Programme détaillé
Prélude pour orchestre à cordes
[4 min]
Concerto pour piano n° 21, en ut majeur, KV 467
I. Allegro maestoso
II. Andante
III. Allegro vivace assai
[29 min]
Symphonie n° 9, en mi bémol majeur, op. 70
I. Allegro
II. Moderato
III. Presto
IV. Largo
V. Allegretto – Allegro
[27 min]
Orchestre national de Lyon
Leonard Slatkin direction
Cédric Tiberghien piano
Introduction
Finzi, Prélude pour orchestre à cordes
Mozart, Concerto pour piano n° 21
Composition : achevée le 9 mars 1785 à Vienne.
Création : Vienne, 10 mars 1785.
C’est à un véritable tourbillon d’activités que Leopold Mozart, venu rendre visite à son fils à Vienne, assiste à la fin de l’hiver 1784-1785. À peine est-il arrivé qu’il se rend à la création du Concerto pour piano n° 20, sur lequel le copiste, à quelques heures du concert, travaillait encore d’arrache-pied. Durant les semaines suivantes, il ne se passe presque pas un seul jour sans que le piano de Mozart ne soit emporté d’une maison à l’autre pour un nouveau concert. Le compositeur croule sous les obligations sociales, mais continue de donner cours à de nombreux élèves, et qui plus est trouve encore le temps de composer. Le 9 mars, il annonce ainsi son très prochain concert : «Le mardi 10 mars, le Kapellmeister Mozart aura l’honneur de donner à son propre bénéfice une grande académie au Théâtre national de la Cour impériale. Il y jouera [notamment] un concerto pour piano de sa composition récemment achevé.»
Né dans une période particulièrement faste pour Mozart dans le genre du concerto (pas moins de douze œuvres virent le jour de février 1784 à décembre 1786), le Concerto pour piano n° 21, auquel fait référence cette déclaration, forme avec le précédent une paire tant chronologique qu’esthétique, son rayonnant ut majeur complétant le ré mineur dramatique du Concerto n° 20. Ce type de gestation quasi conjointe de deux œuvres contrastantes, comme écrites en réponse l’une de l’autre, n’est pas une exception chez Mozart : les Quintettes à cordes KV 515 et 516 (en ut majeur et en sol mineur) ainsi que les Symphonies n° 40 et 41 (en sol mineur et en ut majeur) font de même quelques années plus tard. Si la popularité du Concerto n° 20 sembla un temps dépasser celle du n° 21 (son mode séduisit particulièrement les romantiques, friands de tonalités mineures), les deux œuvres, dignes représentantes de l’âge d’or du concerto classique, jouissent aujourd’hui l’une comme l’autre d’une célébrité tout à fait méritée. En traduction de leur estime, plusieurs successeurs de Mozart composèrent des cadences pour les concertos où le compositeur n’en avait pas noté ; le Concerto KV 467 se vit ainsi adjoindre de tels passages par d’autres compositeurs de renom, comme, assez récemment, Alfred Schnittke ou Philip Glass.
«Libérée des limitations de la voix humaine»
Après la fièvre et les tensions du Concerto n° 20, le début du Concerto n° 21 apporte la clarté de son ut majeur, tonalité des touches blanches du piano, la solidité de ses rythmes, le charme de ses mélodies de bois, le tout dessinant un écrin dans lequel se glisser pour le soliste. Écriture inventive, richesse thématique, dialogue hardi du soliste et de l’orchestre sont quelques-unes des caractéristiques de cet Allegro maestoso initial dont l’énergie communicative n’exclut pas des moments d’une grande douceur instrumentale. Pour autant, c’est à l’Andante central qu’il revient d’être le joyau de cette partition. Rendu particulièrement populaire par sa reprise dans le film de Bo Wiederberg de 1967 Elvira Madigan (ce qui vaut parfois au concerto entier d’être surnommé ainsi), cette page a suscité chez les mozartiens une admiration unanime : Olivier Messiaen, dans son ouvrage intitulé Les 22 Concertos pour piano de Mozart, parle ainsi d’ «une des plus belles mélodies de la musique de Mozart et de toute la musique», tandis qu’Alfred Einstein y entend «une aria libérée des limitations de la voix humaine». Si le premier mouvement était symphonique dans son essence, celui-ci semble en effet profondément opératique. C’est d’abord aux premiers violons, sur un lit de cordes en délicats triolets répétés, qu’il revient d’énoncer le thème, avant que le piano ne le reprenne avec une infinie tendresse. La simplicité apparente du discours, la luminosité de l’expression et la fluidité de l’élocution confèrent à ces quelques minutes de musique un charme envoûtant, que vient efficacement contrepointer l’alacrité de l’Allegro vivace assai final, porté par un piano empressé et un orchestre épanoui.
Angèle Leroy
Chostakovitch, Symphonie n° 9
Composition : été 1945.
Création : Leningrad, 5 novembre 1945, par l’Orchestre philharmonique de Leningrad sous la direction d’Evgueni Mravinski.
En 1944, Chostakovitch confie à un confrère musicien : «Oui, je songe déjà à ma prochaine symphonie, la Neuvième. Si je pouvais trouver un texte qui me convienne, j’aimerais ne pas la composer pour orchestre seul mais ajouter un chœur et des solistes. Je crains cependant que l’on ne puisse me soupçonner d’analogies immodestes.»[1] Il se met bientôt au travail, joue même quelques extraits à certains de ses amis. Tout le monde s’attend donc à la naissance prochaine d’une monumentale partition, qui doit apporter aux deux symphonies déjà inspirées par la Seconde Guerre mondiale (la Septième et la Huitième) un magnifique couronnement exaltant la victoire, tout en prenant sa place dans la lignée de la Neuvième beethovénienne, modèle apparemment indépassable de toutes les «neuvièmes» à venir. Lors de la découverte de la Neuvième de Chostakovitch l’année suivante, ce sera la surprise : «Nous attendions tous une nouvelle fresque symphonique monumentale, et nous découvrîmes quelque chose de tout à fait différent, quelque chose qui nous choqua d’emblée par sa singularité», écrit David Rabinovitch.
La symphonie créée en novembre 1945 n’a en effet ni chœur ni solistes – elle n’a pas même de grand orchestre : hormis son tuba (et pour cause, il n’existait pas au début du XIXe siècle) et sa section percussive dépassant les seules timbales, elle a l’effectif d’une symphonie beethovénienne, avec les bois par deux ; qui plus est, elle traite souvent cet effectif de façon chambriste, comme en témoignent les débuts des deuxième, troisième et cinquième mouvements. Quant à sa durée, qui n’atteint pas la demi-heure, elle déroute également : la nouvelle symphonie tout entière est plus courte que certains mouvements des précédentes symphonies chostakoviennes ! Somme toute, il semblerait que Chostakovitch renouvelle à sa manière le choix de Prokofiev avec sa Première Symphonie, qu’il avait sous-titrée «classique» : celui de décevoir les attentes du public pour élaborer une œuvre caractérisée par une indubitable économie de moyens.
«Une anti-Neuvième»
«Les musiciens la joueront avec plaisir, mais les critiques vont l’éreinter», déclara le compositeur à quelques jours de la première. Force est de constater que cette crainte se réalisa en partie. Si le musicologue et professeur au Conservatoire de Moscou Lev Mazel affirma avec enthousiasme que «le style de Chostakovitch crée un modèle pour le langage musical actuel», la plupart trouvèrent à redire à la nouvelle œuvre, aussi bien en terres soviétiques qu’ailleurs : «Personne n’aurait imaginé que la Neuvième Symphonie serait aussi différente des autres œuvres de Chostakovitch, qu’elle serait aussi banale, aussi peu suggestive et aussi inintéressante», écrivit ainsi un critique à la suite de la création américaine, en 1946.
Confondait-il «banal» et «subtil» ? La Symphonie n’a quoi qu’il en soit rien d’inintéressant, y compris dans son aspect néoclassique le plus visible. Le premier mouvement, qui prend sa source chez Mozart et plus encore chez Haydn (dont Chostakovitch partage l’humour et le goût de la surprise), émaille son discours faussement classique – on y trouve même la reprise textuelle de l’exposition de la forme sonate, une organisation depuis longtemps abandonnée par les compositeurs ! – d’écarts discrets mais signifiants, dont les interventions apparemment sérieuses mais décalées du trombone ne sont qu’un exemple. Le Moderato suivant, qui débute en ligne claire de clarinette sur les ponctuations des violoncelles et contrebasses, distille au fil de ses discrets hoquets rythmiques (silences et changements de mesure) une atmosphère de douceur sourdement inquiétante ; Chostakovitch y élabore «une musique extrêmement subtile, intime, pleine de nuances harmoniques et colorées» (Krzysztof Meyer). Enchaînés, les trois derniers mouvements encadrent de deux moments rapides (un scherzo lancé par une volubile clarinette et un Allegretto final dont le thème semble s’élaborer sous nos yeux, qui culminera dans un Allegro éclatant) un Largo. Celui-ci s’ouvre sur une sombre et pompeuse fanfare des trombones et du tuba où certains ont cherché l’ombre de Staline ; Leonard Bernstein, s’appuyant sur les références qu’y fait le basson à la Neuvième Symphonie de Beethoven ainsi qu’à Mahler, entendait plutôt dans ce mouvement une réflexion du compositeur sur sa place dans l’histoire de la musique : la Neuvième Symphonie de Chostakovitch, écrite après un conflit mondial profondément meurtrier dans un régime particulièrement dangereux pour ses citoyens, est une «anti-Neuvième».
Angèle Leroy
[1] Il fait évidemment référence à la Neuvième Symphonie de Beethoven et à son finale sur l’Ode à la joie de Schiller.