◁ Retour au concert du Jeu. 21 déc. 2023
Programme détaillé
Sub tuum præsidium, H 28
Canticum in Honorem Beatæ Mariæ inter homines et angelos, H 400 (extrait)
In Nativitatem Domini Canticum, H 416
--- Entracte ---
«Nuit», extraite de Dialogus inter angelos et pastores Judeæ in Nativitatem Domini, H 420
SÉBASTIEN DE BROSSARD (1655-1730)
O miraculum !
Messe de Minuit, H 9
– Kyrie
– Christe
– Kyrie
Joseph est bien marié H 534
Messe de Minuit, H 9
– Gloria
Alma Redemptoris mater, H 44
Messe de Minuit, H 9
– Credo
Or nous dites Marie, H 234
In Nativitate Domini Nostri Jesu Christi Canticum, H 421
Messe de Minuit, H 9
– Sanctus
– Agnus
Première partie : 35 minutes.
Entracte : 20 minutes.
Seconde partie 45 minutes.
Distribution
Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé direction
Le projet (note d’intention)
Si Charpentier a retrouvé le chemin de la postérité avec les premières notes de son Te Deum H 146, choisi pour illustrer le générique des programmes de l’Eurovision dans les années 1950, la Messe de Minuit est probablement la seconde œuvre qui lui vaut d’être connu de par le monde. Elle invite à se replonger dans un monde musical où les traditions savante et populaire ne sont pas opposées, bien au contraire : tout l’art et la science de Charpentier s’illustrent dans cette invitation de ces chants de Noël au sein d’une messe composée pour la nuit de Noël. Ces mélodies sont connues de tous, paysans comme gentilshommes, qui les reconnaissent, imbriquées au sein d’un subtil contrepoint et d’une harmonie renouvelée. Le plaisir de la musique est offert à chacun : de reconnaître un air connu, ou d’en saisir l’extraordinaire agencement. La simplicité des chants originaux donne également à toute la messe une candeur et une simplicité qui n’est pas sans profondeur quand on pense qu’elle parlait alors de façon universelle.
L’In Nativitatem H 416 tient lieu de veillée avant la Messe de Minuit : à la manière des grandes histoires sacrées de Charpentier, l’œuvre retrace l’histoire de la Nativité où l’ange Gabriel annonce aux bergers la grande nouvelle de la naissance du Christ.
Les œuvres
Le temps de la Nativité occupe une place importante dans l’œuvre de Marc-Antoine Charpentier. Il est incontestablement le compositeur français du Grand Siècle qui a laissé le plus d’œuvres spécifiquement en lien avec la fête de Noël. La plus célèbre est sans conteste sa Messe de Minuit (H 91), mais d’autres genres témoignent de ce rapport particulier : des pièces spécifiquement en lien avec la liturgie, comme les antiennes O de l’Avent (H 36-43), un motet (H 314) ; mais aussi des oratorios ou «histoires sacrées» (H 393, 414, 416, 420, 421), dans un genre hérité de la formation romaine du compositeur ; des pastorales en français (H 482 et 483) ; ou encore des noëls instrumentaux (H 531 et 534), sur des mélodies populaires. Toutes furent composées pour ses employeurs successifs et les différents contextes dans lesquels il œuvra au long de sa carrière : Mlle de Guise, sa première protectrice, qui le prit à son service à son retour de Rome au début des années 1670, et à laquelle il resta fidèle jusqu’à la mort de la princesse en 1688 ; les Jésuites de Paris (1688-1698), pour qui la musique était essentielle à leurs idéaux pédagogiques et de magnificence liturgique, et pour lesquels il écrivit ses pièces les plus grandioses ; la Sainte-Chapelle enfin, l’un des lieux les plus prestigieux du royaume, dont il dirigea la musique de 1698 à sa mort, en 1704. Toutes les œuvres réunies ici, composées dans les années 1690, datent de la fin de la vie du compositeur.
Dans la liturgie catholique, et tout particulièrement au temps de la Contre-Réforme, la fête de Noël représentait, avec celle de Pâques, l’un des moments les plus importants de l’année. Célébrant la naissance et la mort du Christ, toutes deux ponctuaient l’année liturgique de célébrations particulières. Leurs périodes de préparation, l’Avent et le Carême, impliquaient également des moments de réflexion, d’introspection, mais aussi d’édification et de partage spirituel, particulièrement prisés par les ordres pédagogues et missionnaires, comme les Jésuites. Dans la thématique de la Nativité, la figure de Marie, mère du Christ, et la dévotion mariale occupaient également une place particulière, dans la liturgie comme dans le cœur des fidèles.
Alors que le Carême culminait avec la Semaine sainte et la fête de Pâques, l’Avent s’achevait par la vigile de Noël, au soir du 24 décembre. Vers huit heures du soir, l’on chantait les Matines (première «heure» de l’office divin) : l’office des Matines était constitué de trois Nocturnes, chacun faisant alterner versets, répons, invitatoires, trois psaumes, trois lectures, chacune suivi d’un répons. Les Matines se concluaient par le Te Deum, après la lecture de la généalogie de Jésus selon saint Matthieu. Symbole de victoire et de paix, l’hymne de saint Ambroise célébrait ainsi, dans la joie et les acclamations, la venue du Sauveur.
À l’office des Matines succédait la messe de Minuit, première des quatre messes de la liturgie de Noël. Quelques messes de Noël françaises de cette fin du XVIIe siècle nous sont parvenues, parmi lesquelles celles de Guillaume Minoret, écrite sans doute avant la nomination du compositeur à la Chapelle royale en 1683), et du compositeur et collectionneur Sébastien de Brossard, composée vers 1700. Seule messe de Noël clairement destinée à la vigile – les deux autres pouvant s’appliquer aux messes du jour –, la Messe de Minuit à quatre voix, flûtes et violons pour Noël, H 9, de Charpentier reste la plus célèbre.
Composée vers 1694, vraisemblablement pour l’église Saint-Louis-des-Jésuites à Paris, où Charpentier était maître de musique depuis 1688, sa Messe de Minuit a pu servir plusieurs années, du moins jusqu’à ce que le compositeur quittât son poste pour celui de maître de musique de la Sainte-Chapelle, en juin 1698. Comme la plupart des œuvres de Charpentier destinées aux Jésuites, elle fait appel à un effectif imposant : deux groupes de quatre solistes (deux hauts-dessus, deux hautes-contre, deux tailles, deux basses), un chœur à quatre voix, deux flûtes, quatre parties de cordes et basse continue, dans un dispositif sans doute grandiose, peut-être séparé dans l’espace à la manière romaine, en deux chœurs. Pour mieux frapper et édifier, les Jésuites aimaient en effet rehausser de musique leur liturgie et leurs cérémonies. Les Jésuites de Paris s’adjoignaient régulièrement le renfort de chanteurs et instrumentistes extérieurs, notamment de l’Opéra.
Tout comme les messes de Noël de Minoret et de Brossard – dont on entend ici le motet pour l’élévation O miraculum –, la Messe de Minuit de Charpentier sacrifie à une tradition qui témoigne de ce mélange de sacré et profane propre à la période de Noël. À la fois fête religieuse et moment de liesse populaire, Noël combinait la solennité d’une des célébrations les plus importantes du calendrier liturgique avec la naïveté et la fraîcheur des thématiques pastorales de la Nativité, amplifiées par des pratiques populaires. La plus vivace de ces pratiques fut certainement celle des noëls, chants et cantiques en français dans lesquels se côtoyaient thématiques religieuses et pastorales, chantées sur des mélodies simples et naïves, qui à leur tour s’immisçaient jusque dans la liturgie. On chantait ces noëls dès l’Avent, comme l’évoque l’avocat parisien Étienne Pasquier (1529-1615) :
«En ma jeunesse, c’estoit une coustume que l’on avoit tournée en cérémonie, de chanter tous les soirs, presque en chaque famille, des Nouëls, qui estoient chansons spirituelles faites en l’honneur de Nostre Seigneur. Lesquelles on chante encore en plusieurs Églises pendant que l’on célèbre la grand’Messe le jour de Nouël lors que le prestre reçoit les offrandes.»2
Cette tradition était encore vive au début du XIXe siècle, comme le souligne le moine bénédictin Dom Guéranger, rapportant ses souvenirs d’enfance :
«On s’animait en passant d’un Noël à l’autre ; tous soucis de la vie étaient suspendus, toute douleur était charmée, toute âme épanouie ; mais soudain la voix des cloches retentissant dans la nuit venait mettre fin à de si bruyants et si doux concerts. On se mettait en marche vers l’Église.»3
Du XVIe au XVIIIe siècles, ce répertoire populaire a pénétré la musique savante, ses mélodies fraîches et naïves servant de «sujets» et de base au contrepoint. De nombreux exemples se retrouvent dans la musique instrumentale – Charpentier lui-même a laissé plusieurs séries de noëls pour les instruments –, la musique d’orgue, jusqu’à s’immiscer directement dans la liturgie, notamment dans la messe de Minuit. Utilisant les mélodies de onze noëls populaires, que le compositeur a soigneusement indiqués dans son manuscrit, la Messe de Minuit de Charpentier reste l’un des exemples les plus célèbres de cette pratique, dans une synthèse virtuose. Le Kyrie fait entendre le chant joyeux du noël Joseph est bien marié, vite nuancé dans le Christe par deux mélodies plus tendres : Or nous dites Marie (premier Christe) et Une jeune pucelle (second Christe). Le Gloria utilise deux noëls : Les Bourgeois de Châtres («Laudamus te») et Où s’en vont ces gais bergers («Quoniam tu solus sanctus»). Dans le Credo, les fidèles certainement purent aisément reconnaître Vous qui désirez sans fin («Deum de Deo»), Voici le jour solennel («Crucifixus») et À la venue de Noël («Et in spiritum sanctum»). Alors que le Sanctus s’appuie sur Ô Dieu que n’étais-je en vie, le noël À minuit fut fait un réveil sert de sujet à l’Agnus Dei. Pour l’offertoire, Charpentier se contente d’indiquer que l’on doit jouer une version instrumentale de Laissez paître vos bêtes. Ces références populaires confèrent à cette messe une grâce, une fraîcheur, une joie presque naïve, qui alternent avec des moments d’une grande intensité, d’une grande ferveur. Charpentier a su conjuguer avec génie l’essence populaire de Noël et toute l’exigence de la musique «savante» pour répondre à la solennité de la fête de la Nativité. On imagine le plaisir et l’émotion que pouvait procurer cette messe, qui prolongeait dans la liturgie de Noël l’ambiance des veillées familiales de l’Avent, dans une communion festive entre le clergé et les fidèles, mêlant la gravité de la célébration à la spontanéité des traditions populaires.
Charpentier a composé plusieurs pièces inspirées par le récit de la Nativité : deux pastorales en français (H 482 et H 483), et cinq pièces en latin (H 393, 414, 416, 420, 421), intitulées canticum, appartenant au genre de l’histoire sacrée (historia). Si les pastorales en français s’inscrivaient probablement dans le cadre domestique et privé de l’hôtel de Mlle de Guise, on ne connaît pas précisément les contextes, sans doute nuancés, pour lesquels les historiæ latines furent conçues et dans lesquels elles prenaient place. Il est probable qu’elles aient été envisagées dans une optique pédagogique, en marge de la liturgie proprement dite, comme méditations ou commentaires en musique, en appui des «exercices spirituels» chers aux Jésuites. Un contexte liturgique n’est cependant pas totalement à exclure. Par certains aspects, ces histoires sacrées ne sont pas très éloignées de certaines traditions en vigueur dans les diocèses de France, comme cette saynète liturgique en latin évoquant la visite des bergers à Bethléem, qui, lors de la vigile de Noël, prenait la forme d’une sorte de dialogue liturgique (et musical) entre les anges (les enfants de chœur) et les bergers (chantres et chanoines). Selon les diocèses, ce dialogue, parfois appelé «pastourelle», prenait place entre les matines et la messe de Minuit, ou durant la messe, après la communion4, comme le rapporte le théologien et liturgiste Jean Grancolas :
«[…] on alloit à une crèche qu’on préparoit derrière l’Autel, on y mettoit une représentation de la vierge et de l’Enfant Jésus, un Enfant de chœur représentant les Anges disoit au Clergé Gloria in excelsis, des chanoines représentoient les Pasteurs, saluoient la Vierge, et adoroient l’Enfant ; et au retour le Célébrant qui étoit resté à l’Autel, car c’étoit après la Communion de la première Messe, s’adressant au Clergé, disoit Quem vidistis Pastores ? Dicite annuntiate nobis in terris qui apparuit, et ceux qui représentoient les Pasteurs répondoient, Natum vidimus […].»5
Bien que se rattachant clairement au genre du motet – traditionnellement chanté à la Communion –, une pièce de Charpentier, H 314, s’appuie sur un texte approchant («Quem vidistis pastores ?»), tout en étant curieusement intitulé «canticum»… Peut-être faut-il voir là une porosité des pratiques ?
Quoi qu’il en soit, la plupart des historiæ de Charpentier sur la Nativité ont un lien, explicite ou plus indirect, avec les Jésuites de Paris, avec lesquels le compositeur collabora dès les années 1670 et au service desquels il entra plus directement après la mort de Mlle de Guise, en 1688. Ce concert réunit ses deux dernières contributions à ce genre éminemment italien, auquel il se familiarisa durant le séjour qu’il fit à Rome à la fin des années 1660 et dont il fut l’un des rares représentants en France, dans les milieux italianisants, ou sensibles aux pratiques liturgiques et musicales romaines, comme les centres jésuites.
Faisant alterner narration et méditation, les histoires sacrées de Charpentier sur la Nativité mêlent avec habileté éléments religieux et traditions pastorales profanes. Ainsi, comme la Messe de Minuit, ces œuvres comportent des «chansons», qui se rapprochent des noëls populaires par leur simplicité et leur naïveté, et en reprennent également le vocabulaire poétique et musical. L’on y trouve aussi le bienveillant «Nolite timere» [«N’ayez pas peur !»], prononcé par l’Ange de l’Annonciation et tiré de l’évangile de saint Luc : injonction rassurante propre au temps de la Nativité, et récurrente dans les exercices spirituels prônés par les congrégations jésuites durant l’Avent, pour conforter les fidèles dans la venue imminente du Sauveur.
In Nativitatem Domini Canticum, H 416, fut probablement composé pour Noël 1690. Cette œuvre imposante, la plus développée des histoires sacrées de Charpentier pour Noël, requiert quatre voix solistes (haute-contre, taille, deux basses), un chœur à quatre, deux flûtes, quatre parties de cordes et basse continue. Divisée en deux parties, mêlant narration et réflexion, elle répond parfaitement aux préoccupations et à la rhétorique jésuites : éduquer, édifier, mais aussi séduire, toucher et frapper les esprits pour mieux convertir, par une utilisation abondante de la musique. Le manuscrit autographe indique quelques personnages, inscrivant bien la pièce dans le genre de l’histoire sacrée : l’Ange (haute-contre), un Berger (Pastor, taille). Quant au chœur, il incarne deux entités distinctes : Chorus Justorum (chœur des Justes, dans la première partie), Chorus Pastorum (chœur des Bergers, dans la seconde partie). Préparé par un auteur inconnu, le texte, que le compositeur avait mis en musique (avec des variantes) dans une précédente histoire sacrée (Dialogus inter angelos et pastores Judææ In Nativitatem Domini, H 420, ca 1687), est basé sur des extraits de l’Ancien et du Nouveau Testament, ponctués de références liturgiques et d’éléments poétiques de liaison.
Si le récit, majoritairement repris de l’évangile de Luc (2, 10-15), le plus précis sur la Nativité, ne se fait véritablement que dans la seconde partie, la première est plus composite, plus rhétorique aussi, et intègre des éléments que l’on retrouve dans la liturgie de l’Avent ou de Noël. S’ouvrant par une citation du Psaume 12, Usquequo avertis faciem tuam, cette première partie constitue une mise en condition du fidèle, où sont évoqués la promesse du salut par l’arrivée du Sauveur et le mystère de sa conception virginale. Cette section culmine d’ailleurs dans un grand chœur fugué, citant Isaïe, «Rorate cæli desuper» (chap. 45, 8) : utilisé par l’Église en introït, antienne ou répons durant l’Avent, ce verset apparaît également dans la liturgie de l’Annonciation, au côté de l’antienne Alma Redemptoris mater – dont on entendra ici une version à quatre voix et instruments, H 44, mise en musique par Charpentier dans les années 1694-1696. L’association de la thématique mariale au récit de la Nativité était par ailleurs tout à fait logique, comme le montre une autre historia de Charpentier, Canticum in honorem Beatæ Mariæ inter homines et angelos, H 400, dont on entendra ici un extrait. Mais revenons à H 416. «Après un peu de silence», une page d’une beauté diaphane invite le fidèle à une pause méditative : jouée aux violons pourvus de «sourdines», cette «Nuit» envoûtante – épisode que l’on retrouve également dans H 420 – est bien plus qu’une simple pièce descriptive : elle amplifie et prolonge le mystère de l’Incarnation, constituant également une évocation symbolique, de l’obscurité vers la lumière, vers le salut, la rémission, le renouveau, et une transition rhétorique. Alors seulement commence le récit de la nativité, centré sur la visite des bergers de Judée à Bethléem : l’annonce qui leur est faite par l’Ange, secondé par le chœur chantant la gloire de Dieu et la paix enfin descendue sur les hommes («Gloria in altissimis Deo : et in terra pax bonæ voluntatis», également tiré de Luc, et repris dans le canon de la messe) ; le départ des bergers pour Bethléem («Transeamus usque Bethleem», Marche des Bergers), l’adoration du nouveau-né («O infans ! O Deus ! O Salvator noster !»). Puis «celuy qui a fait l‘Ange», selon les souhaits de Charpentier, invite les bergers – et donc les fidèles – à célébrer la naissance divine, dans le balancement naïf et réconfortant d’une «chanson» strophique («Pastores undique»), dans cette inspiration pastorale caractéristique de Noël. L’œuvre s’achève dans une joie plus liturgique et prosélyte, par un grand chœur de louange célébrant le salut, la justice et la paix envoyés par Dieu à travers Jésus («Exultemus, jubilemus Deo»). Dans la démarche et l’idéal jésuite de conversion et d’édification, cette «marche» des bergers, guidés par l’Ange vers la crèche de Bethléem, sa lumière, l’espérance qu’elle représente, constitue ainsi une métaphore du cheminement spirituel du chrétien, sauvé par sa foi dans sa quête de salut.
D’effectif et de dimensions plus modestes, In Nativitate Domini Nostri Jesu Christi Canticum, H 421, est écrit à trois parties de dessus et basse continue. Tous forment un chœur – essentiellement un Chorus Pastorum (chœur des Bergers), qui se fait aussi parfois récitant ou «historien» –, d’où émergent ponctuellement trois voix solistes : l’Ange (Angelus, premier dessus), une voix du chœur («Una ex choro», second dessus), et bien sûr l’historien (Historicus, troisième dessus). L’œuvre peut être datée de Noël 1698, le premier du compositeur en tant que maître de musique de la Sainte-Chapelle, après sa nomination le 28 juin 1698 – un poste qu’il occuperait jusqu’à sa mort, le 24 février 1704. Le canticum H 421 fut-il destiné aux enfants de chœur de ce lieu prestigieux ? On ne connaît en effet pas pour Charpentier d’activité hors du cadre, strict et quelque peu contraignant, du service de la Sainte-Chapelle. Avait-il gardé des liens avec les communautés religieuses pour lesquelles il avait composait auparavant ? Si H 421 était bien destiné aux enfants de la Sainte-Chapelle, on imagine en tout cas la haute qualité de leur préparation, au regard de quelques passages vocalement exigeants.
Tout comme celui de H 416, le texte de H 421 s’appuie majoritairement sur l’évangile selon saint Luc (chap. 2, 8-12, 15), avec de nombreux extraits communs. L’œuvre, en une seule partie, commence néanmoins plus directement sur le texte biblique, dans une dynamique plus narrative, sans les éléments méditatifs et exégétiques qui constituaient la première partie de H 416.
On peut aussi rapprocher H 421 d’une autre histoire sacrée, H 414. Bien que de proportions et d’effectif différents – trois dessus et basse continue pour H 421, 6 voix mixtes et instruments pour H 414 –, les deux œuvres utilisent un texte quasiment identique, notamment dans ces éléments poétiques de liaison. Plusieurs œuvres de Charpentier, dont H 414 (que l’on peut dater de Noël 1684), pourraient avoir un lien avec des institutions proches des cercles jésuites et soutenues par les deux protectrices du compositeur : l’institut des écoles charitables de l’Enfant-Jésus, congrégation féminine chargée d’instruire des jeunes filles pauvres, fondée par le père Nicolas Barré en 1674, et dont la communauté parisienne, installée rue de Vaugirard, était protégée par Mlle de Guise (1615-1688) ; et l’Hôtel de l’Enfant-Jésus, maison jésuite dédiée à l’éducation de jeunes garçons de la noblesse, protégée par Élisabeth-Marguerite d’Orléans, Mme de Guise (1646-1696), et située paroisse Saint-Sulpice6. Charpentier aurait-il gardé des liens avec ces institutions ? Dans les Mélanges, la chanson Salve puellule est entonnée au deuxième dessus (secundus superius) par «Una ex choro» («une du chœur»). H 421 pourrait donc bien avoir été destiné à des voix féminines : l’on pense donc aux religieuses de l’Enfant-Jésus, ou aux jeunes filles qu’elles éduquaient : étudiaient-elles la musique, comme le faisaient, à la même époque, les «demoiselles» de la Maison royale de Saint-Cyr, fondée par Madame de Maintenon en 1685 ?
Peu de compositeurs ont su aussi bien que Marc-Antoine Charpentier capter dans un même geste toute la spiritualité et la magie de Noël, magie à la fois naïve et solennelle, qui nous parle et nous touche toujours aujourd’hui, dans un émerveillement intemporel.
– Thomas Leconte
Centre de musique baroque de Versailles
© Harmonia Mundi, 2023
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[1] Les numéros «H» renvoient à H. Wiley Hitchcock, Les Œuvres de/The Works of Marc-Antoine Charpentier : Catalogue raisonné, Paris, Picard, 1982.
[2] Étienne Pasquier, Les Recherches de la France […], Paris, Laurent Sonnius, 1621 (éd augmentée), Livre IV, chap. XVI, p. 383.
[3] Dom Guéranger (1805-1875), L’Année liturgique, 2e section : le temps de Noël, 1re partie, Le Mans, 1845, p. 150.
[4] Sur ces pratiques, voir Bernard Dompnier, «Les “petites farces ou comédies spirituelles” de Noël : des traditions liturgiques contestées entre XVIIe et XVIIIe siècle», La Célébration de Noël du XVIIe et XVIIIe siècle : liturgie et tradition, Siècles – Cahiers du Centre d’histoire «Espaces et Cultures», Université Blaise-Pascal – Clermont-Ferrand II, 21 (2005), p. 55-72.
[5] Jean Grancolas, Commentaire historique sur le bréviaire romain […], Paris, Philippe-Nicolas Lottin, 1727, II, p. 75-76.
[6] Voir Catherine Cessac, op. cit., p. 125.
L’ensemble Correspondances
Dessus :
Caroline Weynants
Anne-Laure Hulin
Eva Plouvier
Caroline Bardot
Marie-Frédérique Girod
Maud Haering
Bas-dessus :
Lucile Richardot
Marie Pouchelon
Haute-contre :
Paco Garcia
Carlos Porto
Tailles :
Jordan Mouaïssia
Thibault Givaja
Antonin Alloncle
Davy Cornillot
Basses :
Étienne Bazola
Thierry Cartier
Adrien Fournaison
Renaud Bres
Violons
Béatrice Linon
Josèphe Cottet
Flûtes
Lucile Perret
Matthieu Bertaud
Viole
Mathilde Vialle
Violone
Étienne Floutier
Basse de violon
Hager Hanana
Théorbe
Thibaut Roussel
Orgue
Mathieu Valfré
Clavecin
Guillaume Haldenwang
Basson
Isaure Lavergne
Hautbois
Johanne Maitre