Notes de programme

L’OISEAU DE FEU

Jeu. 17 & ven. 18 nov. 2022

Retour au concert des jeudi. 17 et vendredi 18 nov. 2022

Programme détaillé

Maurice Ravel (1875-1937)
Oiseaux tristes, extrait des Miroirs pour piano (n° 2)

Orchestration de Colin Matthews (né en 1946)

[4 min]

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 3, en ut mineur, op. 37

I. Allegro con brio
II. Largo
III. Rondo : Allegro – Presto

[35 min]

Igor Stravinsky (1882-1971)
L’Oiseau de feu, conte dansé en deux tableaux
(Ballet intégral)

Introduction

Premier tableau
Le jardin enchanté de Kastcheï – Apparition de l’Oiseau de feu poursuivi par Ivan Tsarévitch – Danse de l’Oiseau de feu – Capture de l’Oiseau de feu par Ivan Tsarévitch – Supplications de l’Oiseau de feu – Apparition des treize Princesses enchantées – Jeu des Princesses avec les pommes d’or (Scherzo) – Brusque apparition d’Ivan Tsarévitch – Corovod (Ronde) des Princesses – Lever du jour – Ivan Tsarévitch pénètre dans le palais de Kastcheï – Carillon féerique, apparition des monstres-gardiens de Kastcheï et capture d’Ivan Tsarévitch – Arrivée de Kastcheï l’Immortel – Dialogue de Kastcheï avec Ivan Tsarévitch – Intercession des Princesses – Apparition de l’Oiseau de feu – Danse de la suite de Kastcheï enchantée par l’Oiseau de feu – Danse infernale de tous les sujets de Kastcheï – Berceuse (l’Oiseau de feu) – Mort de Kastcheï – Profondes ténèbres

Deuxième tableau
Disparition du palais et des sortilèges de Kastcheï, animation des guerriers pétrifiés. Allégresse générale

[45 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Yefim Bronfman piano

Ravel, Oiseaux tristes

Composition : 1904-1905.
Création : Paris, salle Érard, 6 janvier 1906, dans le cadre de la Société nationale de musique, par Ricardo Viñes.
Orchestration : 2015.
Création de la version orchestrée : Londres, Royal Albert Hall, dans le cadre des BBC Proms, 7 août 2015, par le BBC Philharmonic Orchestra sous la direction de Nicholas Collon.

Publié en 1906, le recueil des Miroirs montre Ravel à son plus impressionniste – on a parfois l’impression d’entendre du Debussy, voire du Liszt. À son sujet, l’auteur confia que les pièces qui le forment «marquent dans [s]on évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu’alors à [s]a manière…» Et il ajoute : «Le titre des Miroirs a autorisé mes critiques à compter ce recueil parmi les ouvrages qui participent du mouvement dit impressionniste», tout en précisant : «Ce mot de miroir en tout état de cause ne doit pas laisser supposer chez moi la volonté d’affirmer une théorie subjectiviste de l’art

Il est étonnant que les Oiseaux tristes n’aient pas été orchestrés par Ravel lui-même. Le compositeur était en effet coutumier du fait (La Valse, la Rapsodie espagnole ou Ma Mère l’Oye existent ainsi en format piano(s) ou orchestre). Il transcrivit d’ailleurs pour l’orchestre deux autres pièces du recueil, Une barque sur l’océan (dès 1906, mais pour une fois sans grande réussite) et Alborada del gracioso (en 1918). Dans celle-ci, comme dans la plupart des autres orchestrations ravéliennes, «brillent une ingéniosité et une virtuosité qui n’ont jamais été surpassées» (Christian Goubault). Pourquoi Ravel ne fit-il pas de même pour les Oiseaux tristes, le morceau qu’il préférait dans le recueil, et dont il disait qu’il n’était pas pianistique ?

Le compositeur anglais Colin Matthews, auquel on doit également de belles orchestrations de Debussy, a pallié ce manque à la demande de la BCC en 2015. Il adopte un effectif tout à fait ravélien, où l’on note la présence du contrebasson (un instrument qu’affectionnait son prédécesseur) ainsi que d’un glockenspiel, de deux harpes et d’un célesta. Les «oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt très sombre, aux heures les plus chaudes de l’été» (Ravel dixit) conservent dans ce nouveau médium toute leur séduction mélancolique.

– Angèle Leroy

Beethoven, Concerto pour piano n° 3

Composition : Vienne, entre 1800 et 1802.
Création : Vienne, Theater an der Wien, 5 avril 1803, par l’auteur.
Dédicace : au prince Louis-Ferdinand de Prusse.

On se prend à rêver en apprenant que, sur la scène du théâtre où La Flûte enchantée paraissait dix ans auparavant, Beethoven a donné en création, au même concert, sa Seconde Symphonie, son oratorio Le Christ au mont des Oliviers et son Troisième Concerto… Plus apprécié alors comme pianiste et improvisateur que comme compositeur, jouissant d’une faveur croissante auprès des mélomanes viennois et de la noblesse, il compte s’affirmer ce soir-là.

Si l’on compare ce concerto en ut mineur à celui que Mozart écrivit en 1786 dans la même tonalité (n° 24, KV 491), et que Beethoven pouvait connaître, sa dimension symphonique s’impose en contraste avec le caractère chambriste de son aîné. Jusqu’à l’entrée du soliste, assez tardive, on assiste à une exposition complète des deux thèmes. Tout est dit, à ce qu’il semble. Il ne restera plus au pianiste – mais tout est là, dans la stratégie beethovenienne – qu’à reprendre, comme s’il la corrigeait en la rehaussant, toute l’exposition, entraînant l’orchestre en complicité. Après un développement modulant relativement bref, la réexposition offre un nouveau visage de l’exposition dont elle diffère considérablement. La vaste cadence, enfin, de la main de Beethoven, insère des arpèges virtuoses au sein de ce qu’on peut considérer comme un nouveau développement sur les deux motifs. Page impressionnante au point que l’orchestre semble revenir sur la pointe des pieds avant de triompher avec le soliste.

À la simplicité diaphane du Larghetto de Mozart, le Largo de Beethoven oppose l’épaisseur profonde d’une méditation chorale, comme si l’expression intime ne pouvait être solitaire. Les successions de tierces parallèles du piano évoquent si nettement l’union des voix, tout comme le dialogue de la flûte et du basson au-dessus du murmure des arpèges du clavier, qu’il n’est pas interdit de songer à une transposition musicale de la scène du balcon de Roméo et Juliette. Le choral reprend ensuite, coupé par une cadence «sempre con gran espressione» [«toujours avec beaucoup d’expression»] et un récitatif qui se passe de mots. La conclusion s’allège merveilleusement.

Le mode mineur confère au thème refrain du Rondo final un caractère opiniâtre et têtu qui semble justifier son retour, sous différents visages, comme pour remettre de l’ordre après les diversions, parfois charmeuses, des couplets. Le Presto final à 6/8, dont on ne sait pourquoi les clarinettes sont exclues, est un pied-de-nez au mauvais bon goût.

– Gérard Condé

Stravinsky, L’Oiseau de feu

Argument : Michel Fokine, avec la complicité d’Alexandre Benois et du compositeur.
Composition : de novembre 1909 au 18 mai 1910. 
Création : Paris, Opéra, le 25 juin 1910 par Tamara Karsavina (l’Oiseau de feu), Véra Fokina (la belle Tsarevna), Michel Fokine (Ivan Tsarévitch) et Alexeï Boulgakov (Kastcheï), dans une chorégraphie de Michel Fokine, des décors d’Alexandre Golovine et des costumes de Léon Bakst. Orchestre dirigé par Gabriel Pierné.

Premier ballet de Stravinsky, L’Oiseau de feu marque l’irruption sur la scène musicale internationale de ce talent particulièrement original et admiré. Dès 1908, la compagnie des Ballets russes, dirigée par Serge Diaghilev, avait commencé à donner des spectacles à Paris, dans le but de faire connaître l’art russe. Après le succès de deux ballets exotiques, Les Orientales et Schéhérazade, Diaghilev voulut poursuivre dans la même veine et imagina cet Oiseau de feu, dont le chorégraphe Michel Fokine et le peintre Alexandre Benois conçurent l’argument en mêlant deux contes russes : L’Oiseau de feu et Kastcheï l’Immortel.  Pour la musique, Diaghilev contacta en vain Nikolaï Tcherepnine et Anatole Liadov, puis sollicita le jeune Stravinsky, dont la création récente du Scherzo fantastique et de Feu d’artifice, en janvier 1909, l’avait ébloui.

Le ballet se déroule dans une Russie légendaire. Le programme de la création résume ainsi l’action : «Ivan Tsarévitch voit un jour un oiseau merveilleux, tout d’or et de flammes ; il le poursuit sans pouvoir s’en emparer, et ne réussit qu’à lui arracher une de ses plumes scintillantes. Sa poursuite l’a mené jusque dans les domaines de Kastcheï l’Immortel, le redoutable demi-dieu qui veut s’emparer de lui et le changer en pierre, ainsi qu’il le fit déjà avec maint preux chevalier. Mais les filles de Kastcheï et les treize Princesses, ses captives, intercèdent et s’efforcent de sauver Ivan Tsarévitch. Survient l’Oiseau de feu, qui dissipe les enchantements. Le château de Kastcheï disparaît, et les jeunes filles, les Princesses, Ivan Tsarévitch et les chevaliers délivrés s’emparent des précieuses pommes d’or de son jardin.»

L’influence de Rimski-Korsakov est évidente dans ce déferlement orchestral aux couleurs extraordinaires. Mais on décèle également la marque de Glinka, de Debussy et même de Wagner dans cette partition qui, surtout, révèle la plume très personnelle de Stravinsky : ainsi la «Danse infernale de tous les sujets de Kastcheï» annonce-t-elle la sauvagerie harmonique et rythmique du Sacre du Printemps, l’utilisation d’airs populaires préfigure-t-elle Petrouchka.

Stravinsky excelle à caractériser des univers musicaux tranchés. Les personnages humains (Ivan, les Princesses) se voient associer une musique diatonique, des rythmes aux contours francs et même des inflexions populaires dans le «Corovod des Princesses», pendant lequel Ivan tombe amoureux de Tsarevna ; cette ronde populaire, Stravinsky en a emprunté la mélodie à un recueil assemblé par Rimski-Korsakov. L’univers sombre et maléfique de Kastcheï et de ses monstres-gardiens se caractérise par sa rudesse, avec des superpositions rythmiques complexes, une harmonie tendue par les dissonances, le chromatisme et l’intervalle «diabolique» de triton (quarte augmentée) ; la vision de son château dressé sur une haute falaise (Introduction) et celle de son jardin, lieu magique et obscur où seules brillent les pommes d’or, donnent lieu à d’admirable peintures sonores. Un orchestre scintillant et des volutes séductrices traduisent la beauté de l’Oiseau, même si une musique convulsive traduit la détresse de l’animal, capturé par Ivan Tsarévitch («Supplications de l’Oiseau de feu»).

– Claire Delamarche

Le podcast de L’AO