◁ Retour aux concerts des jeu. 19 et ven. 20 sept. 2024
Programme détaillé
The Wasps [Les Guêpes]
Musique de scène pour Les Guêpes d’Aristophane
Extrait :
Ouverture
[9 min]
Jour d’été à la montagne, triptyque symphonique op. 61
I. Aurore
II. Jour (Après midi, sous les pins)
III. Soir
[31 min]
--- Entracte ---
Concerto pour violoncelle en si mineur, op. 104
I. Allegro
II. Adagio, ma non troppo
III. Finale : Allegro moderato
[40 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Steven Isserlis violoncelle
France 3 Auvergne Rhône-Alpes et Télérama partenaires de l’événement.
Introduction
Pour profiter des derniers jours d’été, l’Orchestre national de Lyon vous emmène en excursion sous la houlette de son directeur musical Nikolaj Szeps-Znaider. Grâce au triptyque symphonique Jour d’été à la montagne de Vincent d’Indy (1905), profitez d’une aurore «sans nuages» et d’une «rêverie dans un bois de sapins», avant le «retour au gîte» à la tombée de la nuit. Ne craignez pas les Guêpes car, en dépit du bourdonnement de l’ouverture de Vaughan Williams (1909), ce ne sont que les insectes d’un tribunal athénien sortis de l’imagination du dramaturge Aristophane (vers 446-vers 386 avant note ère). Parsemée de thèmes populaires, la partition du compositeur anglais est un parfait remède à la tribunalite aiguë, maladie contagieuse menaçant les citoyens épris de justice populaire. Et pour vous assurer de l’efficacité du traitement, abandonnez-vous au lyrisme de Dvořák. Conçu en Amérique, bien loin de sa Bohême natale, son concerto pour violoncelle (1895) est empli de nostalgie. Un dernier hommage à son amour de jeunesse, Josefina Čermáková (devenue entre-temps sa belle-sœur), une fin d’été dont le violoncelliste Steven Isserlis, soliste de ces concerts, apprécie la «puissance du parcours émotionnel», le «mélange irrésistible d’épopée et de confession touchante».
(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)
Vaughan Williams, Les Guêpes
Composition : 1909.
Création : Cambridge, New Theatre, 26 novembre 1909, sous la direction de Charles Wood.
Comme avant lui ses professeurs Sir Hubert Parry et Sir Charles Villiers Stanford, Vaughan Williams fut chargé en 1909 par le Greek Play Committee [Comité du théâtre grec] de Cambridge d’écrire une musique de scène pour sa représentation annuelle, consacrée cette année-là à la pièce satirique d’Aristophane (Ve siècle avant J.-C.) Les Guêpes. Cette composition, constituée à l’origine d’une ouverture et de dix-sept autres pièces pour ténor et baryton solistes, chœur d’hommes et orchestre, obtint un grand succès. Vaughan Williams en tira en 1912 une suite de concert (ouverture et quatre numéros) intitulée Suite aristophanique. L’ouverture est restée populaire et figure fréquemment dans la programmation de concerts symphoniques dans les pays anglo-saxons.
Vaughan Williams était alors au début de sa carrière, occupé par la composition de son ambitieuse Première Symphonie. Pour se perfectionner dans l’art de l’orchestration, il passa pendant l’hiver 1907-1908 trois mois à Paris pour travailler auprès de Ravel. Les conseils de celui-ci lui firent gagner en assurance sans toutefois en faire un épigone du compositeur français. Ainsi Ravel déclarait-il : «Vaughan Williams est le seul de mes élèves à ne pas écrire ma musique.»
Dans sa comédie satirique, Aristophane met en scène une métaphore : les guêpes sont en fait les jurés du système juridique athénien, qui harcèlent leurs victimes, les accusés. C’est pourquoi le compositeur abandonne vite les effets bourdonnants du début de son ouverture. Il ne cherche pas non plus à introduire dans sa musique des références à la Grèce antique, n’étant nullement motivé par une reconstitution historique plus ou moins authentique. Au contraire, son ouverture est un plaisant kaléidoscope de thèmes populaires d’une saveur toute britannique, les folksongs et les danses de son pays étant sa source d’inspiration principale et permanente.
– Isabelle Rouard
Des insectes en musique !
L’orchestre paraîtrait bien grand pour de si petites bêtes si Albert Roussel n’avait tendu en 1913 la toile de son Festin de l’araignée, un magnifique ballet inspiré par les Souvenirs entomologiques de l’entomologiste Jean-Henri Fabre (1823-1915) rassemblant fourmis, papillon, éphémère et mante religieuse à l’invitation de l’arachnide pour son dîner. Et le monde minuscule ne s’est pas contenté d’un repas en musique. Que l’on pense au bourdon de Nikolaï Rimski-Korsakov, à la sauterelle de Francis Poulenc ou encore au grillon de Maurice Ravel, autant de bourdonnements et de stridulations symphoniques qui nous feraient presque oublier qu’au XVIe siècle déjà, un vieux grillon s’était mis à chanter dans une frottola de Josquin des Prés. Depuis longtemps, les insectes ont fait leur trou dans l’histoire des arts, telles les mouches se posant un peu partout et surtout là où l’on ne les attendait pas. Et puisque ces bestioles se moquent des convenances humaines, remontons le temps afin d’assister à une comédie d’Aristophane, le célèbre poète de l’Antiquité grecque, pour assister à une réunion de guêpes très humaines.
– François-Gildas Tual
D’Indy, Jour d’été à la montagne
«Trois impressions de ma montagne»
Vincent d’Indy
Selon Jean Chantavoine, auteur d’un ouvrage sur le poème symphonique publié en 1950, Jour d’été sur la montagne ne saurait s’inscrire dans un tel genre musical car il s’agit d’un triptyque ; selon Michel Chion, auteur d’un livre sur le même sujet paru une quarantaine d’années plus tard, le fait qu’on retrouve, en tête de partition, un long poème servant de programme (Les Heures de la montagne, poème en prose de son cousin Roger de Pampelonne) suffit à ne pas refuser un tel intitulé au magnifique paysage orchestral de Vincent d’Indy. Mais peu importe le genre car, bien que le compositeur ait signé plusieurs poèmes symphoniques, la musique n’a guère besoin de mots pour provoquer l’émerveillement. Ancien élève de César Franck, Vincent d’Indy est devenu un pédagogue réputé, artisan de la Société nationale de musique et de la Schola Cantorum. S’inspirant des traditions régionales, il a redonné ses lettres de noblesse au genre français de la symphonie concertante avec la Symphonie sur un chant montagnard français, dite «Symphonie cévenole», créée en 1887 aux Concerts Lamoureux. Au moment de la création de son Jour d’été sur la montagne, il est difficile de ne pas penser à La Mer de Debussy et à ses trois mouvements créés quelques mois plus tôt. En septembre 1905, d’Indy écrit donc à son ami belge Octave Maus avoir «pondu» avec une grande gaîté de cœur une «nouvelle machine impressionniste» qui consiste en trois morceaux symphoniques mais n’en forme pas pour autant une symphonie. Tout n’y est qu’émotions, celles que procurent les plus beaux paysages.
Comme dans La Mer de Debussy, une journée entière se déroule dans ce triptyque. Vincent d’Indy en livre les détails, notamment dans une lettre à son ami Marcel Labbé. Pour commercer, un lever de soleil, clarté sortant de l’obscurité, glissant du mode mineur au mode majeur pour étaler son ciel sans nuages tout en faisant entendre les derniers appels d’un oiseau de nuit. Dans le deuxième mouvement, des manifestations de paysans entendues en contrebas, sans rompre la rêverie dans un bois de pins, rappellent un peu les songes de Berlioz dans Harold en Italie. La partition se clôt sur le retour de la nuit. Plus que la montagne, c’est la lumière qui nourrit la palette du compositeur, jusqu’à ces tâches de soleil perçant la ramée dans le mouvement central, puis les rayons du soleil mourant dans le finale.
Michel Chion s’interroge sur les possibilités dynamiques d’un tel programme. Certes, il y a beaucoup à voir, mais s’y passe-t-il seulement quelque chose ? «Très modéré», le tempo initial annonce le ton général avec ses longues harmonies étales. Cela s’anime graduellement. «En serrant», indique Vincent d’Indy, non sans retenir de nouveau le mouvement. Puis l’accélération doublée d’un crescendo conduit à des accords éclatants. Avec le deuxième mouvement, on reprend le tempo initial, «très modéré». Si les célébrations festives des paysans provoquent un peu d’agitation, la joie ne doit pas l’emporter sur la quiétude de l’instant. Trompettes et cors sont bouchés, les cordes sont assourdies, et les brefs motifs de bois parsemés avec délicatesse pour produire un délicat effet de distance. Il revient donc au soir d’éveiller le triptyque, «très animé et joyeux». Rapidement pourtant, les mélodies se fragmentent, les violons fredonnent sur la quatrième corde, les masses instrumentales s’effacent dans des soli et légers pizzicati. Un vieux chant modal ramène définitivement le calme. Si la nature veut poursuivre sa danse, un solo de violon invite la nuit à reprendre ses droits. C’est alors que toute la beauté de l’orchestre de Vincent d’Indy se révèle. Dans la plus magique des immobilités, les délicates irisations de harpe, la présence inattendue d’un piano. Il faut dire que la nomenclature est originale, comprenant également un trombone contrebasse souvent remplacé par un tuba. La nuit seule peut inspirer des choses aussi irréelles que ce surgissement de piano, tandis que les oiseaux se remettent à chanter dans les bruissements du soir.
– F.-G. T.
Dvořák, Concerto pour violoncelle
Composition : novembre 1894 – juin 1895.
Création : Londres, Queen’s Hall, 19 mars 1896, par Leo Stern (violoncelle) et l’Orchestre philharmonique de Londres, sous la direction du compositeur.
Probablement Antonín Dvořák n’aurait-il jamais composé de concerto pour violoncelle s’il n’avait passé trois ans aux États-Unis, appelé à la direction du Conservatoire national de musique de New York par sa riche fondatrice, Mrs. Jeannette Thurber. Il s’était toujours refusé à écrire pour cet instrument, dont il détestait la sonorité «avec ses aigus nasillards et ses graves qui marmonnent» ; sa place, confia-t-il par ailleurs, «est au sein de l’orchestre et dans la musique de chambre». En 1894, entendant à Brooklyn un concerto de Victor Herbert, il révisa son opinion. Dès le mois de novembre, il se lança dans la composition de ce qui formerait sa dernière page orchestrale. Mais en trichant un peu : le concerto, dépourvu de virtuosité démonstrative, s’apparente parfois à une symphonie avec violoncelle principal. Certains des passages les plus acrobatiques du violoncelle sont non pas des solos, mais les accompagnements de mélodies confiées à d’autres instruments.
Si de nombreux accents américains émaillent la Symphonie «Du Nouveau Monde», le Concerto pour violoncelle est une œuvre profondément tchèque. La mélancolie qui le tenaille apparaît notamment dans le second thème du premier mouvement, énoncé par le cor solo – un thème dont Dvořák avoua à son ami Aloïs Göbl qu’il ne pouvait l’écouter sans trembler. Il se traduit également par le lyrisme du mouvement lent, ouvert par une magnifique cantilène.
Mais le concerto recèle une plainte plus secrète. Trente ans plus tôt, en 1865, Dvořák s’était épris d’une jeune élève en piano, Josefina Čermáková. Cette passion s’exprima dans un cycle de mélodies, Les Cyprès, partiellement arrangé ensuite pour quatuor à cordes. Josefina resta insensible à la flamme de son professeur, pour peu qu’elle l’ait soupçonnée : le jeune Dvořák était semble-t-il d’une timidité absolue. Mais Dvořák continua de fréquenter la famille Čermák et épousa la cadette, Anna, tandis que Josefina convolait avec le comte Wenzel Robert von Kaunitz. Les deux ménages restèrent toujours très liés.
Le choc fut rude lorsque Dvořák, en pleine composition du concerto, apprit que Josefina était gravement malade. Aussitôt, il ajouta au cœur du mouvement lent une nouvelle section, qui module brutalement de sol majeur en sol mineur, avec un effet dramatique. Après quelques mesures martelées, le violoncelle solo énonce un thème au lyrisme intense, emprunté à une mélodie de Dvořák, Lasst mich allein op. 82/1, que Josefina adorait et qui lui était dédiée. L’accompagnement insolite (la clarinette à la sixte du soliste, les cordes dans un brouillard d’arpèges, de contretemps et de basses en pizzicatos) transporte immédiatement dans un village d’Europe centrale.
Le concerto fut achevé le 9 février 1895 à New York. En avril, définitivement rentré en Bohême, Dvořák y apporta une première révision. En juin, Josefina s’éteignit. Dvořák inséra alors une nouvelle section dans la coda du finale. Le violon solo de l’orchestre y rappelle, dans l’aigu, la mélodie de Josefina – souvenir fugitif de la chère défunte. Quelques mesures plus tard, après un long trille, le violoncelle lui répond par une étrange mélodie descendante, empruntée au duo final d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, que Dvořák aimait beaucoup. Dans sa jeunesse, Eugène a repoussé Tatiana ; il la retrouve, des années plus tard, mariée au riche prince Grémine et lui déclare enfin sa flamme, mais il est trop tard. Le thème en question porte tous les regrets de Tatiana : «Ah ! le bonheur était possible, si proche…» La parenté entre ces thèmes est-elle un hasard, une réminiscence inconsciente ou un clin d’œil voulu ? Alors que le concerto débordait à l’origine d’une douce nostalgie pour la lointaine patrie, la figure fragile de Josefina l’infléchit finalement vers une tragédie feutrée.
– Claire Delamarche
Pampelonne, Les Heures de la montagne
Éveillez-vous, mornes fantômes, souriez au ciel, majestueusement, car un rayon dans l’Infini s’élève et vous frappe au front. – Un à un se déroulent les plis de votre grand manteau et les premières lueurs, en caressant vos rides altières, répandent sur elles un instant de douceur et de sérénité.
Éveillez-vous, montagnes, le Roi de l’espace apparaît.
Éveille-toi, vallon, qui caches les nids heureux et les chaumières endormies; éveille-toi en chantant. Et si, dans ton cantique, quelques soupirs me parviennent, puisse le vent léger des heures matinales les recueillir et les porter à Dieu.
Éveillez-vous, cités, où les purs rayons ne pénètrent qu’à regret. Sciences, agitations, ignominies humaines, éveillez-vous… Debout, mondes artificiels!
Les ombres s’effacent peu à peu devant la lumière envahissante...
Riez ou pleurez, créatures qui peuplez ce monde.
Éveillez-vous, harmonies, Dieu écoute !
(Après midi, sous les pins.)
Qu’il est doux de se suspendre aux flancs des larges gradins du ciel.
Qu’il est doux de rêver, loin des agitations de l’homme, dans la souriante majesté des cimes.
Élevons-nous vers les sommets, l’homme les abandonne, et, là où l’homme n’est plus, Dieu fait entendre sa grande voix ; voyons, de loin, pour pouvoir les servir et les aimer, ses éphémères créatures.
Ici, tout bruit de la terre monte en harmonie vers mon cœur reposé, ici, tout devient hymne et prière ; la Vie et la Mort se tiennent par la main pour crier vers le ciel: Providence et Bonté. – Je n’aperçois plus ce qui périt, mais ce qui renaît sur les ruines ; le grand Guide semble y régner seul.
Tout se tait. – Traversant la lande ensoleillée, un chant doux et naïf m’arrive, apporté par le vent qui glisse à travers la profondeur des bois. Oh ! enveloppe-moi tout entier dans tes sublimes accents, vent dont le souffle sauvage anime l’orgue de la Création ! Recueille les chants de l’oiseau sur les pins sombres; apporte-moi les tintements agrestes, les rires joyeux des vierges de la vallée, le murmure des ondes et l’haleine des plantes. Efface dans ton grand sanglot tous les sanglots de la terre; ne laisse parvenir jusqu’à moi que les plus pures harmonies, œuvres de la divine Bonté !
La nuit envahit le ciel protecteur, et la lumière, en déclinant, jette un souffle frais et rapide sur l’hémisphère fatiguée. Les fleurs s’agitent, leurs têtes se cherchent pour s’appuyer et s’endormir. Un dernier rayon caresse les sommets, tandis qu’heureux du rude travail de la journée, le montagnard regagne la rustique demeure dont la fumée s’élève dans un repli du vallon.
Le bruit des clochettes, signe de la vie, s’éteint peu à peu ; les agneaux se ruent dans l’étable et, devant le feu qui pétille, la paysanne endort son petit enfant dont l’âme timide rêve les brumes, le loup précoce et la noire lisière des bois.
Bientôt, tout sommeille sous l’ombre, tout est fantôme dans la vallée ; tout cependant vit encore.
Ô nuit ! l’Harmonie éternelle subsiste sous ton voile; la joie et la douleur ne sont qu’endormies.
Ô nuit ! la Vie dévorante s’agite sous le jour dévorant ; elle se crée sous le manteau perlé de tes bras étendus…