Notes de programme

Une symphonie alpestre

jeu. 31 oct. | sam. 2 nov. 2024

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Programme détaillé

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano n° 24, en do mineur, KV 491

I. Allegro
II. Larghetto
III. Allegretto

[30 min]

--- Entracte ---

Richard Strauss (1864-1949)
Une symphonie alpestre, op. 64

1. Nacht [Nuit] : Lento
2. Sonnenaufgang [Lever de soleil] : Festes Zeitmass, mässig langsam [Tempo ferme, modéré]
3. Der Anstieg [L’Ascension] : Sehr lebhaft und energisch [Très animé et énergique]
4. Eintritt in den Wald [Entrée dans la forêt]
5. Wanderung neben dem Bache [Marche au bord du ruisseau]
6. Am Wasserfall [À la cascade] : Sehr lebhaft [Très animé]
7. Erscheinung [Apparition]
8. Auf blumige Wiesen [Dans les prés fleuris] : Sehr lebhaft [Très animé]
9. Auf der Alm [Sur l’alpage] : Mässig schnell [Modérément rapide]
10. Durch Dickicht und Gestrüpp auf Irrwegen [Dans les fourrés et les broussailles, en s’égarant] : Festes, sehr lebhaftes Zeitmass [Tempo ferme, très animé], un poco maestoso
11. Auf dem Gletscher [Sur le glacier]
12. Gefahrvolle Augenblicke [Instants périlleux] : A tempo, lebhafter als vorher [A tempo, plus animé que précédemment] 
13. Auf dem Gipfel [Au sommet]
14. Vision [Vision] : Fest und gehalten [Ferme et retenu]
15. Nebel steigen auf [Le brouillard se lève] : Etwas weniger breit [Un peu moins large]
16. Die Sonne verdüstert sich allmählich [Le soleil se voile peu à peu]
17. Elegie [Élégie] : Moderato espressivo
18. Stille vor dem Sturm [Calme avant la tempête] : Tranquillo
19. Gewitter und Sturm, Abstieg [Orage et tempête, descente] : Schnell und heftig [Animé et violent]
20. Sonnenuntergang [Coucher de soleil] : Etwas breiter [Plus large]
21. Ausklang [Note finale] : Etwas breit und getragen [Un peu large et retenu]
22. Nacht [Nuit]

[55 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Saleem Ashkar piano

Introduction

Magicien du son orchestral, Richard Strauss n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il manie d’énormes masses symphoniques. Avec la Symphonie alpestre (1915), les amateurs de sensations fortes seront servis : un effectif gigantesque est convoqué pour traduire les montagnes dans ce qu’elles ont de plus grandiose, mais aussi de plus idyllique et pittoresque, avec cloches de vache, machine à vent, tonnerre et grand orgue. Nikolaj Szeps-Znaider poursuit ainsi son voyage dans les grandes partitions romantiques et postromantiques allemandes, tout en invitant les micros de Channel Classics afin d’enrichir le projet d’enregistrements confrontant Strauss et la musique française entamé à l’automne 2023 avec Don Quichotte. Ces concerts seront également l’occasion d’accueillir Saleem Ashkar, pianiste israélo-palestinien doté de l’un des plus beaux sons qui soient, en plus d’une profondeur de sentiments qui happe l’auditeur pour ne plus le lâcher. Peut-être son parcours personnel n’y est-il pas étranger. Enfant de Nazareth que rien ne destinait à la musique classique, venu au piano après qu’un disque du concerto de Tchaïkovski lui soit échu par hasard, c’est aujourd’hui un infatigable architecte de la paix entre juifs et musulmans d’Israël au travers de son Orchestre de chambre de Galilée. Il interprète le Vingt-quatrième Concerto de Mozart (1786). C’est l’un des plus ambitieux du compositeur salzbourgeois, avec son ample premier mouvement déjà presque beethovénien et son climat tendu, hormis dans l’angélique Larghetto central.

(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)

Mozart, Concerto n° 24

 
Composition : achevée à Vienne le 24 mars 1786.
Création : Vienne, 7 avril 1786, avec Mozart au piano.

Mozart a porté le genre du concerto pour piano à un niveau sans équivalent en son temps : d’un genre plutôt galant, brillant et superficiel, il a fait une création hautement personnelle par la richesse des idées musicales, la cohérence de leur agencement et un style pianistique délié, fin et spirituel qui nous permet d’entrevoir quel interprète miraculeux il était lui-même au pianoforte (en effet, durant sa période viennoise, il se destinait l’interprétation de ces œuvres pour la plupart indépendantes de toute commande).

Le Vingt-quatrième Concerto, en ut mineur, a été composé – conjointement avec le Vingt-troisième – peu de temps avant l’achèvement de l’opéra Les Noces de Figaro, dont la première a été donnée à Vienne le 1er mai 1786. Dans les airs d’opéra comme dans les concertos de Mozart, on peut remarquer une même volonté de concilier la virtuosité contenue et la profondeur d’expression. L’invention mélodique semble inépuisable comme la richesse de couleurs d’un tissu orchestral nuancé qui porte le soliste et amplifie l’émotion. Mais de plus, ici, Mozart compose une œuvre dont la tonalité générale est mineure, ce qui est rare dans le genre du concerto (il ne l’avait tenté qu’une seule fois auparavant, avec le Vingtième, en mineur, l’année précédente). Les tonalités de mineur et ut mineur, souvent associées chez Mozart à l’expression du tragique, amplifient le caractère sérieux et dramatique de ces concertos, qui sont fort éloignés des œuvres galantes et décoratives auxquelles le public pouvait s’attendre. 

Dans le premier mouvement du Vingt-quatrième Concerto, on remarquera le caractère sombre et résolu du thème initial, joué d’abord piano et en unissons par l’orchestre, avant d’éclater au tutti. L’entrée du soliste se fait sur un motif nouveau, frêle et délicat, donnant une impression de solitude désolée. La forme, vaste et développée, riche de nombreux éléments thématiques, est cependant solidement architecturée. 

Le thème principal du Larghetto a un caractère de douceur et d’absolue simplicité. Les vents, qui étaient déjà très présents dans le mouvement précédent, sont ici les partenaires privilégiés du piano : traités en solistes, ce sont eux qui introduisent de nouveaux motifs et entretiennent le dialogue, alors que les cordes se réduisent le plus souvent à un accompagnement discret.

Le finale, en forme de variations, a un caractère résolu, presque martial. Contrairement à l’usage, c’est l’orchestre qui énonce le thème principal, confirmant son statut pleinement symphonique. Le piano se lance dans des variations, tantôt ornementales, tantôt accentuant le caractère martial du thème. Des incursions dans le mode majeur apportent une lumière inattendue et bienvenue. Pourtant, le concerto se termine bien en mineur, après une cadence que l’interprète a le loisir d’improviser ad libitum.

– Isabelle Rouard

Strauss, Une symphonie alpestre

Composition : printemps 1911, puis de novembre 1914 au 8 février 1915. Il existe une version pour orchestre plus réduit réalisée en 1934.
Création : Berlin, 28 octobre 1915, par la Hofkapelle (Chapelle de la Cour) de Dresde, sous la direction du compositeur.
Dédicace : au comte Nikolaus von Seebach et à la Hofkapelle (Chapelle de la Cour) de Dresde.
Première édition : F.E.C. Leukart, Munich, 1915. Le manuscrit fut cédé en 1945 à la France par un Strauss abattu par le désastre de la Seconde Guerre mondiale. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de France, à Paris.

«Tout au fond de mon cœur, sommeille un poème symphonique qui s’ouvrira par un lever de soleil en Suisse
(Lettre du 28 janvier 1900 de Richard Strauss à ses parents)

La Symphonie alpestre met un point final spectaculaire à plus d’un siècle de romantisme, à une époque où la musique s’engage dans des sentiers plus avant-gardistes, alors que l’Europe s’embrase inexorablement. Ce chef-d’œuvre, clairement anachronique et isolé dans l’histoire de la musique, l’est tout autant dans la production de Richard Strauss. À l’époque de la composition, Strauss approche de la cinquantaine, et sa postérité est assurée après une première période créatrice éclatante marquée par les poèmes symphoniques. Le dernier d’entre eux, un autoportrait à peine dissimulé, Une vie de héros, date déjà de 1898. Quant à sa dernière œuvre purement orchestrale importante, la Sinfonia domestica, elle remonte à 1903. Depuis 1905, Strauss aura en effet entamé une autre révolution, celle de l’opéra, genre qu’il ne devait plus quitter jusqu’à la fin de sa vie.

Début mai 1911, Strauss attend le livret d’Ariane à Naxos, qu’Hugo von Hofmannsthal tarde à lui envoyer. Pour tuer le temps, il cherche l’inspiration pour une nouvelle symphonie, ce qui lui «plaît encore moins que de secouer les arbres pour récolter les hannetons». Fin 1899, il avait envisagé un nouveau poème symphonique intitulé Une tragédie d’artiste, en hommage au peintre d’origine suisse Karl Stauffer-Bern (1857-1891). De cette partition avortée, il reprend l’extraordinaire lever de soleil, une page d’esprit nietzschéen qu’il enrichit de nouvelles esquisses. Apparaît ainsi une symphonie à programme en quatre mouvements, aux intitulés explicites et détaillés :

I.  Nuit : lever de soleil
    Ascension : bois (chasse)
    Cascade (fée des Alpes)
    Prairies en fleurs (bergers)
    Glacier
    Orage
    Descente et calme    
II. Réjouissances et danses campagnardes
III. Rêves et fantômes (d’après Goya)
IV. Libération par le travail ; création artistique

Le 19 mai 1911, le lendemain de la mort de Mahler, Strauss, bouleversé, justifie ces références nietzschéennes, teintées de rejet du christianisme, dans son journal intime : «Le juif Mahler a pu être encore édifié par le christianisme. Richard Wagner le héros y est redescendu dans sa vieillesse, sous l’influence de Schopenhauer. Sommes-nous vraiment revenus au point où nous nous trouvions à l’époque de l’union politique de Charles Quint et du Pape ? Guillaume II et Pie X ? J’appellerai ma symphonie alpestre L’Antéchrist, car on y trouve la purification morale par ses propres forces, la libération par le travail, le culte de la nature glorieuse et éternelle.» Mais c’est seulement durant l’hiver 1914-1915 que Strauss trouvera le temps de mettre la dernière main à la Symphonie alpestre, après la rédaction de plusieurs œuvres parmi lesquelles la première version d’Ariane à Naxos, La Légende de Joseph et les deux premiers actes de La Femme sans ombre, sans compter une carrière internationale de chef d’orchestre qui l’accapare de plus en plus. Le plan initial en quatre mouvements n’est pas conservé et, au final, la symphonie, d’une seule coulée, se décompose en 22 numéros enchaînés.

L’idée de mettre en musique les sons de la montagne s’inscrit dans une longue tradition germanique, puisque les compositeurs romantiques allemands – Weber, Schumann, Brahms au premier chef – avaient largement illustré l’idée de panthéisme, de fusion de l’homme avec une nature consolatrice. À cette tradition, Strauss ajoute une dimension nietzschéenne : si la référence ouverte au philosophe («l’Antéchrist») est finalement abandonnée, l’œuvre n’en demeure pas moins dans la lignée d’Ainsi parlait Zarathoustra, par sa réflexion sur la place de l’homme au milieu d’une nature toute puissante, face à la montagne en particulier, et surtout par l’idée du dépassement de soi aboutissant à la purification spirituelle. Souvent décriée pour son attachement suranné au romantisme, la Symphonie alpestre trouvera néanmoins bientôt son prolongement en littérature avec Thomas Mann et La Montagne magique et, au cinéma, avec le film de montagne austro-allemand des années 1920 et 1930, qui glorifie le dépassement de soi au milieu d’une montagne romantisée, devenue un élément premier de l’intrigue.

Formellement assez libre, l’œuvre adopte une structure en arche aisément repérable, débutant avec la nuit, progressant vers un jour éclatant et retournant à l’obscurité initiale. Lors de l’ascension proprement dite, nous sommes proches d’un rondo à variations à la façon d’un poème symphonique antérieur de Strauss, Don Quichotte, où le thème principal est associé au randonneur ; mais cet unique et vaste mouvement, où se côtoient une soixantaine de motifs, ne rentre pas dans le cadre d’un plan formel strict. À la différence de ses contemporains, Strauss reste très attaché à la tonalité, et adopte un langage clairement postromantique, servi par toute la richesse de timbres du grand orchestre symphonique.

L’effectif est en effet imposant, comparable à celui utilisé par des compositeurs aussi différents que Mahler dans la Sixième Symphonie (1903-1904), Webern dans les Six Pièces op. 6 (1909-1910), Berg dans les Trois Pièces op. 6 (1913-1914), Bartók dans Le Mandarin merveilleux (1917-1925) ou encore Stravinsky dans Le Sacre du Printemps (1911-1913). Le nombre de cordes précisé expressément par Strauss se justifie par la démultiplication des parties en certains passages, comme au début de l’œuvre, préfiguration de ce qu’accomplira Strauss en 1945 dans son ultime chef-d’œuvre, les Métamorphoses, pour vingt-trois cordes solistes. C’est aussi l’occasion pour le compositeur d’utiliser des instruments rares, comme le heckelphone, espèce de hautbois grave imaginé par le facteur Wilhelm Heckel en 1904, déjà utilisé par le compositeur dans Salomé et Elektra, ou bien la machine à vent (ou éoliphone), entendue dans Don Quichotte, et le tonnerre (grande plaque de métal produisant un bruit fracassant). Richard Strauss recommande aussi l’utilisation pour les bois d’un nouveau dispositif, l’aérophone, inventé en 1912 par le flûtiste belge Bernhard Samuel, qui permet de relier les bois à un soufflet commandé par une pédale et de réaliser les très longues tenues de notes, par exemple au début de l’œuvre, avant le lever de soleil. L’orgue, enfin, intervient fréquemment, principalement dans la seconde moitié de l’œuvre, dans un rôle essentiellement harmonique.

«Nuit», «Lever du soleil» et «L’Ascension» constituent l’introduction. Les trois principaux thèmes de l’œuvre sont exposés ici, et serviront de matériau principal à l’ensemble de l’œuvre. Le premier est une longue phrase descendante, au rythme immuable. Le second éclate dans un grand tutti orchestral ; majestueux, il semble embraser l’univers. Enfin, le troisième est martial et très entrainant, «décidé et énergique», énoncé dans les cordes graves. Avec l’«Entrée dans la forêt», l’atmosphère change brusquement grâce à un thème très sombre déclamé avec noblesse par les cors et les trombones. La lumière du soleil et l’entrain de l’ascension font place à l’ombre, aux mystères et aux chants d’oiseau. Au cours du développement, la palette orchestrale de Strauss variera au gré des changements de décor et de paysage. Ainsi, les timbres du glockenspiel, du célesta et du triangle, ajoutés aux arpèges en cordes divisées renforcent à merveille l’ambiance aquatique de la «Cascade». L’utilisation de cloches de vaches, clin d’œil à Mahler et à sa Sixième Symphonie, participe à l’atmosphère pastorale dans «Dans les prés fleuris» et «Aux pâturages». L’arrivée au «Sommet», énoncé solennellement par les quatre trombones, s’accompagne d’un chaleureux lyrisme orchestral, véritable célébration mystique de la nature mais aussi peinture de l’accomplissement du dépassement de soi. «Vision» prolonge cette extase orchestrale mais les sonorités sont irisées, aspirent à une certaine mélancolie : sans doute un reflet des «rêves et fantômes» imaginés par Strauss lors de la rédaction des premières esquisses. L’orgue intervient pour la première fois, dans l’extrême grave, peu avant la fin de ce passage étonnant.

Les quatre épisodes suivants forment une transition avant l’arrivée de l’orage. Le contraste est saisissant après le souffle des épisodes précédents : l’orchestre devient un vaste ensemble de chambre où la nuance piano ne sera plus dépassée. Avec «Le brouillard descend», une tension diffuse apparaît, une sorte de tourment intériorisé, que Strauss peint à travers une certaine instabilité rythmique. Une menace sourde s’installe et le paysage finit par se figer. «L’Orage» éclate alors, et au cœur d’un orchestre déchaîné, ponctué d’interventions massives de l’orgue, de rafales de cordes, d’éclairs déchirant le ciel via la petite flûte et la clarinette, le thème du randonneur réapparaît très vite mais sous sa forme inversée, signifiant la «Descente». Après un pinacle terrible atteint sur deux mesures triple forte par tout l’orchestre, où intervient la machine à tonnerre, l’apaisement revient enfin. Les trompettes, maestoso, entonnent le thème du soleil et, sous une lumière déclinante, les cordes, lyriques, chantent l’arrivée du «Crépuscule». Se retrouvent ici les principaux motifs de la symphonie sous leur forme inversée ou rétrograde. Après une récapitulation émouvante fondée sur le thème du randonneur, avec notamment la reprise aux bois piano espressivo de l’intense passage du «Sommet», finit par arriver la «Nuit», où l’on retrouve l’atmosphère immobile et figée du commencement.

– Raphaël Charnay

Notre partenaire

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