Programme détaillé
Ouverture n° 1, en mi mineur, op. 23
[9 min]
Triple Concerto pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, op. 56
I. Allegro
II. Largo
III. Rondo alla polacca
[33 min]
Symphonie n° 1, en ut mineur, op. 11
I. Allegro di molto
II. Andante
III. Allegro molto
IV. Allegro con fuoco
[32 min]
Orchestre national de Lyon
Jan Willem de Vriend direction
Giovanni Radivo violon
Nicolas Hartmann violoncelle
Pierre Thibout piano
Farrenc, Ouverture n° 1
Composition : 1834.
Création : Paris, 1835.
Le nom de Louise Farrenc est encore relativement méconnu, même si elle reçut de son vivant une attention certaine de la part des mélomanes et de ses confrères compositeurs (tels Schumann ou Berlioz, qui en loua les talents d’orchestratrice) et qu’elle jouit depuis quelques années d’un regain d’intérêt mérité. Elle compte en effet parmi les plus grandes compositrices du XIXe siècle, à l’égal d’une Clara Schumann, d’une Fanny Mendelssohn ou d’une Augusta Holmès.
D’abord connue comme pianiste (elle fut d’ailleurs nommée par la suite professeure au Conservatoire de Paris – ce fut la seule femme du XIXe siècle à obtenir une telle place, qu’elle occupa trente ans durant et pour laquelle elle parvint à être payée autant que ses confrères masculins), elle commença par composer pour son instrument. Pour autant, elle se tourna dès 1834 vers la musique symphonique, lieu du drame musical dans toute son ampleur et pré carré masculin : les deux Ouvertures op. 23 et 24, en mi mineur et en mi bémol majeur, précèdent de quelque huit ans la Première Symphonie de 1842, qui fut complétée de deux autres durant la même décennie. Toutes ces œuvres, fortement marquées par l’exemple beethovénien sans pour autant prendre des allures d’épigones, lui valurent des louanges – ainsi, en 1847, le critique de La France musicale vante dans la Troisième Symphonie «une clarté parfaite et une habileté rare dans la distribution des diverses parties du discours musical», mais aussi «une facture, un style de maître».
Ces qualités s’observent déjà dans les deux ouvertures, assorties d’un sens des couleurs orchestrales qui leur confèrent une séduction auditive incontestable, comme Ivan Moody le fait remarquer : «Ces Ouvertures ne manquent pas de lyrisme, mais toutes deux sont propulsées par le formidable sens de la puissance dramatique de la compositrice, qui oppose différents groupes d’instruments les uns aux autres et fait preuve d’un instinct très sûr à l’heure de tirer parti des contrastes de textures.» Débutant par une introduction d’une noble gravité, l’Ouverture en mi mineur prend pour premier thème une guirlande de cordes qui exhale un sentiment d’urgence quasi mendelssohnien, auquel le deuxième thème, d’abord énoncé par la clarinette, apporte un adoucissement ; le tout est retravaillé avec inventivité dans le développement, avant la réexposition et une coda fort efficace en termes d’énergie orchestrale.
Angèle Leroy
Beethoven, Triple Concerto
Composition : 1803-1804.
Création privée : Vienne, palais Lobkowitz, fin mai ou début juin 1804, avec le compositeur au piano, Anton Wranitzky au violon et Antonín Kraft au violoncelle.
Création publique : Leipzig, février 1808.
Dédicace : à Joseph Franz von Lobkowitz.
Publication : Vienne, Bureau des arts et d’industrie, 1807.
Parmi l’ensemble des concertos de Beethoven, le Triple Concerto fait figure de parent pauvre. Chacun suivant ses goûts portera au pinacle le Concerto pour violon, le Quatrième Concerto pour piano, le Concerto pour piano n° 5 «L’Empereur»… mais pas le Grand Concerto concertant pour pianoforte, violon et violoncelle (comme l’appelle pompeusement la page de titre de la première édition, parue en 1807), qu’il est d’usage de considérer comme plus faible. Même son numéro d’opus (56) lui est un handicap : on se souvient qu’il est flanqué d’un côté par la Symphonie n° 3 «Eroica» (opus 55), de l’autre par la Sonate pour piano n° 23 «Appassionata» (opus 57), et on en déduit que l’inspiration beethovénienne, alors à son plus haut niveau, a ici souffert quelque creux.
Rien n’est plus faux cependant. Soit, la partition est atypique, tout à cheval qu’elle est entre le trio de la musique de chambre, le concerto de solistes et le concerto grosso des siècles précédents, qui se fondait sur le dialogue entre quelques timbres choisis de l’orchestre et le reste des instruments, et dont la symphonie concertante devait être l’héritière. Avant la période récente, nul n’osa d’ailleurs réitérer l’expérience, à l’exception de Brahms dont le Double Concerto est un hommage au maître vénéré. En cause, notamment, la position de ce Triple Concerto au regard de l’histoire : s’agit-il d’un regard rétrospectif porté sur la sinfonia concertante classique, superbement illustrée par Mozart avec sa Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre de 1779, et décidément passée de mode en ce début de XIXe siècle ? Faut-il au contraire y voir quelque chose «de tout à fait nouveau», comme Beethoven l’affirme à son éditeur Breitkopf und Härtel en août 1804 ?
Une œuvre absolument unique (formellement et en tant que genre) dans l’œuvre de Beethoven
De ces choix stylistiques, il résulte un mélange de tons indubitablement inhabituel. Le Triple Concerto rappelle bien évidemment le grand style concertant beethovénien que les œuvres pour piano soliste ou le Concerto pour violon donnent à entendre ; mais le compositeur y combine un dialogue instrumental entre les solistes qui évoque la musique de chambre. La nécessité de laisser une place suffisante à chacun d’entre eux, couplée au besoin de contenir l’œuvre dans des limites temporelles acceptables (le Concerto pour piano «L’Empereur», de quelques années plus tardif, tranchait sur ses contemporains par ses dimensions à peine plus amples), conduit Beethoven à repenser son langage. Il choisit donc de recourir à des thèmes plus simples, plus compacts, de manière à ce que chacun des trois solistes, ainsi que l’orchestre, puisse s’en emparer ; pour la même raison, il renonce aux grandes élaborations dramatiques dans lesquelles il est passé maître au profit d’une conception plus lyrique de la forme.
Le généreux premier mouvement commence à l’orchestre, avec les violoncelles et contrebasses murmurant ; mais le motif rythmique qu’ils présentent ne cessera de passer d’un pupitre à l’autre, d’un soliste à l’autre, au fil d’un Allegro bonhomme.
Le Largo suivant est empli d’émotion et de douceur ; assez court, il fait la part belle au violoncelle soliste, auquel Beethoven accorde une attention toute particulière et dédie décidément les passages les plus difficiles (le violon et surtout le piano se voyant confier des parties un peu moins ardues – peut-être faut-il voir dans l’écriture pianistique le désir de Beethoven de ne pas outrepasser les possibilités de l’archiduc Rodolphe, qui était alors son élève et pour qui la partition fut peut-être conçue ?).
C’est aussi à la «petite basse» qu’il revient d’introduire au finale, une sautillante polonaise qui commence dans la légèreté et continue, au fil de ses refrains, dans la brillance joyeuse qui sied à un tel mouvement.
Cette œuvre atypique et «absolument unique (formellement et en tant que genre) dans l’œuvre de Beethoven» (Levi Hammer) mérite amplement une plus grande place dans les salles de concert, où elle est malheureusement assez rare (pour des raisons qui ne sont pas seulement musicales). La dédicace au prince Lobkowitz – à qui furent adressées certaines des plus grandes partitions de Beethoven, tels les Quatuors à cordes op. 18, la Symphonie «Eroica», ou, conjointement avec le comte Razoumovski, les Cinquième et Sixième Symphonies – devrait peut-être à elle seule encourager à s’y pencher avec plus de bienveillance, avant que son charme ne fasse le reste.
Angèle Leroy
Mendelssohn, Symphonie n° 1
Composition : 1824.
Création privée : 14 novembre 1824.
Création publique : Leipzig, Gewandhaus, 1er février 1827, sous la direction de Johann Philipp Christian Schulz.
Dédicace : à la Royal Philharmonic Society.
Publication : 1834, Berlin, Schlesinger.
Treize : tel était à l’origine le numéro attribué par Mendelssohn à cette Symphonie en ut mineur. Elle faisait en effet suite à ses douze symphonies pour cordes de jeunesse. Écrites en 1821-1823, alors que le tout jeune homme avait déjà derrière lui plusieurs pièces instrumentales, de la musique chorale et deux opéras (!), elles documentent la progression fulgurante de Mendelssohn, les quatre dernières manifestant clairement la personnalité du musicien. Pensée à l’origine comme un prolongement de cet ensemble, la Symphonie en ut mineur s’en vit bientôt détachée, son instrumentarium incluant cette fois vents et timbales, ne faisant que rendre plus visible encore un indubitable changement de perspective.
Outre cette numérotation, d’autres hésitations marquèrent les premiers moments d’existence de cette symphonie – un fonctionnement qui se révéla par la suite caractéristique de Mendelssohn et de son immense exigence critique : les symphonies suivantes, avec leurs révisions et leurs publications retardées, voire empêchées, en donnent d’autres exemples. D’abord créée lors des concerts du dimanche de la famille Mendelssohn, en novembre 1824, pour l’anniversaire de la sœur bien-aimée du compositeur, Fanny, l’œuvre fut ensuite reprise en public au Gewandhaus de Leipzig en 1827, puis à la Royal Philharmonic Society de Londres en 1829 sous la direction du compositeur lui-même. À cette occasion, le menuet original avait été remplacé par le scherzo de l’Octuor op. 20 composé en 1825, scherzo que Mendelssohn avait instrumenté et raccourci, et qui fut accueilli particulièrement chaleureusement. À partir de 1831 cependant, Mendelssohn revint à l’Allegro molto, et c’est avec celui-ci que la symphonie fut finalement publiée en 1834.
La symphonie dont nous parlons provient d’un génie de ce type de composition.
Précédant de peu la composition des chefs-d’œuvre que sont l’Octuor op. 20 et l’Ouverture du «Songe d’une nuit d’été» op. 21, la Symphonie n° 1 est une grande réussite – il est bien difficile de croire que son auteur n’a que 15 ans ! La critique de la création londonienne ne se trompa pas sur la valeur de l’œuvre : «La fertilité de l’invention et la nouveauté de l’effet sont ce qui frappe en premier lieu les auditeurs de la symphonie de M. Mendelssohn ; mais on apprécie également le caractère mélodieux de ses thèmes, la vigueur avec laquelle ils sont soutenus, la grâce du mouvement lent, l’entrain de certaines parties et l’énergie d’autres.» L’influence de la première trilogie viennoise n’est pas sans s’y faire sentir («La symphonie dont nous parlons provient d’un génie de ce type de composition qui n’est dépassé que par ces trois grands maîtres [Haydn, Mozart et Beethoven]. On peut supposer que s’il poursuit dans cette veine, il sera considéré comme le quatrième de cette filiation», écrivait d’ailleurs le journaliste de l’Harmonicon précédemment cité), mais elle se mêle à des caractéristiques tout à fait mendelssohniennes.
Dans une tonalité d’ut mineur qui n’adopte ni le ton tragique d’un Mozart ni les inflexions dramatiques d’un Beethoven, un Allegro di molto débordant d’énergie cinétique, avec ses cascades de cordes et ses fanfares brillantes, mène à un Andante lyrique dans l’esprit de la variation, porté par la texture moelleuse des pupitres de cordes et le son romantique de la clarinette.
Intéressant, le «Menuetto» provisoirement mis de côté délaisse les trois temps traditionnels au profit d’une mesure à la scansion binaire ; sa relative brusquerie cède un temps la place à un trio dont l’accompagnement clapote presque à la manière de la barcarolle tandis que les bois énoncent un thème en valeurs longues aux allures de choral. Le «Menuetto» revient ensuite à la faveur d’une transition efficace assez beethovénienne.
Enfin, le finale, tout en évoquant celui de la Quarantième Symphonie de Mozart dans son début tournoyant, préfigure celui de la Symphonie «Réformation», composée par Mendelssohn en 1829-1930 : il recourt en effet dans son développement à une écriture fuguée qui apporte un nouveau témoignage de l’intimité du compositeur avec le contrepoint, étudié en détail sous la supervision de Zelter durant ses années de formation.
Angèle Leroy