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Notes de programme

Tintin autour du monde

Sa. 10 oct 2020

Programme détaillé

Ray Parker/Jim Morgan Les Aventures de Tintin (générique) [3 min]
Aram Khatchatourian «Danse du sabre», extraite de Gayaneh [2 min 30]
Elmer Bernstein Les Sept Mercenaires [3 min]        
Maurice Ravel «Laideronnette», extrait de Ma Mère l’Oye, cinq pièces enfantines [3 min]
Giacomo Puccini «Tu che di gel sei cinta», extrait de Turandot [4 min]
Charles Ives The Unanswered Question [6 min]
Dirk Brossé Tintin : Le Temple du Soleil (extrait) [6 min]
Arturo Márquez Danzón n° 2 [10 min]
Charles Gounod «Air des bijoux», extrait de Faust [5 min]
Mason Bates Mothership [6 min]
John Williams «The Adventure Continues», extrait de Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne [3 min]

Texte de Denis Bretin

Orchestre national de Lyon
Timothy Brock
direction
Margot Genet soprano
Damien Laquet comédien

Concert sans entracte.

En partenariat avec le Lyon BD Festival.

D’après le concert Autour de Tintin, imaginé et créé par l’Orchestre Pasdeloup sous la direction de Dirk Brossé le 17 juin 2018 à la Philharmonie de Paris, sur une idée de Marianne Rivière.

Quelques petites notes sur Tintin

  • As-tu remarqué que lorsque les éléphants parlent, ils émettent des sons pareils à ceux d’une trompette. Alors, je me suis dit qu’en étudiant leur langue, et en me servant d’une trompette pour leur parler, je parviendrais peut-être à me faire comprendre d’eux. C’est pourquoi je me fabrique cet instrument. Ce n’est pas si compliqué, d’ailleurs, l’éléphant. Sol, la, si, do signifie oui. Do, si, la, sol : non. À boire, s’exprime par sol, sol, fa, fa... Évidemment, le plus difficile, c’est d’attraper l’accent. (Tintin à Milou, Les Cigares du Pharaon)

«Pom Tooot Dzing Dong Tuut Dingeling» : telle serait en quelques sons la partition des moines montagnards de Tintin au Tibet. Chantre de l’onomatopée, Hergé ne se lança toutefois pas dans la carrière musicale et, soi-disant par la faute d’une tante ou d’une jeune fille faisant de trop de vocalises à ses oreilles d’enfant, ne prétendit jamais rivaliser avec Edgar P. Jacobs sur le terrain du chant.

Contrairement au père de Blake et Mortimer, qui commença sa vie professionnelle sur les scènes d’opéra, Hergé se contenta de caricaturer les divas sous les traits grotesques de la Castafiore. «L’opéra m’ennuie, avouait-il à sa grande honte. Ou alors il me fait rire, ce qui est encore pire. J’ai l’œil et l’esprit trop critiques : je vois la trop grosse dame derrière la chanteuse, même si elle a une voix admirable, le bellâtre derrière le ténor, le carton-pâte des décors, le fer-blanc des cuirasses… Mais je n’ai jamais vu d’opéra moderne. Sans doute s’est-on débarrassé de toute cette pacotille, de toute cette ferblanterie. Il y a sans doute actuellement plus d’exigence… Mais la race des Castafiore n’est certainement pas éteinte !»

«Moi aussi j’ai joué du piano petit»

Sans être adepte d’opéra, Hergé n’en était pas moins connaisseur, construisant ses récits sur une abondante et solide documentation. Côté musique, il aimait Satie et Debussy, le second dont on imagine la présence derrière un dessin de vague inspiré par les estampes de Hokusai. Le jazz aussi, au point de sponsoriser indirectement un concert de Keith Jarrett, et de rendre fou un autre de ses héros, Flupke, devenu une véritable terreur pour en avoir écouté à la radio. Sans négliger la chanson francophone, Brel, Bécaud et Trenet, qu’il n’hésitait pas à citer ou évoquer dans ses vignettes.

Curieux, il adopta la modernité des musiques actuelles lorsqu’une jeune épouse l’incita à s’intéresser aux Beatles ou à Pink Floyd. Mais son rapport à la musique, ce fut surtout une histoire de goût et de découvertes au fil des voyages de son reporter. En Afrique tout d’abord lorsque Tintin, dès le début des années trente, s’envola pour le Congo ; dans la première version en noir et blanc, les pirogues glissent sur l’eau au rythme d’une véritable chanson en lingala, Uélé Moliba Makasi : «Uélé, fleuve au courant très fort». En Amérique ensuite, lorsque les indiens du Temple du Soleil reprennent un chant sacré traditionnel inca, inspirant au capitaine Haddock une curieuse réponse sur Le Soleil et la Lune de Charles Trenet. En Asie enfin, sans parole cette fois, pour une procession tibétaine dans les montagnes. En grande pompe ou plus exactement en grande trompe avec tambour et cymbales.

Hergé ethnomusicologue, il n’en fallait guère plus à Tintin pour se faire musicien. Et le voici, dans Les Cigares du Pharaon, s’essayant à la trompette pour dompter un éléphant, inspirant au lunaire Philémon Siclone une réplique impayable : «Moi aussi j’ai joué du piano petit.» Face à la vraisemblance ethnomusicologique, la démarche organologique se révèle bien inexacte, et la graphie d’une «croche blanche» encore plus fautive avec sa queue mal dirigée. Mais le héros n’en est pas moins le digne héritier d’Orphée qui, par le chant de sa lyre, parvient à toucher le cœur des bêtes sauvages.

«Et la musique, mille tonnerres !  Rien de tel pour vous donner du cœur au ventre !»

«Eh bien, que voulez-vous qu’il fasse ?... Qu’il danse le menuet ?» s’exclame le Capitaine Haddock lorsque le Professeur Tournesol lui fait remarquer que le bateau bouge. Ce n’est pas la moindre qualité de la bande dessinée que la fantaisie de ses personnages, celle de Haddock dans son irrésistible dialogue avec Tournesol dans Le Trésor de Rackham le Rouge, celle des nombreuses mentions aux instruments de musique qui parsèment les aventures de Tintin : «Bien sûr que nous démentons !... Tout ça, ce sont des histoires à la graisse de trombone à coulisse !...» (Tintin et les Picaros) ; «Autant jouer du cornet à pistons devant la tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba !» (Objectif Lune) ou «Le yéti, boire du whisky : pourquoi pas jouer du cornet à piston ?» (Tintin au Tibet).

Plus que les musiques traditionnelles, c’est la chanson qui occupe l’espace sonore de Tintin, souvent sous les effets de l’alcool, car de Haddock à Milou en passant par le Yéti ou un éléphant facétieux, on aime boire dans les albums de Hergé. Déjà évoqué, Charles Trenet sacrifié au sommet du Temple du Soleil, pastiché pour une publicité Simoun au Pays de l’or noir : Boum ! Il y a aussi les chansons de marin du Capitaine Haddock, Les Gars de la marine (Le Crabe aux pinces d’or) ou Hardi, les gars, vire au guindeau (On a marché sur la Lune), une chanson à hisser entonnée dans l’espace par un capitaine ivre comme toujours, mais cette fois-ci du manque d’oxygène. Les Gars de la marine seraient même une signature car elle apparaît dans Le Capitaine Craddock, film de Hanns Schwarz et Max de Vaucorbeil apprécié de Hergé.

Complétons la liste avec marches, comptines et paillardises (Le Régiment de Sambre et Meuse, Au clair de la lune, Sur le pont d’Avignon, Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine, Le roi de la montagne, Il était une bergère, Moins connue toutefois, Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, Violette à bicyclette), et le tableau musical sera quasi complet. Une référence mérite particulièrement qu’on s’y arrête. Alors que Tintin et le capitaine sont en difficulté dans l’espace, la base terrestre diffuse une musique pour leur donner courage :

Tintin : Allô, allô, ici fusée lunaire. Nous allons commencer les réparations. Donnez-nous de la musique : cela nous soutiendra le moral !

Base terrestre : Allô, allô, ici la Terre. Entendu. Nous vous mettons en contact avec Radio-Klow. Bon courage !

Haddock : Allez, allez, pleurnichards. Au travail ! Et pas d’idées noires. Nous allons avoir de la musique... Et la musique, mille tonnerres ! Rien de tel pour vous donner du cœur au ventre !

(On a marché sur la Lune)

Radio-Klow propose alors un morceau de l’orchestre de Tani Scala, spécialisé dans le tango. Cet orchestre existe bel et bien et Hergé en avait contacté le chef. «Effectivement, Hergé avait pris contact avec mon père, se souvient le fils du musicien. Sous la forme d’une lettre dans laquelle il lui expliquait son admiration pour sa musique (c’est vrai qu’après guerre, l’orchestre de mon père était très connu et ce jusqu’à l’arrivée de la vague “yéyé” qui a signé l’arrêt de mort du tango et de la musique de danse en général). Malheureusement nous n’avons jamais retrouvé cette lettre par la suite... Dommage !» Peu importe, car la chute est truculente avec son annonce peu réconfortante : «Ici Radio-Klow. Voici pour suivre, par l’orchestre Tani Scala, Avant de mourir, de Boulanger

«C’est donc une petite vengeance»

Dans les aventures de Tintin, tout le monde chante, du joyeux gardien de musée (l’air du Toréador de Carmen de Bizet dans L’Oreille cassée) à l’étrange Philémon Siclone, au lyrisme plus ou moins ultramontain. Dans Les Cigares du Pharaon, il reprend «Sur la mer calmée», adaptation à la mode du célèbre «Un bel dì, vedremo» de Madame Butterfly (Puccini), numéro peu masculin mais que l’orchestre de Franck Pourcel s’est approprié avec le même succès que Géori Boué ou Ninon Vallin ; dans Le Ccrabe aux pinces d’or, il répond à Tintin sur «De l’art la splendeur immortelle», tiré du bien oublié Benvenuto Cellini d’Eugène Diaz. Tintin lui-même et le Capitaine, emportés par l’alcool, forment un beau duo dans Le Crabe aux pinces d’or. Plus que jamais, l’emprunt à l’air de Jenny est signifiant, car La Dame blanche de Boieldieu propose une intrigue assez comparable à celle du Trésor de Rackham le Rouge. Mais celle qui chante le plus, c’est naturellement la Castafiore. Presque toujours le même morceau, l’air des Bijoux de Marguerite dans le Faust de Gounod. Explication de l’auteur :

«La Castafiore est un souvenir de jeunesse. Mes parents m’emmenaient régulièrement chez des amis qui avaient une fille, une belle personne comme on disait, qui chantait. Et cela me terrorisait ! C’est donc une petite vengeance…»

La Castafiore est une caricature assez générale, mais on y a reconnu les traits de la Callas. Sur un yacht dans Coke en stock, on la devine avec le milliardaire Onassis ; les costumes d’une fête masquée évoquent le méphistophélique opéra de Gounod, et toujours la cantatrice s’égosille sur l’air des Bijoux. Capable de briser un verre par la puissance de ses aigus, posant pour les paparazzi, Blanche Chaste-Fleur – ainsi que son nom la désigne – réapparaît régulièrement aux côtés de Tintin, seul personnage féminin récurrent de la série. Sa voix pourtant ne plaît pas à tous : dans Les Sept Boules de cristal, Milou la concurrence en hurlant, et régulièrement ses auditeurs se bouchent les oreilles. Elle arbore volontiers ses bijoux, mais parfois se les fait voler par une pie espiègle et évidemment très rossinienne. Son pianiste et secrétaire fidèle Igor (Stravinsky ?) Wagner (Richard ?) ne la trompe que pour s’adonner au jeu en cachette. Et une partition accompagne ainsi plusieurs pages des Bijoux de la Castafiore, longue frise ou portée habitée des gammes diffusées par une radio habilement cachée derrière un pupitre de piano.

«Comme Tintin»

Autre clin d’œil à l’opéra dans L’Affaire Tournesol, une affiche annonçant E. P. Jacobini, évidente référence au collaborateur d’Hergé : Edgar P. Jacobs. On reconnaîtra également celui-ci en coulisse sous le costume de Méphistophélès. Autre affiche dans Le Trésor de Rakham le Rouge, faisant de la réclame pour Rino Tossi ou Tino Rossi dans Boris Godounov de Moussorgski ; répertoire improbable pour Tino, mais il a chanté Tintin lui aussi. Aussi les rapports entre Tintin et la musique ne s’arrêtent-ils pas à quelques planches, ils s’étendent à la chanson, au cinéma et au spectacle vivant, qui se sont emparés du personnage.

Dans les années quarante déjà, les marionnettes du Théâtre bruxellois du Péruchet étaient accompagnées de piano. De même, les acteurs des pièces populaires Tintin aux Indes, Le Mystère du diamant bleu ou Monsieur Boullock a disparu. En 1958, un feuilleton radiophonique fait entendre des partitions d’André Popp, qui collaborera trois ans plus tard à Tintin et le Mystère de la Toison d’or. Et la chanson n’est pas en reste avec deux morceaux de Jacques Brel (Ode à la nuit et Chanson de Zorrino) pour le film d’animation Tintin et le Temple du Soleil, ainsi que quelques tubes déconcertants : Chanson de Tintin et Milou d’Henri Colas et Chanson du Capitaine Haddock de Jean-Frédéric et Maurice Montfort, tous deux interprétées par l’ensemble de Guy Rivaldi avec une «chorale d’amis de Tintin», Mon meilleur copain, c’est Tintin par le Martin Circus à la fin des années soixante-dix, Comme Tintin un peu plus tard, par l’inoubliable Chantal Goya.

Et on en vient à se dire que tout musicien n’est pas John Williams (auteur d’une bande originale pour le récent Secret de la Licorne de Steven Spielberg), que la musique est parfois plus supportable en couleurs qu’en sons, et qu’à l’oreille il n’est guère mieux que l’aubade des Bijoux de la Castafiore, donnée par une fanfare aux portes du château de Moulinsart.

François-Gildas Tual

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