Symphonie n° 2 de Beethoven
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Nikolaj Szeps-Znaider est malheureusement contraint d’annuler sa venue pour des raisons personnelles. Il regrette profondément de ne pouvoir être présent lors de ce concert. Il sera remplacé par le chef Vassili Petrenko, directeur musical du Royal Philharmonic Orchestra de Londres.
Programme détaillé
Concerto pour violon en si mineur op. 61
I. Allegro
II. Andante
III. Allegro molto
[48 min]
--- Entracte ---
Subito con forza
[5 min]
Symphonie n° 2, en ré majeur, op. 36
I. Adagio molto – Allegro con brio
II. Larghetto
III. Scherzo : Allegro
IV. Allegro molto
[32 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
Vassili Petrenko direction
Renaud Capuçon violon
Elgar, Concerto pour violon
Composition : 1909-1910.
Dédicataire : Fritz Kreisler.
Création : Londres, 10 novembre 1910, par Fritz Kreisler sous la direction du compositeur.
«Si vous voulez savoir qui je considère comme le plus grand compositeur vivant, je vous répondrai sans hésiter Elgar […]. Je ne dis cela pour plaire à personne ; c’est ma propre conviction […]. Je le place sur un pied d’égalité avec mes idoles, Beethoven et Brahms. Il est de la même famille aristocratique. Son invention, son orchestration, son harmonie, sa grandeur, c’est merveilleux. Et c’est de la musique pure, sans affectation.» Ainsi s’exprime le grand violoniste Fritz Kreisler dans une interview donnée au Hereford Journal en 1905 ; le virtuose ajoute ensuite : «J’aimerais qu’Elgar écrive quelque chose pour le violon.»
Son désir se réalise quelques années plus tard : en 1909, grâce à une commande de la Royal Philharmonic Society de Londres, Elgar se met au travail. Malgré l’intimité qu’il entretient avec l’instrument (il avait pensé dans sa jeunesse à faire carrière comme violoniste, et avait esquissé un premier concerto vers 1890), le compositeur sollicite les avis de Kreisler et de W. H. «Billy» Reed, l’un des membres fondateurs du London Symphony Orchestra. Tous deux l’aident avec les coups d’archets, doigtés et passages de virtuosité de la partie soliste. Bien que certains passages soient retravaillés dans le sens d’une plus grande praticité pour l’interprète, le concerto reste l’un des plus difficile du répertoire, ainsi que l’un des plus longs.
La création en 1910 par Fritz Kreisler, à qui la pièce est dédiée, est un succès éblouissant – ce sera la dernière œuvre d’Elgar à connaître un tel accueil. Repris dans toute l’Europe par son dédicataire, le concerto entre aussi au répertoire des autres grands virtuoses de l’époque, tels Eugène Ysaÿe et Jascha Heifetz, qui le donne notamment à New York. Si, selon Kreisler lui-même, Ysaÿe était le meilleur interprète de l’œuvre, c’est à un autre violoniste que l’œuvre sera par la suite associée : Yehudi Menuhin. En 1932, le jeune homme de 16 ans l’enregistre en effet avec le London Symphony Orchestra dirigé par Elgar – une gravure qui restera mythique.
Le Concerto pour violon op. 61 compte parmi les plus grandes réussites du compositeur, aux côtés d’autres partitions comme les Variations «Enigma», l’oratorio The Dream of Gerontius ou le plus tardif Concerto pour violoncelle. Animé d’un rare souffle poétique, il reste fortement influencé par une esthétique romantique où se devine notamment l’ombre portée de Brahms. Comme celui de Berg quelque vingt-cinq ans plus tard, c’est une œuvre intensément personnelle, voire autobiographique : «J’ai écrit mon âme en toutes lettres dans ce concerto, […] et tu le sais», affirme Elgar en 1912 à son amie Alice Stuart-Wortley. Outre la dédicace à Fritz Kreisler, la partition porte en exergue une phrase en espagnol empruntée au Gil Blas de Lesage : «Aquí está encerrada el alma de … » [«Ici est enfermée l’âme de … »]. L’identité de la personne à qui fait référence cette phrase n’est pas précisée – on sait qu’Elgar aimait les secrets et les devinettes, lui qui expliqua que les Variations «Enigma» étaient fondées sur un thème jamais joué mais bien connu, déchaînant ainsi les curiosités.
Plusieurs possibilités ont été envisagées par les proches du compositeur ainsi que les musicologues. Il pourrait notamment s’agir d’Alice Stuart-Wortley, qui était l’une des amies les plus proches d’Elgar, et à laquelle il parlait de «notre concerto», ainsi que des «thèmes Anémone» présents dans l’œuvre (Anémone étant le surnom dont il gratifiait Alice).
Ouvert sur un long Allegro immensément virtuose, le concerto élabore ensuite en guise d’Andante une longue et douce cantilène. Tout comme celle-ci fait référence au premier mouvement, le finale retravaille des matériaux précédemment énoncés et débouche sur une cadence accompagnée qui, rappelant tous les thèmes, constitue le climax émotionnel et structurel de l’œuvre : «Elgar s’attarde sur ses thèmes comme s’il ne pouvait supporter de leur dire adieu, de peur de perdre l’âme qu’ils renferment», note le musicographe Henry Cope Colles, alors critique musical au Times.
– Angèle Leroy
Chin, Subito con forza
Composition : 2020.
Création : Amsterdam, Concertgebouw, 24 septembre 2020, par l’Orchestre royal du Concertgebouw sous la direction de Klaus Mäkelä.
En 2020, la compositrice sud-coréenne Unsuk Chin, à laquelle Radio France vient de consacrer son Festival Présences 2023, compose la courte pièce Subito con forza à l’occasion des célébrations organisées pour le 250e anniversaire de la naissance de Beethoven. «Il était constamment à la recherche de nouvelles directions. Il fut le premier compositeur consciemment moderne, dans le sens où chacune de ses pièces demandait des solutions originales, même si cela impliquait de rompre avec les formes existantes», explique Chin à propos de son prédécesseur. Les références au maître de Bonn émaillent donc le tissu musical de Subito con forza, dont le titre, lui aussi, utilise des indications de caractère typiquement beethovéniennes («soudainement et avec force»). L’unisson rageur des cordes sur lequel débute la pièce est ainsi celui par lequel commence l’ouverture Coriolan. Mais au lieu de déboucher sur l’accord de fa mineur de l’original, il explose en un amas sonore très vite suivi d’une brusque chute d’énergie : «Ce qui m’attire particulièrement [dans la musique de Beethoven], ce sont les gigantesques contrastes : des éruptions volcaniques à l’extrême sérénité», explique Chin à Thea Derks. Les quelques minutes suivantes articulent une suite d’idées d’une grande diversité d’atmosphères et d’orchestrations, inspirées à la compositrice, comme elle l’explique elle-même, par cette phrase notée par Beethoven dans un carnet : «Majeur et mineur. Je suis un gagnant.» [«Dur und Moll. Ich bin ein Gewinner.»] Comme l’explique Simon Cummings, Subito con forza se pense «moins [comme] une citation que [comme] la célébration et du reflet de l’attitude indomptable de l’un des plus grands innovateurs de la musique. Chin a cherché à incarner l’une des principales caractéristiques de la musique de Beethoven : le feu et l’énergie incessants qui propulsent sa musique avec une force apparemment inarrêtable».
– A. L.
Beethoven, Symphonie n° 2
Composition : 1802.
Création : Vienne, Theater an der Wien, 5 avril 1803, sous la direction du compositeur.
Dédicace : au prince Karl von Lichnowsky.
Achevée pendant l’été 1802, quelques mois avant la rédaction du «Testament de Heiligenstadt», la Deuxième Symphonie ne reflète guère les inquiétudes du musicien dont les troubles auditifs se faisaient de plus en plus pressants. Elle n’annonce pas non plus la lettre terrifiante que Beethoven allait bientôt adresser à ses frères, lettre que finalement il n’envoya jamais. «Il en fut ainsi pendant ces six mois que j’ai passés à la campagne, poussé par mon intelligent médecin à ménager mes oreilles le plus possible, expliquait le compositeur. Mais quelle humiliation quand quelqu’un à côté de moi entendait le son d’une flûte au loin et que je n’entendais rien, ou quand quelqu’un entendait chanter un berger, et que je n’entendais rien non plus. De tels événements me poussaient au seuil du désespoir, et il s’en fallait de peu que je ne mette fin moi-même à ma vie.» Amené à quitter Vienne pour se réfugier dans le calme d’un petit village au nord de la ville, Beethoven ne pleurait pourtant pas sur son sort, travaillant et parant sa nouvelle symphonie d’une joie inattendue.
Peut-être était-ce là une sorte d’échappatoire, la meilleure façon d’oublier les problèmes, même si l’on n’y retrouvera pas l’apparente insouciance des derniers mouvements de quatuors qui seront composés bien plus tard, lorsque les soucis se seront évanouis, et que les expériences formelles et stylistiques les plus surprenantes ne correspondront plus aux besoins de l’instant. La Deuxième Symphonie est encore une œuvre qui se cherche, ainsi que le démontre l’introduction initiale, son alternance de soli et de tutti, ses enchaînements parfois peu naturels, fruits du travail sur le contraste et la rupture. Certains critiques reprochèrent à Beethoven de succomber à la tentation de la nouveauté pour elle-même, une chronique de la Zeitung für die elegante Welt [Journal pour le monde élégant] évoquant une tendance regrettable vers le neuf et le surprenant tandis que la Première Symphonie semblait, au contraire, libérée de toutes les contraintes. Bien sûr, il y a, dans la Deuxième Symphonie, ce scherzo qui remplace le menuet, habituel jusqu’alors. Mais la différence entre les deux partitions se situe plutôt dans la nature des idées, des mélodies ici un peu moins charmeuses, semblant vouloir céder la primauté aux jeux de timbres, dans le scherzo notamment où ils sont étonnants.
Dès les premières mesures, le matériau de la Deuxième Symphonie est d’une simplicité désarmante, gammes descendantes, marches harmoniques, tête de sujet de quatre notes appelant un dénouement fugué, trilles que les cordes et les vents se partagent. Puis, comme il se doit, on entend un allegro de forme sonate, avec une réexposition quasi semblable à l’exposition, un développement central privilégiant le premier thème, le tout donnant une impression assez martiale.
Le second mouvement sera beaucoup plus calme, simple mélodie dont il faut apprécier la subtilité de l’orchestration, parfois assombrie par des glissements du mode majeur au mode mineur, mais qu’éclaire un épisode légèrement plus dansant, discrète réminiscence d’un ländler. Une image du bonheur régulièrement troublée par la nostalgie, comme si l’on ne pouvait être parfaitement heureux.
Pour sa part, le finale ne montrera aucune hésitation, à l’opposé de celui de la symphonie précédente, dont la première ligne, ascendante, s’élevait progressivement pour chercher, par six fois, le moyen de lancer le mouvement. C’est un rondo au refrain enjoué, où l’intrusion des tuttis n’est plus le signe de la fébrilité, mais celui de la puissance et d’une irrésistible gaieté.
– François-Gildas Tual