Concerto pour piano n° 19 de Mozart
◁ Retour au concert du jeu. 14 oct. 2021
Programme détaillé
Danses concertantes, pour orchestre de chambre
I. Marche – Introduction
II. Pas d’action
III. Thème varié
IV. Pas de deux
V. Marche – Conclusion
[19 min]
Concerto pour piano n° 19, en fa majeur, KV 459
I. Allegro
II. Allegretto
III. Allegro assai
[24 min]
Sinfonietta
I. Allegro con fuoco
II. Molto vivace
III. Andante cantabile
IV. Très vite et très gai
[29 min]
Orchestre national de Lyon
Christian Zacharias piano et direction
Concert sans entracte.
Introduction
«La durée d’attention du public d’aujourd’hui est limitée, et le problème du compositeur, de nos jours, est de condenser.» Non, ces mots n’ont pas été écrits en 2021. Ce sont ceux de Stravinsky dans une interview au San Francisco Chronicle dans les années 1940. L’œuvre dont parle le compositeur russe, ce sont les Danses concertantes, un «concerto pour petit orchestre» de 20 minutes qui a l’impact d’une partition de ballet miniature.
Cette partition colorée, pleine d’allusions à d’autres styles musicaux, ne pouvait émerger que dans ce creuset de cultures qu’était West Hollywood pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une pièce légère, pleine d’esprit et joyeuse, à la séduction immédiate, mais qui révèle sous la surface une écriture d’une intelligence incroyable – de la même manière que Mozart a conçu nombre de ses concertos pour piano «für Kenner und Liebhaber» [pour les connaisseurs et pour les amateurs].
Sur l’autre rivage de l’océan – et de la guerre –, Francis Poulenc a écrit sa Sinfonietta avec la même idée en tête : un joyeux rassemblement de personnages musicaux et d’effets orchestraux. Certainement Mozart et Haydn regardaient-ils par-dessus l’épaule du musicien en souriant quand il dit, à propos de cette pièce : «N’analysez pas ma musique – Aimez-la !».
Christian Zacharias est connu pour son sens impeccable du style et son humour. Il est l’artiste idéal pour jouer et diriger ce programme ensoleillé, fait, pour reprendre un titre du compositeur Jean Françaix, de «Musique pour faire plaisir».
– Ronald Vermeulen
Délégué artistique de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon
Stravinsky, Danses concertantes
Composition : 1940-1942.
Commande : Werner Janssen.
Création : Los Angeles, 8 décembre 1942, par l’Orchestre Werner Janssen sous la direction du compositeur.
Fuyant la guerre, Stravinsky embarque pour les États-Unis à l’automne 1939 et s’installe sur la côte Est. Ayant perdu sa première épouse et sa mère de la tuberculose, il épouse Véra, sa maîtresse de longue date, demande la nationalité américaine, et finalement s’installe en Californie. En 1941, un chef d’orchestre de Los Angeles, Werner Janssen*, lui commande une nouvelle pièce.
Il y a dans le titre des Danses concertantes l’esprit du ballet développé par Stravinsky depuis sa collaboration avec Diaghilev, avec cette abstraction qui s’est accrue dans les années trente au contact de George Balanchine, chorégraphe du précédent Jeu de cartes. Il y a aussi le principe concertant hérité du concerto grosso baroque, déjà cultivé par le compositeur dans le Concerto Dumbarton Oaks. Les Danses concertantes sont donc dépourvues d’argument, mais George Balanchine a dit en avoir éprouvé la «qualité volatile du rythme» à travers le corps des chanteurs. Chorégraphe de la Circus Polka conçue en 1942 pour le Barnum and Bailey Circus de New York, Balanchine est en effet à l’origine de cette conception du ballet ; il a lui-même proposé deux versions des Danses concertantes, la première en 1944 pour le Ballet russe de Monte-Carlo à New York, la seconde en 1972 pour le Festival Stravinsky du New York City Ballet. Et bien d’autres chorégraphes se sont attachés à mettre les corps en scène sur cette partition, confirmant ainsi le potentiel visuel et rythmique de la musique.
Les rythmes des Danses concertantes sont simples et efficaces, caractéristiques du néo-classicisme avec des valeurs pointées et des formules de dactyle (une longue et deux brèves) ou d’anapeste (deux brèves et une longue). À la métrique très claire de la «Marche» introductive, succèdent des changements de mesure, des contretemps et des syncopes participant à cette «volatilité» ressentie par Balanchine. Les tournures mélodiques se font tonales, mais l’harmonisation montre une fantaisie qui la rapproche un peu du ballet Pulcinella. La cadence conclusive du «Pas d’action» en est un excellent exemple avec sa basse et ses accords inattendus.
«Il y avait une qualité de chambre dans sa musique, qui n’utilisait pas ce que j’appelle “l’orchestre constipé”.»
Procédant par demi-tons ascendants, dans un mouvement inverse à celui de Jeu de cartes, les quatre variations développent l’esprit concertant par de constants relais d’instruments. Une orchestration aux contrastes puissants, grâce à laquelle Werner Janssen a pu montrer les qualités de sa formation. À propos de Stravinsky, le chef expliquait : «Il y avait une qualité de chambre dans sa musique, qui n’utilisait pas ce que j’appelle “l’orchestre constipé” où vous avez le plein souffle tout le temps. [...] Tout d’abord, ce dont nous avions besoin dans notre pays, c’est d’un orchestre de chambre très remarquable comme l’était le nôtre.» En 1945, ce sera au tour de la cantate Babel d’entrer au répertoire de l’orchestre, et Werner Janssen en assurera alors lui-même la création.
– François-Gildas Tual
De Werner Janssen, on se souvient peut-être de quelques partitions notables pour le cinéma. Il a travaillé sur L’Homme du sud de Jean Renoir, Une nuit à Casablanca avec les Marx Brothers, et quelques autres films avec Gary Cooper ou Henri Fonda. Ancien élève de George Chadwick, il s’est formé à la direction auprès de Felix Weingartner et de Hermann Scherchen, a travaillé avec Arturo Toscanini, puis est devenu le premier musicien natif d’Amérique à s’être produit à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Successivement directeur musical des orchestres de Baltimore, de l’Utah, de l’Oregon et de San Diego, il a aussi fondé sa propre formation en 1940, et c’est pour ce nouvel ensemble qu’il s’adresse à Stravinsky.
Mozart, Concerto n° 19
Composition : achevée à Vienne, le 11 décembre 1784.
Le plus souvent, Mozart écrivit ses concertos pour piano dans le but de se produire lui-même comme interprète, lors d’académies ou de concert publics. C’est pourquoi cet ensemble de vingt-sept œuvres magistrales est précieux pour imaginer le jeu pianistique de Mozart, et ses intentions les plus personnelles en matière d’expressivité. Comme compositeur, il parvient à concilier la rigueur de construction du discours avec la fantaisie et l’inventivité dans les formes, nourries d’une richesse de motifs thématiques incomparable.
Le Concerto n° 19 fut composé quelques jours avant que Mozart ne soit admis dans la loge La Bienfaisance pour faire son initiation à la franc-maçonnerie. La sérénité et la détermination du premier mouvement reflètent sans doute son état d’âme dans cette circonstance très importante de sa vie intérieure. Un rythme de marche légère anime cette page énergique et pleine d’allégresse, à l’orchestration somptueuse (alors que les vents se limitent pourtant à une flûte, deux hautbois, deux bassons et deux cors).
Le mouvement lent, sur un rythme berceur, est une rêverie enchantée, transparente et raffinée, où passent parfois des ombres empreintes de gravité et de mélancolie.
Le finale plein de verve et d’allégresse laisse davantage la place à la virtuosité pianistique. Après un dialogue entre le piano et les vents, un fugato inattendu se déploie au tutti, mais sans aucune pédanterie. Ces deux motifs opposés seront ensuite conciliés avec une aisance souveraine, au fil des épisodes contrastés qui s’enchaînent avec un brio étourdissant. Une cadence improvisée au piano précède le dernier retour du thème principal.
– Isabelle Rouard
Poulenc, Sinfonietta
Composition : achevée le 8 septembre 1948.
Création : Londres, 24 octobre 1948, par l’Orchestre symphonique de la BBC.
Commande : de la BBC.
Poulenc recycle dans sa Sinfonietta des motifs tirés d’un quatuor à cordes qu’il a détruit, insatisfait du résultat. Il s’agit de réaliser une prise de possession d’un grand genre savant mais sans en avoir l’air, en minimisant l’enjeu par un titre modeste. Cette «petite symphonie» dure en fait 25 minutes et présente les quatre mouvements attendus d’une symphonie destinée à un orchestre classique, par deux, enrichi de deux trompettes et d’une harpe : Allegro con fuoco, Molto vivace (faisant office de scherzo), Andante cantabile, Final.
Sans programme affiché, sans recours à un texte, Poulenc veut bâtir de grandes formes de «musique pure». Mais, fidèle à son habitude, il compose sa nouvelle partition en puisant des idées dans plusieurs de ses œuvres antérieures, créant ainsi une intertextualité personnelle. De surcroît, aux rappels d’autres œuvres se superpose un réseau interne de citations : quatre éléments thématiques circulent à travers les mouvements. S’il est habituel d’entendre dans ses partitions des retours ponctuels, ici le procédé est plus travaillé et se rapproche de la forme cyclique de César Franck. Enfin, Poulenc joue avec un troisième réseau, celui des réminiscences de musiques d’autres auteurs, réalisées probablement inconsciemment dans nombre de cas. La plus marquante ici est celle de la Symphonie en ut de Bizet. Même quand elle prétend ne rien dire, la musique de Poulenc est un jeu sur la mémoire, constamment animée par des rappels et une dramaturgie secrète qu’il révèle parfois à demi-mots dans sa correspondance. La Sinfonietta est un théâtre intime sans teneur explicite, où les habitués de Poulenc reconnaîtront des couleurs des Biches, les thèmes d’un Nocturne, du concerto chorégraphique Aubade, du Sextuor, de sa cantate pour chœur Figure humaine, etc.
«Un kaléidoscope d’impressions et d’affects»
S’il recherche une clarté classique, Poulenc rejette en revanche le principe du développement thématique. Fidèle à sa façon très personnelle, il compose par collages, juxtapositions, réitération, sautes d’humeurs, couleurs harmoniques, créant un kaléidoscope d’impressions et d’affects qu’il agence avec un art étonnant d’équilibre du disparate. Le troisième mouvement est le plus radical dans le rejet de toute pensée développante. La forme est générée par la mélodie et un classicisme moderne : enchaînement d’idées, souvent répétées, structures symétriques renvoyant au phrasé du XVIIIe siècle, clarté harmonique contrastant avec la mobilité et les dissonances des deux premiers mouvements.
Le dernier mouvement est un rondo très libre, au caractère populaire et dansant entrecoupé de bouffées mélancoliques ou pathétiques. La Sinfonietta dans son ensemble sonne comme une musique de ballet qui suivrait un argument, des changements de postures, des volte-face. Les dernières pages résument cette disposition d’esprit, qui est pour Poulenc l’expression de sa nature profonde, angoissée et virevoltante, sérieuse et légère, attirée par un absolu et volontiers gouailleuse : après un motif ample, pompeux, joué «Plus lent», à la sonorité quasi moussorgskienne, vient une idée éthérée, dans un suraigu suspendu, puis, sans transition, l’un des premiers motifs de la symphonie, comme un pied-de-nez final.
– Hervé Lacombe