Concerto funebre, pour violon et orchestre
I. Introduction : Lento
II. Adagio
III. Allegro di molto
IV. Choral : Langsamer Marsch [Marche lente]
[20 min]
Composition : été et automne 1939.
Création : Saint-Gall (Suisse), 29 février 1940, sous le titre de Musik der Trauer [Musique de deuil], par Karl Neracher et sous la direction d’Ernst Klug.
Né et mort à Munich, Karl Amadeus Hartmann vécut aux premières loges la désintégration de l’Empire allemand après guerre puis la montée du nazisme. Né dans une famille d’artistes peintres, il n’avait que 28 ans et sa carrière s’envolait à peine lorsque Hitler obtint les pleins pouvoirs en 1933. Profondément marqué, adolescent, par l’épisode sanglant de la République des conseils de Bavière (1919), il avait conservé une sensibilité socialiste et un amour viscéral de la démocratie. Plutôt que l’exil, il choisit donc d’observer et dénoncer la tyrannie de l’intérieur, non sans se retirer totalement de la vie musicale allemande et interdire toute exécution de ses œuvres sur le territoire du Reich. C’est donc à l’étranger que ses premières compositions majeures furent accueillies, notamment sa symphonie Miseræ, présentée en 1935 à Prague – privée toutefois de sa dédicace aux premiers morts du camp de Dachau (tout proche de Munich). En 1945, Hartmann pourrait écrire : «Nous avons bien surmonté ces douze années sinistres. Mes frères et moi avons réussi à rester à l’écart de l’armée, du Volkssturm et des autres amusements du genre… Nous sommes connus à Munich comme une des rares familles véritablement antifascistes.» Dès l’après-guerre, Hartmann reprit place dans la vie culturelle allemande, fondant une série de concert très en vue à Munich, Musica Viva. Toutefois, l’estime qu’il gagna rapidement dans son pays et à l’étranger ne comblèrent jamais le déficit de reconnaissance qu’avait causé son retrait volontaire.
Le Concerto funebre est son œuvre la plus emblématique, incarnant l’intégrité d’un compositeur opposé à tout dogme artistique et qui professait l’humanité et l’expression comme seuls maîtres. S’il devait le choix d’une carrière musicale à son mentor Hermann Scherchen, chef d’orchestre proche de l’école de Vienne, s’il avait pris des leçons auprès de Webern, Hartmann n’avait pas épousé les thèses du dodécaphonisme. Son style se rapproche davantage de celui de Max Reger, dont il est indirectement l’héritier via un autre professeur, Josef Haas. Mais on y retrouve également la marque de Bruckner et de Mahler, qu’il admirait, de Stravinsky et de Bartók, autres aînés qui, chacun à sa manière, avait exprimé son horreur de la barbarie.
Composé en été et automne 1939, le concerto fut créé le 29 février suivant, sous le titre de Musik der Trauer [Musique de deuil], à Saint-Gall (Suisse), par Karl Neracher et sous la direction d’Ernst Klug. À l’occasion d’une reprise à Brunswick le 12 novembre 1959, Hartmann apporta quelques modifications à l’œuvre et lui donna son titre italien définitif ; Wolfgang Schneiderhan, qui assurait alors la partie soliste, en devint l’avocat dévoué.
Hartmann dédia le Concerto funebre à son fils Richard, alors âgé de 4 ans, dont le destin le préoccupait en ces temps troublés. La structure en quatre mouvements enchaînés, regroupés deux par deux, a été guidée par l’état d’esprit du compositeur : aux extrémités des chorals porteurs d’espoir, au centre deux mouvements désespérés.
C’est l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1938 qui avait déclenché la composition du concerto ; le bref mouvement introductif cite en hommage un chant de guerre hussite, Ktož jsú boží bojovníci [Nous qui sommes les guerriers de Dieu] – que Smetana a utilisé dans son poème symphonique Tábor. Après l’angoisse étouffante de ce mouvement, l’Adagio est un chant poignant du violon solo sur un tissu chromatique de cordes. Le troisième mouvement, Allegro di molto, est un scherzo grotesque à la Bartók, avec unissons ravageurs, rythmes martelés, dissonances déstabilisantes ; il témoigne d’une belle invention dans l’écriture des cordes. L’œuvre se referme sur une marche funèbre dont l’écriture en choral repose sur un nouveau thème emprunté : un chant funèbre russe à la mémoire des victimes de la révolution de 1905, Вы жертвою пали [Vous êtes tombés, victimes d’un combat fatal], que Chostakovitch cite dans sa Onzième Symphonie et dont Scherchen avait publié la traduction allemande sous le titre de Unsterbliche Opfer [Victimes immortelles] : «Victimes immortelles, vous êtes tombées, nous sommes debout et pleurons…»
Claire Delamarche