : c’est un monde vaste avec toutes sortes de moyens de s’amuser.»
– I. H.
Dupré, Résurrection
Composition : 1924, d’après une improvisation du 8 décembre 1921.
Création : Londres, cathédrale de Westminster, 9 novembre 1924, par l’auteur, pour l’inauguration du grand orgue.
Création française : Paris , palais du Trocadéro, 30 avril 1925, par l’auteur.
Dédicace : à Charles Courboin, «en souvenir du grand orgue Wanamaker de Philadelphie».
Figure clef de l’orgue, Marcel Dupré n’échappe à aucun organiste, qu’il soit débutant ou confirmé. Compositeur, interprète, improvisateur, pédagogue, éditeur et directeur du Conservatoire de Paris, il marque l’histoire de son instrument par ses œuvres et ses nombreux élèves qui ont aussi gravé leur nom dans la roche, tels Olivier Messiaen, Pierre Cochereau ou Jehan Alain.
En 1921, alors que sa carrière d’interprète s’élargit à l’international, il part pour une tournée nord-américaine aux États-Unis puis au Canada. Il improvise alors quatre mouvements d’après quatre thèmes imposés. C’est ainsi que naît la Symphonie-Passion, véritable fresque musicale de la vie du Christ. Des quatre mouvements (les trois premiers étant «Le Monde dans l’attente du Sauveur», «Nativité», «Crucifixion»), le dernier, «Résurrection», est sûrement le plus magistral. Il est construit sur le thème de l’hymne catholique Adorote devote, qui apparaît tout au long du mouvement ; dans un premier temps en notes longues, dans le registre grave de l’instrument, puis plus rapidement dans l’aigu, avant de riches développements et une conclusion glorieuse dans les graves encore une fois.
Deux ans après l’exercice d’improvisation de Dupré, l’œuvre est officiellement arrangée, publiée et créée par l’auteur à Londres, pour l’inauguration du grand orgue de la cathédrale royale de Westminster. C’est sur l’imposant orgue du Trocadéro (à Paris), aujourd’hui celui de l’Auditorium de Lyon, que Marcel Dupré jouera pour la première fois cette symphonie en France, en 1925. C’est sur les pas du compositeur que Luca Akaeda-Santesson interprétera ce finale glorieux.
– I. H.
L’ORGUE DE L’AUDITORIUM
Les facteurs d’orgue :
Aristide Cavaillé-Coll (1878)
Victor Gonzalez (1939)
Georges Danion/S. A. Gonzalez (1977)
Michel Gaillard/Manufacture Aubertin (2013)
Construit pour l’Exposition universelle de 1878 et la salle du Trocadéro, à Paris, cet instrument monumental (82 jeux et 6500 tuyaux) fut la «vitrine» du plus fameux facteur de son temps, Aristide Cavaillé-Coll. Les plus grands musiciens se sont bousculés à la console de cet orgue prestigieux, qui a révélé au public les Requiem de Maurice Duruflé et Gabriel Fauré, le Concerto pour orgue de Francis Poulenc et des pages maîtresses de César Franck, Charles-Marie Widor, Marcel Dupré, Olivier Messiaen, Jehan Alain, Kaija Saariaho, Édith Canat de Chizy, Thierry Escaich ou Philippe Hersant. Remonté en 1939 dans le nouveau palais de Chaillot par Victor Gonzalez, puis transféré en 1977 à l’Auditorium de Lyon par son successeur Georges Danion, cet orgue a bénéficié en 2013 d’une restauration par Michel Gaillard (manufacture Aubertin) qui lui a rendu sa splendeur. La variété de ses jeux lui permet aujourd’hui d’aborder tous les répertoires, de Bach ou Couperin aux grandes pages romantiques et contemporaines. C’est, hors Paris (Maison de la Radio et Philharmonie), le seul grand orgue de salle de concert en France. En 2019 et 2022, il a accueilli les deux premières éditions à l’orgue du Concours international Olivier-Messiaen.