◁ Retour au concert du jeu. 28 mars 2024
Programme détaillé
Symphonie n° 8, en si mineur, D 759, «Inachevée»
I. Allegro moderato
II. Andante con moto
[25 min]
--- Entracte ---
Parsifal
Festival scénique sacré en trois actes
Suite d’orchestre réalisée par Andrew Gourlay
Prélude de l’acte I – Acte III scène 1 – «Enchantement du Vendredi saint» – Acte I scène 2 – Prélude de l’acte III – Prélude de l’acte II – Transition entre les scènes 1 et de 2 de l’acte I – Transition (acte III) – Scène finale
Distribution
Orchestre national de Lyon
Markus Stenz direction
Introduction
En 1822, sept ans avant de quitter cette terre, Schubert composa deux mouvements de symphonie et laissa les deux suivants inexistants. La raison de cet abandon ? On ne la connaîtra certainement jamais. Mais après un mouvement lent aussi captivant, pouvait-il encore dire quelque chose ? Il faut, pour couronner une partition de cette profondeur et de cette émotion, une autre qui possède ces qualités à un degré au moins égal. Et à ce jeu, Parsifal a peu de rivaux. À sa création en 1882, l’ultime opéra de Wagner fit courir jusqu’à Bayreuth, le fief du compositeur, toute une génération de musiciens ébahis. Son éclat particulier continue de nous fasciner, mélange inimitable de mystère et de hiératisme, de frémissements translucides et d’éclats cuivrés. La suite que propose l’Orchestre national de Lyon en réunit les plus belles pages orchestrales, notamment le prélude de l’acte I et l’«Enchantement du Vendredi saint», et l’absence de voix nous rappelle l’incroyable puissance, l’infinie poésie de l’orchestre wagnérien.
Schubert, Symphonie n° 8, «Inachevée»
Composition : 1822.
Création : 17 décembre 1865 à Vienne (Autriche), sous la direction de Johann Herbeck, complétée par le finale de la Symphonie n° 3, en ré majeur de Schubert.
La Symphonie en si mineur de Schubert est loin d’être l’unique chef-d’œuvre qui nous soit parvenu incomplet. Pour un Haydn, un Brahms, un Verdi posant eux-mêmes le point final de leur œuvre, combien de Mozart, Bruckner, Puccini, Mahler, Bartók fauchés en pleine inspiration ? Toutefois, la symphonie de Schubert occupe un rang singulier dans la litanie des partitions inachevées. En effet, même si le compositeur est mort très jeune, à 31 ans, cette disparition précoce n’est pour rien dans le fait qui nous occupe : c’est délibérément que Schubert s’est arrêté au milieu du gué, privant sa partition – et la postérité – du scherzo et du finale qu’aurait exigés le schéma classique.
En fait, dans la dernière décennie de sa vie, Schubert laissa de nombreuses œuvres en chantier, à des stades plus ou moins avancés. Il s’agissait principalement d’œuvres de grande envergure (symphonies, sonates, quatuors), ce qui témoigne d’interrogations profondes sur ces formes ambitieuses, si éloignées des petites tranches d’âme dans lesquelles il était passé maître dès la fin de l’adolescence (lieder, pièces pour piano).
Composée presque sept ans avant la mort du compositeur, la Symphonie «inachevée» est le plus beau et le plus abouti de ces projets. Son histoire débute en octobre 1822, lorsque Schubert en esquisse trois mouvements sous forme de partition pour piano. Un mois plus tard, il a fini d’orchestrer les deux premiers mouvements et un fragment du scherzo qui leur fait suite. Il n’ira pas plus loin.
Toutes sortes de théories ont tenté d’expliquer ce phénomène. On ne peut exclure, bien entendu, que les deux mouvements manquants aient vu le jour mais aient été perdus. Toutefois, aucun indice ne vient étayer cette hypothèse. On a également suggéré que le finale aurait trouvé une seconde vie dans la musique de scène de Rosamunde, créée à Vienne le 20 décembre 1823, sous la forme du premier entracte : ce morceau adopte à la fois la tonalité de l’Inachevée, si mineur, et son effectif orchestral (y compris un troisième trombone assez inhabituel pour l’époque).
Autre possibilité : en novembre 1822, tandis qu’il travaillait à cette partition, Schubert apprit qu’il souffrait de la syphilis. Cette maladie, alors fatale, était la promesse de souffrances et de traitements éprouvants. Certainement cette annonce eut-elle un effet dévastateur, quoique passager, sur les facultés créatrices du compositeur. Mais elle n’explique pas tout. Aussi préfère-t-on généralement avancer des raisons d’ordre esthétique : Schubert aurait placé de tels espoirs dans cette partition, et si bien réussi dans les deux premiers mouvements, qu’il aurait renoncé à composer le scherzo et le finale, paralysé par l’enjeu.
Après six symphonies aux formes assez classiques, malgré leur beauté et leur imagination, l’Inachevée (septième dans l’ordre de composition, et numérotée ainsi dans les pays anglo-saxons) s’inscrivait dans une volonté évidente de renouveler les formes. En témoignent d’autres partitions contemporaines, tels les fragments symphoniques D 615, D 708 et D 729, mais également le Quartettsatz en ut mineur, le Quatuor «La Jeune Fille et la Mort», la Wanderer-Fantasie pour piano ou, dans le domaine vocal, les fragments de la cantate Lazarus, la Messe en la bémol majeur ou le Chant des esprits sur les eaux, sur un poème de Goethe.
Inachevée ou non, la Symphonie en si mineur ouvre incontestablement de nouvelles voies dans la musique symphonique, présentant bien des points originaux : la tonalité de si mineur ; l’étonnante entrée en matière, une phrase des violoncelles et contrebasses à l’unisson ; la longueur des deux mouvements, assez proches par la nature et le tempérament ; le caractère murmuré des thèmes, présentés pianissimo et secoués progressivement de soubresauts plus intenses, jusqu’au cataclysme ; le caractère obsessionnel et menaçant de ces thèmes, enroulés sur eux-mêmes ; les effets de spatialisation – notamment, au début, le hautbois et la clarinette flottant en apesanteur au-dessus des cordes, et tous ces accents suivis de decrescendos donnant l’impression qu’un fantôme s’évanouit ; le parfum de Ländler, cet ancêtre rustique de la valse ; les mélodies s’arrêtant brutalement, les silences pesants, les accents à contretemps, les syncopes qui, çà et là, bousculent le discours.
En 1823, Schubert envoya le manuscrit de l’Inachevée à Anselm Hüttenbrenner, qui le rangea dans un tiroir. Celui-ci fit référence à l’œuvre dans une notice de dictionnaire en 1836, et l’information fut reprise en 1864 par un biographe de Schubert, Heinrich Kreissle von Hellborn. Hellborn fit pression sur Hüttenbrenner pour qu’il rende publique la symphonie et n’obtint satisfaction qu’en organisant un concert à la gloire de trois «grands» Viennois presque contemporains, Schubert, Lachner et Hüttenbrenner lui-même. Ainsi, à sa création, l’Inachevée partagea-t-elle l’affiche avec une ouverture de ce modeste compositeur.
L’exécution eut lieu à Vienne en 1865, sous la direction de Johann von Herbeck. Aux deux mouvements existants, le chef d’orchestre avait ajouté le finale de la Troisième Symphonie de Schubert. Il ne reproduisit pas cet artifice lors de la seconde exécution, en novembre 1866. Et la Symphonie inachevée s’envola pour une carrière hors du commun, partageant rapidement avec la Cinquième Symphonie de Beethoven le titre de symphonie la plus populaire du répertoire viennois.
– Claire Delamarche
Wagner, Parsifal
Premières esquisses du livret : 1850.
Composition de la partie musicale : 1876 à 1882.
Création : Bayreuth, Festspielhaus, 26 juillet 1882, sous la direction du compositeur.
La fascination qu’exerça Richard Wagner sur ses contemporains et la génération suivante tient en grande partie à la ténacité avec laquelle il mit en œuvre, année après année, son idéal artistique. Dans ce processus, Parsifal marque l’ultime étape. L’intérêt du compositeur pour cette légende médiévale remonte à l’été 1845, lorsqu’il découvrit le poème épique de Wolfram von Eschenbach Parzival et les fragments de son Titurel. Écrit au début du XIIIe siècle, Parzival eut à l’époque un énorme retentissement ; il était lui-même l’adaptation d’un roman français inachevé, le Perceval de Chrétien de Troyes.
Il fallut attendre la fin des années 1850 pour que Wagner écrive un premier projet de livret en prose (aujourd’hui perdu), l’esquisse complète datant du milieu des années 1860. Il s’écoula encore une douzaine d’années avant la rédaction définitive du livret, préliminaire indispensable à la composition musicale. Wagner commença la partition au lendemain de la première exécution complète du Ring, qui eut lieu en 1876 à Bayreuth, dans le théâtre qu’il avait spécialement conçu pour présenter ses œuvres de maturité. Parsifal fut présenté au public de Bayreuth le 26 juillet 1882. Ce fut un succès public et financier : pas moins de seize exécutions eurent lieu, jusqu’au 29 août. Moins de six mois plus tard, Wagner était emporté par un infarctus à Venise, à l’âge de 69 ans.
Les partisans de Wagner voyaient en Parsifal le pinacle de sa carrière et une œuvre qui révolutionnait le genre de l’opéra. De nombreux jeunes musiciens tombèrent sous son charme fascinant, faisant tour à tour le pèlerinage de Bayreuth et de Parsifal. Les opposants à Wagner crièrent en revanche au fatras religieux et à la mystification. En effet, sur la base de la geste médiévale, ce «festival musical sacré» mêle christianisme, mythologie et pessimisme schopenhauerien, vénérant la chasteté et la pureté si ardemment, si naïvement qu’on a pu y déceler une idéologie raciste, voire antisémite, confirmée par certains écrits contemporains de Wagner.
Dans la tonalité principale de la bémol majeur, le prélude de l’acte I énonce les principaux leitmotive (motifs conducteurs) de l’œuvre : les douces syncopes de la Cène, la lumineuse phrase ascendante du Graal (émanation d’un chant protestant, l’Amen de Dresde, déjà utilisé par Mendelssohn dans sa Cinquième Symphonie), la fanfare solennelle de la Foi et, découlant de la Cène, le chant douloureux et vibrant de la Sainte Lance perdue par Amfortas, source de tous ses tourments.
Ce morceau porte en lui toute l’ambiguïté de Parsifal, tiraillé entre sensualité et ascèse, entre mouvement et repos, entre le chromatisme sensuel de Tristan et Isolde (pour illustrer notamment les souffrances d’Amfortas ou le monde magique de Klingsor) et le contrepoint clair et diatonique des Maîtres chanteurs de Nuremberg (associé aux chevaliers du Graal). Adorno y voyait un «ternissement de la sonorité» mais Debussy, plus justement, parlait de «couleurs ardentes comme éclairées de derrière».
Parsifal raconte comment un jeune homme simple, mu par la compassion (Mitleid), guérit Amfortas, le roi blessé qui, avec ses chevaliers de Monsalvat, conserve le Saint Graal, le calice qui a recueilli le sang du Christ lors de la Crucifixion.
À l’acte I, on apprend qu’Amfortas souffre d’une blessure au flanc que rien ne peut soulager, pas même les onguents de la troublante Kundry. Il ne pourra guérir que lorsqu’un «chaste fol instruit par la compassion» aura récupéré la Sainte Lance (celle qui a percé le flanc du Christ) chez le magicien Klingsor, lequel l’a dérobée à Amfortas après l’avoir fait séduire par ses magnifiques Filles-Fleurs. Arrive Parsifal, qui ignore jusqu’à son propre nom. Amfortas espère qu’il est ce jeune innocent qu’il attend. Mais Parsifal ne comprend pas la nature du mal d’Amfortas, ni la signification de la cérémonie du Graal à laquelle il assiste (une remémoration de la Sainte Cène).
À l’acte II, Parsifal se laisse séduire par Kundry, une femme magnifique que Klingsor tient en son pouvoir, condamnée à vivre l’enfer sur terre pour s’être moquée du Christ crucifié. Ils échangent un long baiser, et Parsifal prend alors conscience de la raison de la blessure d’Amfortas et du destin qu’il doit accomplir. Il réussit à s’emparer de la Lance, et le royaume de Klingsor est englouti.
À l’acte III, après des années d’errance, Parsifal retrouve enfin le chemin de Monsalvat, devenu un royaume désolé où les chevaliers survivent de racines et de plantes. Ses pérégrinations l’ont rendu sage, et il porte toujours la Lance. Il rencontre le chevalier Gurnemanz, qui ne le reconnaît pas. C’est le Vendredi saint, lui explique Gurnemanz, le jour où l’on commémore la Passion du Christ et où la nature reverdit sous l’effet de ce sacrifice et du repentir des pécheurs. Gurnemanz apprend à Parsifal qu’Amfortas est au plus mal et que l’on s’apprête à porter en terre son père, le vieux Titurel. Il baptise Parsifal qui, à son tour, baptise Kundry. Les prés refleurissent : l’Enchantement du Vendredi saint s’accomplit. Parsifal pénètre ensuite dans le sanctuaire. Il guérit la blessure d’Amfortas en la touchant de la Lance, puis dirige la cérémonie du Graal. Il découvre et élève le calice sacré, qui irradie à nouveau toute sa lumière. Amfortas et Gurnemanz rendent hommage à leur nouveau roi, tandis que Kundry s’éteint doucement, pacifiée.
– C. D.
L’arrangement d’Andrew Gourlay
Parsifal contient quelques-unes des plus belles pages orchestrales de Wagner, mais il n’y a que peu de matériel qui soit disponible pour le concert symphonique. Le prélude qui ouvre l’opéra est une pièce incontournable du répertoire, souvent couplée avec l’«Enchantement du Vendredi saint», mais je ne connais aucune suite orchestrale qui soit d’une durée significativement plus longue et satisfasse mon goût. J’ai donc entrepris la réalisation d’une suite orchestrale qui permettrait de s’installer plus longuement dans la musique de Parsifal. Le résultat, ce sont ces 45 minutes de musique orchestrale ininterrompue tirées de l’opéra.
Du prélude de l’acte I, nous passons à l’acte III scène 1, où un bref passage de cordes lentes à l’unisson dépeint Parsifal à la source sacrée, enfonçant sa lance dans le sol et priant devant elle.
Suit une partie de l’«Enchantement du Vendredi saint», au cours duquel Parsifal est oint roi du Graal. Un hautbois solo nous guide dans le passage suivant, confié aux cordes et bois tamisés, qui accompagnent Parsifal alors qu’il admire la beauté des bois et de la prairie resplendissant dans la lumière du matin.
Le son des cloches de midi amorce la transition – de la main de Wagner – vers la scène 2, et le décor de forêt se transforme de façon spectaculaire en l’imposante salle du château de Montsalvat, le château du Graal. Les chevaliers entrent par les deux côtés, portant Amfortas blessé et le cercueil de Titurel.
Nous passons au prélude de l’acte III, suivi du prélude de l’acte II, peignant le château enchanté de Klingsor.
Vient ensuite la transition entre les scènes 1 et de 2 de l’acte I : Gurnemanz conduit Parsifal à travers les parois rocheuses, puis (comme dans l’acte III) la forêt se transforme par enchantement en grande salle du Graal.
Nous revenons à l’acte III pour un bref passage faisant office de pont (avec timbales, cuivres feutrés et cordes pizzicato). Il accompagne la silhouette inquiétante de Parsifal qui émerge de la forêt, entièrement couvert d’une armure noire.
Ce passage nous conduit à la scène finale et à la conclusion de l’opéra. Parsifal brandit sa lance sacrée, avec laquelle il a guéri Amfortas. Il prend le Graal, qui brille de plus en plus fort, et le présente en lui faisant faire un signe de bénédiction : «Miracle du salut suprême !»
Ce projet a été un travail d’amour et j’espère sincèrement qu’il constituera un ajout utile au répertoire orchestral.
© Andrew Gourlay
Traduction Auditorium-Orchestre national de Lyon