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Notes de programme

Tchaïkovski

Dim. 21 avril 2024

Retour au concert du dim. 21 avril 2024

Programme détaillé

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Coriolan, ouverture en ut mineur op. 62

[9 min]

Nikolaï Medtner (1879-1951)
Concerto pour piano n° 1, en do mineur, op. 33

[35 min]

--- Entracte ---

Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n° 5, en mi mineur, op. 64

I. Andante – Allegro con anima
II. Andante cantabile, con alcuna licenza
III. Valse : Allegro moderato
IV. Finale : Andante maestoso – Allegro vivace

[50 min]

Distribution

Belgian National Orchestra (Orchestre national de Belgique)
Antony Hermus 
direction
Florian Noack piano

Introduction

Le Belgian National Orchestra quitte son écrin Art déco de Bozar pour découvrir  l’Auditorium de Lyon sous la baguette d’Antony Hermus. Pour ouvrir le programme, le BNO opte pour la puissance tragique d’une ouverture de concert de Beethoven racontant le suicide du héros romain Coriolan. Cette partition tragique de 1807est inspirée non pas par le drame de Shakespeare mais par celui d’un dramaturge viennois, Heinrich Joseph von Collin. Florian Noack, qui est issu de la prestigieuse Chapelle musicale Reine-Elisabeth et dont la discographie révèle les pépites méconnues de la musique russe, est ensuite le soliste du Premier Concerto de Medtner. Cette partition en un seul mouvement a été composée de 1914 à 1918, et sa difficulté redoutable et les débordements passionnés raviront les amoureux de Tchaïkovski et de Rachmaninov. De Tchaïkovski justement, les musiciens du BNO joueront enfin la Cinquième Symphonie (1888), qui est marquée par la force implacable du destin mais croit encore à la sollicitude de la providence.

Beethoven, Coriolan

Composition : 1807.
Dédicace : à Heinrich Joseph von Collin.
Création privée : Vienne, mars 1807, chez le prince Franz Joseph von Lobkowitz, avec la Quatrième Symphonie et le Quatrième Concerto pour piano.

Les ouvertures beethovéniennes, qu’elles soient destinées ou non à une pièce existante (La Consécration de la maison est ainsi un morceau totalement indépendant), sont chez le compositeur ce qui se rapproche le plus de l’esthétique du poème symphonique, définie plus tard par Liszt. Le genre affectionne les figures héroïques : Liszt dépeindra un Prométhée, un Hamlet ou un Mazeppa, Strauss un Don Juan, un Don Quichotte ou un Macbeth. Beethoven, lui, choisit en 1807 la figure de Coriolan, ce général romain qui fut exilé pour avoir menacé les droits nouvellement acquis des plébéiens et qui, en représailles, marcha sur Rome. L’histoire, contée par Plutarque, est à l’origine d’un drame de Shakespeare ; mais c’est pour une tragédie du dramaturge viennois Heinrich Joseph von Collin que Beethoven écrivit cette introduction musicale animée d’une «inquiétude impossible à calmer» (E. T. A. Hoffmann en 1812).

Affirmant un très sombre ut mineur (la même tonalité que la Cinquième Symphonie, mais traitée de manière particulièrement tragique), l’introduction capte l’attention par son efficacité : contrastes percutants entre le do des cordes et les accords de tout l’orchestre, gestion efficiente des silences. Apparaît bien vite le thème représentant Coriolan, avec ses notes répétées ; âpre, relevé de fortissimi et d’accents, il débouche sur un motif plus calme sur un fluide accompagnement de violoncelles, où l’on a vu une évocation des personnages de la mère et de la femme du héros, le suppliant d’abandonner son noir dessin. L’entrée dans le développement se fait par un effet de fondu-enchaîné et l’on y conserve les contrastes, les accents, l’écriture par petits éléments. La réexposition emprunte les chemins de fa mineur avant de déboucher sur ut majeur ; mais l’on revient bientôt au mode mineur, avec une reprise variée de l’introduction et une fin en disparition ou plutôt en délitement, le thème de Coriolan se disloquant petit à petit, grignoté par le néant : celui de la mort que le héros se donne.

– Angèle Leroy

Medtner, Concerto pour piano n° 1

Composition : 1914-1918.
Création : Moscou, 12 mai 1918, sous la direction de Serge Koussevitzky et avec le compositeur au piano.

À la fin de sa vie, Nikolaï Medtner était indubitablement en rupture avec son temps, et ce depuis plusieurs dizaines d’années. Sergueï Rachmaninov comme Richard Strauss, morts dans la décennie 1940, sont restés fidèles à une esthétique que l’on pourrait qualifier de postromantique, accusant un décalage de plus en plus grand avec leurs contemporains : la trajectoire de Medtner, en ce sens, est comparable à la leur. Mais elle a ceci de particulier que le style du compositeur est en outre resté d’une remarquable stabilité durant les plus de quarante ans qu’a duré sa vie créatrice. Son langage musical se réclamait des «lois sacrées de l’Art éternel» (comme il les appelait), à savoir tonalité, harmonie et contrepoint, dans la lignée des maîtres du passé – ainsi Strauss, pour lui, appartenait-il déjà à l’avant-garde qu’il qualifiait d’«hérésie». De plus en plus anachronique, donc, au fur et à mesure que passaient les années, son écriture n’en est pas moins séduisante, manifestant une inspiration mélodique et harmonique certaine, un sens aigu de la forme et une connaissance approfondie de son instrument. Medtner écrivit en effet presque exclusivement à destination du piano, comme Chopin. Il hésita d’ailleurs dans sa jeunesse entre les deux carrières de virtuose et de compositeur : un double talent qui le rapproche de l’un de ses compatriotes et contemporains mieux connu, Rachmaninov. Il se trouve que les deux hommes, formés l’un comme l’autre au Conservatoire de Moscou (notamment par Sergueï Taneïev, qui exerça une grande influence sur eux ainsi que sur Scriabine), étaient amis. Ils se firent d’ailleurs l’honneur réciproque de se dédier leurs œuvres, Medtner son Deuxième Concerto pour piano et Rachmaninov son Quatrième. Tout comme ceux de Rachmaninov, les concertos pour piano de Medtner comptent parmi les grandes pages consacrées à l’instrument durant la première moitié du XXe siècle. Leur célébrité est restée en revanche assez limitée, et l’on peut se demander ce qu’il en serait advenu si l’immense Horowitz (qui fit par exemple beaucoup pour la diffusion du Troisième Concerto de Rachmaninov) avait enregistré le Premier Concerto de Medtner comme il en eut un temps le projet.

«L’une des œuvres de Medtner les plus originales et convaincantes» (Barrie Martyn)

Commencé en 1914, ce Premier Concerto occupa Medtner quelque trois ans durant : un an fut consacré à l’écriture à proprement parler, deux à l’orchestration. La composition ne fut pas de tout repos, comme se souvient son ami le pianiste Alexandre Goldenweiser : «Il travaillait littéralement du matin au soir, avec un acharnement et une urgence extraordinaires. […] Il m’a avoué qu’en composant, il avait l’impression de devoir en quelque sorte fixer ce qui existait déjà quelque part, qu’il lui suffisait d’enlever tout ce qui était superflu et de faire ressortir l’essence réelle de cette musique en se rapprochant le plus possible de la forme  “idéale” qu’il percevait.» Mais l’instrumentation le torture plus encore : «[Elle] me pose de grandes difficultés, confie Medtner à son frère Emil en septembre 1917. Pour moi, la chose la plus précieuse est le thème lui-même. Mais l’instrumentation est le culte de la mise en scène, c’est-à-dire précisément ce qui m’a toujours le moins intéressé.» En tout état de cause, ses efforts portent leurs fruits, et bien que plutôt compacte (même si elle ménage de beaux passages aux sonorités de vents solistes au centre du concerto), son orchestration se révèle efficace. 

L’expressivité du concerto porte vraisemblablement la trace des temps troublés de sa conception (l’Allemagne déclara la guerre à la Russie le 1er août 1914), particulièrement difficiles à vivre pour Medtner qui était d’origine allemande et se sentait proche de la culture germanique tout en se considérant comme russe à part entière. Amalgamant rétrospectivement Première et Seconde Guerres mondiales, il décrivit d’ailleurs à la fin de sa vie les premières notes de piano du concerto, cloches sonores qui s’abîment vers le grave en un geste saisissant, comme des «bombes atomiques» (à son amie Edna Iles). Cette fracassante entrée en matière ouvre sur une demi-heure de musique sans fléchissement de l’inspiration, et qui témoigne d’un langage arrivé à maturité – contrairement aux premiers concertos de Rachmaninov ou Prokofiev, ce Concerto en ut n’est pas une œuvre de jeunesse. Il fusionne de manière habile une forme sonate en un seul mouvement avec l’esprit tripartite du concerto traditionnel, la partie centrale (qui correspond au développement), plus calme, adoptant le langage de la variation et le tempo risoluto suivant jouant un rôle de finale, le tout en retravaillant les thèmes énoncés au début de l’œuvre. L’écriture pianistique alterne entre flamboiements du plus bel effet, effets virtuoses et passages retenus, dans une invention renouvelée. Toutes ces caractéristiques font de ce concerto une œuvre définitivement séduisante et, comme l’explique le musicologue Barrie Martyn, absolument convaincante.

– Angèle Leroy

Tchaïkovski, Symphonie n° 5

Composition : mai-août 1888.
Création : Saint-Pétersbourg, 5 novembre 1888, sous la direction de l’auteur.
Dédicace : à Théodor Ave-Lallemant.

Bien qu’assez espacées dans le temps (1877, 1888, 1893), les trois dernières symphonies de Tchaïkovski (nos 4, 5 et 6) sont toutes unies par une idée de programme commune, celle de sa hantise du fatum, angoisse perpétuelle devant la vie et attente de tout ce qui peut arriver de pire. À la conscience de la faiblesse de l’humain face aux verdicts de la destinée, s’opposent des tentatives désespérées de trouver des palliatifs.

C’est pendant l’année 1888 que Tchaïkovski conçoit, écrit et fait entendre sa Cinquième Symphonie, achevée au cours du mois d’août, et dont il assure lui-même la première exécution. Elle suscite l’enthousiasme du public, mais est plutôt mal jugée par la presse, un cas de figure dont le compositeur est assez coutumier. Le 15 mars 1889, au cours d’une tournée en Allemagne, elle est chaleureusement accueillie à Hambourg, en présence de Brahms, resté spécialement pour l’entendre.

Une intention de programme pour la Cinquième Symphonie est attestée par des annotations sur les premières esquisses : «Introd. Soumission totale devant le destin ou, ce qui est pareil, devant la prédestination inéluctable de la providence. Allegro I) Murmures, doutes, plaintes, reproches à XXX. II) Ne vaut-il pas mieux se jeter à corps perdu dans la foi ? Le programme est excellent, pourvu que j’arrive à le réaliser.» Une autre note, concernant le second mouvement, mentionne un thème désigné comme «consolateur» et «rayon de lumière», et une réponse aux instruments graves : «Non, point d’espoir

«Non, point d’espoir !»

La Cinquième Symphonie est une œuvre intégralement cyclique, c’est-à-dire qu’un même thème se retrouve à un moment ou à un autre dans les quatre mouvements. Ce motif, que l’on peut identifier à la «soumission totale devant le destin», s’entend dès le début de l’introduction, dans le registre grave des clarinettes, faisant songer à la fois à un choral et à une marche funèbre. On verra au fil des mouvements suivants les transformations que Tchaïkovski lui fait subir. Il s’enchaîne à l’Allegro principal, avec un premier thème aux clarinettes et bassons, tout à la fois alerte et inquiet. Après une première culmination cuivrée des intonations plaintives surgissent – peut-être ces «murmures, doutes, plaintes»… Puis une éclaircie bienvenue fait retentir les sonneries rustiques du second thème, en mode majeur, auxquelles succède aussitôt une ébauche de valse lyrique. Tout Tchaïkovski est là : tourmenté, mais aussi ouvert sur le populaire, et conservant sa fibre chorégraphique. Le développement est basé sur un travail à partir d’éléments des deux premiers thèmes de l’Allegro. Après la réexposition, la coda fait entendre sous forme de sonnerie lapidaire la cellule rythmique du motif cyclique.

L’Andante (deuxième mouvement) débute par une introduction ténébreuse aux cordes graves. Le cor, bientôt orné d’un contrechant à la clarinette, puis le hautbois, développent ce qui aurait pu être un grand duo d’amour dans une scène d’opéra. Un solo de clarinette évocateur de chants d’oiseaux précède l’irruption aux cuivres du motif cyclique, avec une violence qu’on ne lui a pas encore connue : «Non, point d’espoir !» Ce rappel de la fatalité sera réitéré après la réexposition du duo amoureux.

Le troisième mouvement est une valse qui se ressent de celle de la Symphonie fantastique de Berlioz. C’est le moment de détente, une musique aimable, servie par une orchestration allégée. Pourtant la partie centrale, en staccatos serrés aux violons, donne la sensation d’une nervosité contenue. La valse revient avec sa bonne humeur mais, peu de mesures avant la coda, le thème cyclique se rappelle à notre souvenir, dans un mi-voix des clarinettes et basson.

«Se jeter à corps perdu dans la foi»… Le long finale donne l’impression d’aller dans ce sens en faisant entendre une métamorphose du thème cyclique, en mode majeur, retentissant avec la ferveur d’un cantique. Mais si la première partie est maintenue dans ce climat hiératique, le mouvement évolue ensuite vers une vitalité survoltée, où l’abondance de matériau et l’étendue du discours attestent d’une agitation fiévreuse. On y réentendra une variante menaçante du thème obsessionnel, venant contredire ce qu’avait suggéré le début de mouvement. Après la fausse conclusion d’un arrêt sur un accord cuivré, suivi d’un silence, le retour du thème cyclique sous sa variante en majeur s’amplifie dans un hymne grandiose ; mais juste avant la fin, la trompette fait entendre un retour du thème de l’Allegro du premier mouvement, clamé à présent avec la solennité d’un verdict – de la victoire de l’homme ou de celle de la fatalité…

– André Lischke

André Lischke est l’auteur notamment de la principale biographie française de Piotr Ilyitch Tchaïkovski, parue chez Fayard en 1993, et de nombreux autres ouvrages sur la musique russe.