Notes de programme

Mozart / Schumann

Sa. 26 sept. 2020

Programme détaillé

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sinfonia concertante pour violon, alto et orchestre, KV 364
I. Allegro Maestoso
II. Andante
III. Presto
[30 min]

Robert Schumann (1810-1856)
Symphonie n° 2, en ut majeur, op. 61
I. Sostenuto assai – Un poco più vivace –Allegro ma non troppo
II. Scherzo : Allegro vivace ­– Trio I ­– Scherzo ­– Trio II – Scherzo ­– Coda
III. Adagio espressivo
IV. Allegro molto vivace
[35 min]

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider,
violon et direction
Antoine Tamestit, alto

Concert sans entracte.

Introduction

Du vivant de Schumann, ses symphonies ne reçurent pas beaucoup d’attention. On en est même arrivé à ce que des compositeurs comme Gustav Mahler retouchent l’orchestration pour renforcer la structure et rétablir l’équilibre au sein de l’orchestre. Pourtant, certains amis et collègues du compositeur étaient d’une tout autre opinion. Dans une lettre adressée à Clara Schumann, Johannes Brahms écrit qu’il a examiné la version originale de la Quatrième Symphonie de son défunt mari et qu’il a trouvé «la légèreté et la clarté d’expression» de cette version nettement préférable et plus fidèle à l’esprit du compositeur que la version révisée – et largement réécrite –, beaucoup plus «conventionnelle».

L’essor des interprétations historiquement informées a radicalement changé les jugements portés sur Schumann. Des chefs d’orchestre comme John Eliot Gardiner ou Nikolaus Harnoncourt ont montré qu’en recourant à des effectifs moins nombreux et aux instruments de l’époque, on supprimait les problèmes d’équilibre dans l’écriture symphonique de Schumann et l’on découvrait un compositeur qui avait toujours «pensé en termes de son orchestral». Et aujourd’hui, nous voyons de nombreux grands chefs d’orchestre aborder à leur manière ce corpus unique.

Pour sa première saison en tant que directeur musical de l’Orchestre national de Lyon, Nikolaj Szeps-Znaider a choisi d’interpréter les quatre symphonies numérotées* de Schumann sous forme de cycle. À l’origine, nous avions décidé d’associer ces symphonies avec la musique des contemporains de Schumann. Dans ce premier concert de la série, la plus traditionnelle des quatre, la Deuxième, devait être mise en regard avec Harold en Italie, la très hybride «symphonie avec alto solo» de Berlioz. Contraints de raccourcir les programmes de ce premier trimestre en raison de la suppression des entractes, nous avons dû remplacer cette œuvre. Nous sommes très heureux de pouvoir vous proposer l’impressionnante Sinfonia concertante pour violon, alto et orchestre de Mozart, dans laquelle le soliste Antoine Tamestit, sera rejoint par notre directeur musical Nikolaj Szeps-Znaider au violon.

Ronald Vermeulen
Délégué artistique de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon

* La symphonie de jeunesse dite «Zwickau» et l’hybride Ouverture, Scherzo et Finale ne feront pas partie de ce cycle.

Mozart, Symphonie concertante pour violon et alto

Wolfgang Amadeus Mozart
Sinfonia concertante pour violon, alto et orchestre, KV 364

Composition : 1779.

Située au carrefour du concerto et la symphonie, la symphonie concertante a connu son heure de gloire en pleine période classique, notamment en France, avant de s’essouffler sensiblement après 1830. Si un Haydn visionnaire a en quelque sorte inauguré le genre avec son triptyque fameux des Symphonies nos 6, 7 et 8 dès 1761, c’est en effet à Paris que le genre s’est particulièrement développé, grâce au Concert spirituel et aux éditeurs qui y ont trouvé un attrait commercial. En 1778, c’est à Paris que Mozart compose la Symphonie concertante pour hautbois, clarinette, cor et basson K297b, sans succès, la partition demeurant d’ailleurs inconnue jusqu’en 1905. Mais c’est de retour à Salzbourg l’année suivante qu’il donnera naissance à cette Sinfonia concertante pour alto et violon, dans laquelle se perçoit aussi l’influence de l’école symphonique de Mannheim. Son raffinement orchestral, l’énergie du premier mouvement, soutenu par des cors éclatants, la variété des éclairages l’éloignent du style galant ambiant. Afin de rapprocher son timbre sombre de l’altode la sonorité plus brillante du violon, l’alto est accordé un demi-ton plus haut qu’à l’habitude (si bien que sa partie est écrite en majeur pour sonner dans le ton de l’œuvre, mi bémol). Le sommet d’expressivité est atteint au cours d’un Andante exceptionnel. La détresse poignante des premières mesures évolue soudainement vers une forme de tendresse consolatrice sur laquelle se greffent quelques accents pathétiques. Le Presto final revient à un style galant plus convenu et apporte une conclusion un peu décevante après deux premiers mouvements d’une grande beauté.

Raphaël Charnay

Les symphonies de Schumann

«Le piano devient trop étroit pour contenir mes idées», écrivit Robert Schumann en 1839. L’année suivante, son mariage si longtemps attendu avec Clara Wieck eut un effet libérateur. S’il s’était dévoué aussi entièrement à composer pour le piano, seul instrument apte à traduire ses pensées secrètes, c’était en partie pour compenser l’échec d’une carrière de virtuose ardemment désirée. Clara conquise, elle offrait ses doigts au compositeur qui, du même coup, pouvait explorer de nouveaux domaines : le lied (1840), l’orchestre (1841) et la musique de chambre (1842).

Composer des symphonies après Beethoven

Le genre de la symphonique intimidait le jeune musicien, confronté comme tant de ses contemporains à l’ombre gigantesque de Beethoven. Poussé par Clara et par leur ami Felix Mendelssohn, il finit par se jeter à l’eau, avec le même enthousiasme qu’il l’avait fait pour le lied l’année précédente. L’année 1841 vit naître deux symphonies (la Première et la Quatrième, dans sa version primitive), l’ébauche d’une troisième en ut mineur inachevée et les premières esquisses du Concerto pour piano – achevé en 1845.

Schumann fondait de nombreux espoirs sur le genre de la symphonie, qui lui permettrait d’exister par lui-même et non plus de jouer les princes consorts, d’être le pourvoyeur en faire-valoir de sa royale épouse, pianiste adulée. La jeune femme nourrissait une ambition similaire à l’égard de son mari, qu’elle désirait arracher à l’intimité de la musique de salon et faire reconnaître comme un «véritable» compositeur – or, dans la tradition germanique des Kapellmeister, la symphonie était le genre obligé ; ce genre seul pouvait apporter au compositeur la notoriété que, jusqu’alors, les pièces pour piano et les lieder lui avait refusée. (Pour les mêmes raisons, Schumann formula constamment, à partir de 1840, des projets d’opéras, dont seul Genoveva aboutirait, en 1853.)

Jouer les symphonies de Schumann

L’orchestre de Schumann a suscité bien des débats. Que n’a-t-on dit l’opacité de ses masses instrumentales et de leur harmonie ! Mahler, Glazounov, Chostakovitch jugèrent utile de réorchestrer certaines pages. Dukas lui-même, critique pourtant clairvoyant, les assomma d’un coup de plume vigoureux. Schumann, dit-on, embrigade les bois, qui se contentent généralement de doubler les cordes ; cors et trompettes sont cantonnés, hormis quelques appels conventionnels, à un rôle de remplissage dans le médium de la masse sonore, qu’ils contribuent à alourdir ; les premiers violons sont rarement appuyés par les seconds, plus enclins à des figures harmoniques – «pas assez de mélodie et trop d’accompagnement», résume le musicologue Manfred Bukofzer.

Mais n’y a-t-il pas eu un malentendu sur l’orchestre schumannien ? Pendant plusieurs décennies, les chefs d’orchestre l’ont dirigé comme ils dirigeaient Brahms, avec un son opulent, des archets jouant au fond des cordes. Des chefs «baroques» comme Nikolaus Harnoncourt ou John Eliot Gardiner nous ont appris à le tirer plutôt vers Beethoven, à l’aborder avec plus de nerf, à le «dégraisser». C’est l’option choisie par Nikolaj Szeps-Znaider, l’Orchestre national de Lyon et son timbalier, Adrien Pineau – dont les magnifiques timbales d’époque, au mordant et au son incomparables, métamorphosent à elles seules la pâte orchestrale. Et joué ainsi, l’orchestre de Schumann apparaît dans toute sa splendeur, dans toute son originalité.

Quatre symphonies et l’histoire d’une vie

Si la symphonie schumannienne dérange, c’est qu’elle se dérobe aux canons classiques. On l’oppose souvent à celle de Mendelssohn, d’un équilibre et d’un goût parfaits ; on reconnait à la première, en dépit de ses défauts, son pouvoir d’émotion et l’on taxe (si injustement !) la seconde de froideur et d’inexpression. Assurément, l’appréciation de ces deux monuments formidables ne peut se réduire à une alternative aussi sommaire.

Comme l’enfant découvrant le feu, Schumann touche à une nouvelle matière qui lui brûle les mains. Accompagnant l’euphorie du mariage, les deux premières symphonies composées, la Première (symboliquement sous-titrée «Le Printemps») et la Quatrième, saisissent l’auditeur par leur élan, leur profusion thématique. Les symphonies accompagneront ensuite le lent vacillement de son esprit. La lutte contre des forces invisibles se traduira par des constructions monolithiques aux couleurs vives, à la matière dense, au trait épais. On s’en rend compte dès la Deuxième Symphonie (1845), œuvre marquée par la souffrance et la maladie – dont triomphe le finale. La Rhénane (1850) balayera ces ombres en rendant l’hommage le plus grandiose, le plus vivant au fleuve mythique de la civilisation germanique. En 1851, la version révisée de la Quatrième apportera un couronnement magistral à l’œuvre symphonique.

Schumann, Symphonie n° 2

Robert Schumann
Symphonie n° 2, en ut majeur, op. 61

Composition : 12-28 décembre 1845.

Orchestration : 12 février-19 octobre 1846.

Création : Leipzig, Gewandhaus, 5 novembre 1846, par l’Orchestre du Gewandhaus placé sous la direction de Felix Mendelssohn Bartholdy.

Dédicace : au roi Oscar 1er de Norvège et de Suède.

Si Robert Schumann s’est installé dans le bonheur conjugal, la Deuxième Symphonie se ressent des premières atteintes de la psychose maniaco-dépressive qui l’emportera : «Je peux bien dire que c’est la résistance de l’esprit qui est ici manifeste, et que j’ai cherché à lutter contre mon état.» Le déracinement à Dresde (depuis l’automne 1844), ajouté à l’amertume qui a poussé Schumann à quitter Leipzig, accentue cette faiblesse nerveuse : «J’ai composé cette symphonie étant encore à moitié malade», confie-t-il au chef d’orchestre Georg Dietrich Otten en décembre 1845. «Il me semble qu’on doit s’en rendre compte à l’audition. C’est seulement dans la dernière partie que je me sentis renaître ; et de fait, une fois l’œuvre achevée, je me suis senti mieux, mais elle me rappelle surtout une sombre époque. Votre sympathie me prouve qu’en dépit de cela des accents aussi douloureux peuvent éveiller l’intérêt […] et j’ai été particulièrement heureux que mon mélancolique basson de l’Adagio, que j’ai placé là avec une tendresse particulière, ne vous ait pas échappé

L’esquisse de l’œuvre est jetée en quelques jours (12-28 décembre 1845), mais Schumann peine sur l’orchestration. Il ne la commence que le 12 février 1846 et, gêné par des troubles nerveux croissants (des sifflements continuels dans les oreilles), il ne pose le point final que le 19 octobre de la même année, moins de trois semaines avant la création (5 novembre, au Gewandhaus de Leipzig).

La Symphonie en ut majeur puise sa force dans des thèmes vigoureux, une construction monolithique, un rythme fortement accentué qui signent autant de victoires sur la folie. Schumann multiplie les relations thématiques entre les mouvements afin d’assurer la cohésion de l’œuvre, de lutter contre une pulsion d’éparpillement lancinante. Il installe un scherzo long et bondissant en deuxième position, comme pour conjurer d’entrée de jeu le mauvais sort ; coincé avant l’éclatant finale, le mouvement lent apparaît comme une parenthèse nostalgique, au lieu de tirer la symphonie entière vers l’ombre.

Le premier mouvement débute par une introduction Sostenuto assai, dont le solennel appel de cuivres reparaîtra dans la coda de ce mouvement et dans celles du scherzo et du finale – sujet à aucun développement, à aucun travail, ce motif ne constitue qu’une balise, à laquelle s’accroche le compositeur qui sent son esprit chavirer. Une transition Un poco più vivace amène l’Allegro ma non troppo, dominé par le paramètre du rythme (rythmes pointés).

Dans le scherzo, en ut majeur, le mouvement incessant de doubles  croches s’interrompt à l’occasion de deux trios. Le premier (en sol majeur) bondit en triolets espiègles ; le second, en ut, développe des harmonies plus fuyantes dans une transparence qui évoque la musique de chambre.

L’Adagio espressivo, en ut mineur, infléchit l’œuvre vers des lumières plus crépusculaires. Le superbe thème initial est fait de grands sauts et de syncopes qui sonnent comme autant de soupirs ; à la reprise du thème, après la partie centrale plus contrapuntique, ils éclatent en un grand cri.

Le finale, Allegro en ut majeur, célèbre le triomphe – éphémère – du compositeur sur le doute et la maladie. Il puise son élan dans de rapides gammes ascendantes, des batteries de triolets, des rythmes bondissants, des flots impétueux de croches. Des motifs plus chantants passent dans la polyphonie, jusqu’à s’exprimer plus pleinement par la voix de la clarinette et du hautbois. Ils avouent alors leur identité véritable : une citation du cycle de lieder de Beethoven À la bien-aimée lointaine (sixième lied) que Schumann a glissée dans plusieurs autres pièces (Fantaisie pour piano et orchestre, Quatuor en fa majeur op. 41 n° 2, sixième lied de L’Amour et la Vie d’une femme) comme autant de clins d’œil à Clara. Repris par les cordes, ce thème enfle jusqu’à emplir tout l’orchestre, mêlé à la fanfare, déchargeant son énergie dans une coda triomphale.

Claire Delamarche

Notre partenaire

France 3 AURA partenaire de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon