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Notes de programme

Brahms 1 / Schumann 4

Programme détaillé

Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano n° 1, en ré mineur, op. 15
I. Maestoso
II. Adagio
III. Rondo : Allegro ma non troppo
[44 min]

Robert Schumann (1810-1856)
Symphonie n° 4, en ré mineur, op. 120
(Version définitive de 1851)
I. Ziemlich langsam [Assez lent] – Lebhaft [Vif] – Attacca :
II. Romanze (Ziemlich langsam) [Romance (Assez lent)] – Attacca :
III. Scherzo (Lebhaft) [Vif] – Trio – Attacca :
IV. Langsam [Lent] – Lebhaft [Vif]
[28 min]

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider
direction
Sir András Schiff piano

Concert sans entracte.

Brahms, Concerto pour piano n° 1

Composition : 1854-1858.

Création : le 22 janvier 1859 à Hanovre, avec l’auteur au piano.

Le Concerto pour piano en ré mineur de Brahms est sa première grande œuvre pour orchestre. C’est Schumann, chez qui le jeune Brahms de vingt ans avait reçu un accueil enthousiaste en 1853, qui lui avait conseillé d’aborder la composition pour orchestre. Mais Brahms, qui n’avait alors écrit que des œuvres pour piano et quelques lieder, se sentait inexpérimenté en matière d’orchestration (il attendrait l’âge de quarante-trois ans pour achever sa première symphonie). À partir de 1854, il se lanca dans les esquisses d’une symphonie, d’abord écrite sous la forme d’une particelle pour deux pianos. Au moment d’orchestrer, il se rendit compte que sa musique exigeait qu’il conservât le piano, et il la transforma en concerto. L’œuvre achevée en 1858 garde sans doute quelque chose du projet initial, par l’ampleur de la forme, l’importance de l’orchestre et l’intégration du piano en son sein. En effet, il ne s’agit pas d’un concerto brillant où l’orchestre ne serait qu’un accompagnement et un faire-valoir. La partie de piano (que Brahms a interprétée lui-même lors de la création à Hanovre en janvier 1859), fort riche et complexe, privilégie la musicalité et non les tours de force de virtuosité, ce qui a dérouté le public de l’époque.

L’originalité des thèmes, la puissance de l’expression révèlent un Brahms sombrement romantique (écoutez l’entrée en matière hautement dramatique, toute frémissante de trilles et de roulements de timbales), ou même mystique (le deuxième mouvement est une sorte de prière), mais qui exprime aussi sa robuste constitution terrienne d’Allemand du nord dans le rondo final.

Isabelle Rouard

Les symphonies de Schumann

«Le piano devient trop étroit pour contenir mes idées», écrivit Robert Schumann en 1839. L’année suivante, son mariage si longtemps attendu avec Clara Wieck eut un effet libérateur. S’il s’était dévoué aussi entièrement à composer pour le piano, seul instrument apte à traduire ses pensées secrètes, c’était en partie pour compenser l’échec d’une carrière de virtuose ardemment désirée. Clara conquise, elle offrait ses doigts au compositeur qui, du même coup, pouvait explorer de nouveaux domaines : le lied (1840), l’orchestre (1841) et la musique de chambre (1842).

Composer des symphonies après Beethoven

Le genre de la symphonique intimidait le jeune musicien, confronté comme tant de ses contemporains à l’ombre gigantesque de Beethoven. Poussé par Clara et par leur ami Felix Mendelssohn, il finit par se jeter à l’eau, avec le même enthousiasme qu’il l’avait fait pour le lied l’année précédente. L’année 1841 vit naître deux symphonies (la Première et la Quatrième, dans sa version primitive), l’ébauche d’une troisième en ut mineur inachevée et les premières esquisses du Concerto pour piano – achevé en 1845.

Schumann fondait de nombreux espoirs sur le genre de la symphonie, qui lui permettrait d’exister par lui-même et non plus de jouer les princes consorts, d’être le pourvoyeur en faire-valoir de sa royale épouse, pianiste adulée. La jeune femme nourrissait une ambition similaire à l’égard de son mari, qu’elle désirait arracher à l’intimité de la musique de salon et faire reconnaître comme un «véritable» compositeur – or, dans la tradition germanique des Kapellmeister, la symphonie était le genre obligé ; ce genre seul pouvait apporter au compositeur la notoriété que, jusqu’alors, les pièces pour piano et les lieder lui avait refusée. (Pour les mêmes raisons, Schumann formula constamment, à partir de 1840, des projets d’opéras, dont seul Genoveva aboutirait, en 1853.)

Jouer les symphonies de Schumann

L’orchestre de Schumann a suscité bien des débats. Que n’a-t-on dit l’opacité de ses masses instrumentales et de leur harmonie ! Mahler, Glazounov, Chostakovitch jugèrent utile de réorchestrer certaines pages. Dukas lui-même, critique pourtant clairvoyant, les assomma d’un coup de plume vigoureux. Schumann, dit-on, embrigade les bois, qui se contentent généralement de doubler les cordes ; cors et trompettes sont cantonnés, hormis quelques appels conventionnels, à un rôle de remplissage dans le médium de la masse sonore, qu’ils contribuent à alourdir ; les premiers violons sont rarement appuyés par les seconds, plus enclins à des figures harmoniques – «pas assez de mélodie et trop d’accompagnement», résume le musicologue Manfred Bukofzer.

Mais n’y a-t-il pas eu un malentendu sur l’orchestre schumannien ? Pendant plusieurs décennies, les chefs d’orchestre l’ont dirigé comme ils dirigeaient Brahms, avec un son opulent, des archets jouant au fond des cordes. Des chefs «baroques» comme Nikolaus Harnoncourt ou John Eliot Gardiner nous ont appris à le tirer plutôt vers Beethoven, à l’aborder avec plus de nerf, à le «dégraisser». C’est l’option choisie par Nikolaj Szeps-Znaider, l’Orchestre national de Lyon et son timbalier, Adrien Pineau – dont les magnifiques timbales d’époque, au mordant et au son incomparables, métamorphosent à elles seules la pâte orchestrale. Et joué ainsi, l’orchestre de Schumann apparaît dans toute sa splendeur, dans toute son originalité.

Quatre symphonies et l’histoire d’une vie

Si la symphonie schumannienne dérange, c’est qu’elle se dérobe aux canons classiques. On l’oppose souvent à celle de Mendelssohn, d’un équilibre et d’un goût parfaits ; on reconnait à la première, en dépit de ses défauts, son pouvoir d’émotion et l’on taxe (si injustement !) la seconde de froideur et d’inexpression. Assurément, l’appréciation de ces deux monuments formidables ne peut se réduire à une alternative aussi sommaire.

Comme l’enfant découvrant le feu, Schumann touche à une nouvelle matière qui lui brûle les mains. Accompagnant l’euphorie du mariage, les deux premières symphonies composées, la Première (symboliquement sous-titrée «Le Printemps») et la Quatrième, saisissent l’auditeur par leur élan, leur profusion thématique. Les symphonies accompagneront ensuite le lent vacillement de son esprit. La lutte contre des forces invisibles se traduira par des constructions monolithiques aux couleurs vives, à la matière dense, au trait épais. On s’en rend compte dès la Deuxième Symphonie (1845), œuvre marquée par la souffrance et la maladie – dont triomphe le finale. La Rhénane (1850) balayera ces ombres en rendant l’hommage le plus grandiose, le plus vivant au fleuve mythique de la civilisation germanique. En 1851, la version révisée de la Quatrième apportera un couronnement magistral à l’œuvre symphonique.

Schumann, Symphonie n° 4

Composition : 1841, révision en 1851.

Création : (version originale) Leipzig, 6 décembre 1841, par l’Orchestre du Gewandhaus sous la direction de l’auteur ; (version révisée) Düsseldorf, 30 décembre 1852, sous la direction de l’auteur.

Dans la foulée de la création de la Première Symphonie, le 31 mars 1841, Schumann promet dans son journal : «Ma prochaine symphonie s’appellera Clara, et j’y peindrai son portrait avec les flûtes, les hautbois et les harpes.» Finalement baptisée Fantaisie symphonique (et dépourvue de harpe), la partition promise à son épouse lui est offerte pour son anniversaire, le 13 septembre 1841. La création, le 6 décembre à Leipzig, est mal accueillie : on applaudit beaucoup plus fort l’Hexameron, œuvre collective née à l’initiative de Liszt, où Clara et le compositeur hongrois font la démonstration de leurs talents digitaux. Schumann, mortifié, met la symphonie de côté pendant dix ans. Il y apporte alors de substantielles modifications et, présentée sous cette forme le 30 décembre 1852, la symphonie remporte cette fois un vif succès.

La Quatrième frappe tout particulièrement par l’audace de sa conception : une poignée de thèmes et de motifs nourrit la symphonie entière, et les formes qui régissent les quatre mouvements ne sont pas menées à leurs termes, trouvant en quelque sorte leur résolution dans les mouvements suivants. Conscient de l’originalité de la partition, Schumann envisagea en 1851 de lui donner le titre de Fantaisie symphonique ou de Fantaisie pour orchestre, avant de se ranger à celui, plus classique, de Symphonie en ré mineur. Cette nouveauté formelle est présente dès la version de 1841, ce qui explique certainement l’échec de la partition à l’époque : si les procédés cycliques (la permanence d’un même matériau thématique tout au long de l’œuvre) allaient bientôt séduire de nombreux compositeurs, ils étaient encore une originalité marquée. En 1851, Schumann renforça encore cet aspect, notamment au début du finale, mais les principaux changements opérés lors de la révision concernent l’orchestration des mouvements extérieurs : en dix ans, la plume de Schumann s’était épaissie, donnant raison à ses détracteurs.

Les mouvements pas à pas

Une poignée de thèmes et de motifs circulent parmi les quatre mouvements, qui s’enchaînent sans interruption. Matrice originelle de la symphonie, l’introduction lente du premier mouvement présente les deux principaux d’entre eux : un arc mélancolique en triolets de croches, puis une giclée énergique de doubles croches.

Issus tous deux de ces doubles croches, les deux thèmes du «Lebhaft» [Vif] qui suit ne s’opposent guère que par leurs tonalités ( mineur/fa majeur) et par le caractère légèrement plus lumineux et chantant du second ; leur exposition est si succincte que Schumann la répète dans la version révisée de 1851. Au contraire, le développement central se déploie longuement et traite royalement deux nouveaux thèmes, l’un martial, l’autre lyrique. Mais les doubles croches, qui restent tapies par-dessous, reprennent régulièrement le devant de la scène jusqu’au dernier accord et restent les véritables protagonistes de ce mouvement. La reprise éclair et déformée des deux thèmes principaux, en majeur, sert de conclusion plus que de réexposition.

Le tonitruant accord de majeur concluant le premier mouvement laisse place à une triste résonance en mineur. Ce changement soudain d’éclairage marque l’entrée dans la «Romance» en la mineur, seul mouvement repris à l’identique en 1851. La gracieuse mélodie du hautbois solo doublé par les violoncelles est bientôt relayée par les triolets de l’introduction, que le violon solo développe et ornemente dans la partie centrale. Le retour de la mélodie initiale s’effectue en mineur et s’interrompt sur un accord de dominante (la majeur), créant un sentiment d’attente.

Le Scherzo s’élance alors, en mineur lui aussi ; les changements, dans ce mouvement, sont relativement minimes entre les deux versions. Le thème est une sorte de renversement un peu rude du motif en triolets de l’introduction. Dans le Trio central, les premiers violons présentent, en si bémol majeur, une réplique enchanteresse du solo de violon de la «Romance».

De même que le premier mouvement ne comportait pas de véritable réexposition, de même la section de scherzo ne fait pas son retour attendu après le trio. On assiste à la place à un délitement progressif de la guirlande de violons, et l’on glisse ainsi dans l’introduction lente du finale, où le motif en doubles croches réapparaît et accumule une tension croissante.

Le mouvement vif éclate. Dans la version révisée, le thème principal lutte encore quelques mesures contre les doubles croches (absentes de la version de 1841) avant de prendre le dessus. Il n’est autre que le premier des deux motifs nés dans le développement du premier mouvement, et il s’épanouit ici en pleine majesté avant d’engendre à son tour le second thème. Après une exposition riche en motifs secondaires, le développement joue sur ce matériau abondant, avec des allusions à tout ce qui a été entendu précédemment. La réexposition est partielle, puis le tempo accélère et la coda offre une conclusion éclatante à cette symphonie extrêmement originale, où la subjectivité d’un geste créateur impérieux bouleverse totalement le modèle beethovénien.

Claire Delamarche

Pour aller plus loin

Claire Delamarche, musicologue de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon, évoque deux symphonies de Schumann au micro de Luc Hernandez : la Deuxième, qui a permis au compositeur de triompher de la maladie et de renouer avec la joie, et la Quatrième, qu’il avait en fait commencée en deuxième, mais qu’il a remaniée pendant dix ans afin de lui donner sa forme définitive et d’en faire la plus élaborée de ses quatre symphonies. De quoi battre en brèche la réputation de mauvais orchestrateur que l’on a pu accoler au nom de Schumann, et rêver en écoutant les douces pages dédiées à sa muse, Clara.

Lien vers le podcast de l'émission : ici.

Les Trésors cachés de l'ONL, une émission animée par Luc Hernandez sur RCF Lyon les deux premiers lundis de chaque mois à 20h. Fréquence 88.4 (Lyon)

En partenariat avec RCF Lyon.

 

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