J’ai déjà dirigé à de nombreuses reprises la Neuvième de Beethoven – la première fois à Manchester, avec l’Orchestre Hallé. Cette œuvre universellement célèbre recèle un fascinant paradoxe. Alors que tout le dernier Beethoven, celui des sonates pour piano et des quatuors, anticipe de manière vertigineuse ce que sera le devenir d’un siècle de musique pure, l’Ode à la joie de Schiller, sur laquelle culmine ce monument, laisserait croire que le compositeur se contredit. La musique ne commence pas là où s’arrêtent les mots, les mots commencent là où la musique s’arrête, au sens propre du terme. Les trois premiers mouvements nous ont pourtant transportés au-delà de tout ce que la musique pouvait offrir de beautés, d’énergie, de délicatesse et de profondeur. Et soudain, la récapitulation des thèmes qui ouvre le dernier tourne au chaos cosmique, avant de s’abîmer dans le silence. Silence dont seules les voix nous sauveront, en appelant à cette fraternité qui avait besoin d’être énoncée, concrète, faite verbe. Quoi de plus glorieux et exaltant que ce chant, qui incarne l’euphorie et l’ivresse de l’humanité luttant pour réaliser un idéal, sans toujours mesurer combien cette lutte est plus belle que son objectif, rarement atteint ?
Nikolaj Szeps-Znaider
Directeur musical
Beethoven, Symphonie n° 9
Nikolaj Szeps-Znaider
Symphonique | ONL