Notes de programme

Mendelssohn / Brahms

L'Orchestre national de Lyon en concert

Programme détaillé

Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847)
Le Songe d’une nuit d’été, extraits de la musique de scène

N° 1 – Scherzo : Allegro vivace
N° 5 – Intermezzo : Allegro appassionato – Allegro molto comodo
N° 7 – Notturno : Con moto tranquillo
N° 9 – Marche nuptiale : Allegro vivace

[40 min]

Johannes Brahms (1833-1896)
Symphonie n° 4, en mi mineur, op. 98

I. Allegro non troppo
II. Andante moderato
III. Allegro giocoso – Poco meno presto – Tempo I°
IV. Allegro energico e passionato – Più allegro

[40 min]

 

Concert sans entracte.

Mendelssohn, Le Songe d'une nuit d'été

Composition : 1846.
Création : Potsdam, palais royal, 14 octobre 1843, sous la direction de l’auteur.

En 1826, âgé de 17 ans, Mendelssohn tombe sous le charme du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare et le lit avec avidité en compagnie de sa sœur bien-aimée, Fanny. Sous le coup de cette découverte, il compose une ouverture pour piano à quatre mains qu’il joue avec écrit à Fanny devant un public d’amis à la fin de l’été, lors d’une soirée offerte dans la demeure familiale. L’œuvre est ensuite orchestrée en vue d’un concert donné le 29 avril 1927 à Stettin, sous la direction du compositeur Carl Loewe : cette œuvre sera le premier grand succès public de Mendelssohn.

Dix-sept ans plus tard, en 1843, Mendelssohn est un des musiciens les plus en vue d’Europe. Directeur général de la musique à la cour de Prusse, il est invité par son employeur, le roi Frédéric-Guillaume IV, à composer une musique de scène pour une représentation du Songe donné en son nouveau palais de Potsdam. Mendelssohn reprend alors son ouverture de jeunesse et l’augmente de douze numéros pour deux voix de femmes, chœur et orchestre. Il collabore étroitement avec Ludwig Tieck, chargé de la mise en scène, et se glisse à nouveau sans effort dans l’univers enchanté du royaume d’Oberon et Titania. L’ossature de la musique de scène est constituée par les quatre entractes : «Scherzo», «Intermezzo», «Notturno» et «Marche nuptiale». À cela s’ajoutent deux autres petites marches, une danse, quelques mélodrames (passages où la voix se superpose à l’orchestre, de manière mesurée ou non) et un finale avec chœur.

Le 14 octobre 1843, l’auteur dirige lui-même son œuvre, lors d’une représentation privée au palais royal. Quatre jours plus tard, la première exécution publique, à Berlin, obtient un grand succès. Fanny raconte à une autre sœur, Rebecca : «La première représentation fut très brillante, se déroula pour le mieux et fut savourée au plus haut point. […] Chaque morceau de musique fut remarqué et applaudi en particulier, et l’ouverture fut de nouveau magnifique, comme toute la musique.»

L’INTRIGUE EN QUELQUES MOTS

L’action se déroule à Athènes. Hermia, qui aime Lysandre d’un amour partagé, fuit son père, Égée, lequel veut la marier à Démétrius, lui-même convoité par Hélène. Lysandre, Démétrius et Hélène poursuivent la jeune femme et la retrouvent, la nuit, dans une forêt sur laquelle règnent Oberon, roi des elfes, et Titania, reine des fées. Titania cherche querelle à son époux. Par vengeance, Oberon mouille les yeux de Titania du suc d’une fleur magique, qui la rendra amoureuse du premier être qu’elle verra à son réveil : le sort tombe sur le tisserand Bottom, comédien amateur qui, venu répéter la tragédie Pyrame et Thisbé avec ses compagnons, se retrouve, par la malice de Puck, affublé d’une tête d’âne. Oberon a également chargé Puck de réconcilier les couples d’amants mortels avec le même philtre d’amour. Mais l’étourdi lutin sème la confusion générale... Tout finit par rentrer dans l’ordre : Titania retrouve la maîtrise d’elle-même et Bottom sa tête d’homme, Hermia épouse Lysandre et Hélène gagne l’amour de Démétrius.

LES EXTRAITS

N° 1 – Scherzo

Le «Scherzo», en sol mineur, ouvre l’acte II. C’est l’un des morceaux les plus magistraux qu’ait composés Mendelssohn et l’un des plus typiques de son art : on retrouvera cette grâce virevoltante dans bien d’autres pages, tels le finale du Concerto pour violon en mi mineur, le scherzo de la Symphonie «écossaise» ou le «Saltarello» final de la Symphonie «italienne». Son originalité (et sa difficulté d’exécution) réside dans les traits véloces des instruments, tout d’abord les bois (flûte, hautbois, clarinettes, bassons), rejoints par le cor, puis les cordes. Les vents ont à peine le temps de reprendre leur souffle dans cette course légère. Et c’est à la flûte, qui jusque-là n’a pourtant pas ménagé ses efforts, qu’est confiée l’ultime envolée.

N° 5 – Intermezzo

L’Intermezzo, qui relie l’acte II au suivant, tranche radicalement avec ce qui précède. La première partie (la mineur) traduit la terreur d’Hermia qui, partie à la recherche de son bien-aimé Lysandre, s’est perdue dans la forêt : son cauchemar, où elle est la proie d’un serpent, puis son désespoir lorsqu’elle découvre que Lysandre l’a abandonnée. Les textures diaprées laissent placent ici à un discours dense, contrapuntique où le motif principal, issu du mélodrame n° 4, s’agite en vagues angoissées.

Le second volet (la majeur) correspond au début de l’acte II et à l’entrée des clowns et des artisans – le charpentier Lecoing, le menuisier Étriqué, le tisserand Bottom, le raccommodeur de soufflets Flûte, le chaudronnier Groin et le tailleur Meurt-de-Faim –, venus répéter leur pièce de théâtre, Pyrame et Thisbé. Ils sont accompagnés par un duo de bassons aussi goguenard que rustique, marquant une opposition nette entre ce petit monde et celui des fées.

N° 7 – Notturno

Le «Nocturne» (mi majeur) clôt l’acte III. Puck vient à présent réparer les dégâts commis et, touchant de nouveau les yeux des amoureux endormis, rend leurs cœurs à leurs véritables prétendants : Lysandre à Héléna, Démétrius à Hermia. Le texte de Shakespeare évoque une musique calme et enchanteresse et le son d’un cor, annonçant l’aube et la fin des sortilèges, et Mendelssohn suit fidèlement ses instructions. Cet instrument si prisé par les compositeurs romantiques allemands, pour qui il évoquait la forêt profonde et mystérieuse, résonne dès les premières mesures du «Nocturne», en compagnie des bassons. Les violons, la clarinette, le hautbois s’emparent à leur tour du thème, et la musique s’enflamme, de plus en plus sensuelle.

N° 9 – Marche nuptiale

Avec le chœur des fiancés extrait de Lohengrin de Wagner, la «Marche nuptiale» se trouve en tête du hit-parade des musiques matrimoniales. Elle salue, au début de l’acte V, les noces du duc athénien Thésée et de la reine des Amazones, Hippolyte. Clairement structurée par l’alternance de couplets et du refrain et par de nombreuses reprises, elle est écrite dans un ut majeur éclatant, qui tranche avec les tonalités plus chargées entendues jusque-là.

– Claire Delamarche

Brahms, Symphonie n° 4

Composition : 1884-1885.
Création : Meiningen (Allemagne), 25 octobre 1885, sous la direction du compositeur. 

Brahms attendit l’âge de la maturité avant d’oser se lancer dans le grand genre instrumental par excellence, la symphonie. Plusieurs œuvres orchestrales d’envergure (les deux Sérénades, le Premier Concerto pour piano, les Variations sur un thème de Haydn) lui avaient servi de banc d’essai. Quant à la symphonie, il s’agissait de s’inscrire dans l’histoire, en se mesurant notamment aux modèles beethovéniens, et dans l’ombre du vénéré Schumann trop tôt disparu. Comme ce dernier, Brahms écrivit quatre symphonies, en une «décennie prodigieuse» (1875-1885), mais auparavant, sa Première Symphonie avait eu une gestation extrêmement longue (les premières esquisses remontent à 1854). Une vie calme et le plus souvent solitaire, de préférence dans le cadre d’une villégiature estivale retirée, permettait à Brahms de se livrer à ces vastes travaux qui l’absorbaient totalement.

Pour la Quatrième Symphonie, Brahms avait gardé son projet secret : il n’en avait fait part ni à son éditeur, ni à ses amis, et il semblait lui-même sceptique sur le succès que pourrait avoir à Vienne cette œuvre qu’on a qualifiée de «symphonie automnale», comme voilée par les brumes du nord. Pourtant, elle suscita immédiatement l’enthousiasme du chef Hans von Bülow, qui en assura les répétitions à Meiningen, avant que Brahms ne prenne la tête de l’orchestre pour en diriger la première audition publique.

La partition pas à pas

La Quatrième est sans doute, des quatre symphonies de Brahms, celle dont l’inspiration est le plus profonde, le plus réfléchie. Sa conception, par engendrement continuel de figures thématiques à partir d’un petit nombre de cellules génératrices, possède une cohérence très forte, nourrie par le principe généralisé de la variation.

Ce principe est évident dès le premier mouvement, où un motif rêveur, simple intervalle de tierce, oscille doucement, et va se prêter à toutes sortes de métamorphoses et de subtilités métriques. Un autre thème d’allure plus héroïque, puis un thème lyrique en formeront le complément expressif, et tous trois seront longuement développés (Brahms a l’art de la digression, selon un temps musical qui respire largement). La réexposition culmine dans une coda d’une grande énergie.

Le deuxième mouvement nous plonge dans un «ton de légende», une narration épique, C’est une sorte d’hymne mystérieux sur des rythmes de marche, coloré par les timbres voilés, typiques du romantisme allemand, que Brahms affectionne particulièrement : appels de cors, thème aux clarinettes en la.

Le troisième mouvement nous plonge dans une ambiance festive et énergique. Il tient lieu de scherzo, bien qu’il soit à deux temps (et non trois). Son caractère brillant et plus extérieur pourrait faire penser à l’ambiance joyeuse d’un finale, mais ce n’est qu’un bref intermède, car Brahms réserve la quintessence de son inspiration et de sa science de la composition pour son magistral finale, qui porte l’essentiel du poids expressif de l’œuvre.

Pour ce quatrième mouvement, Brahms a choisi non une grande forme sonate, mais des variations sur un thème de basse très simple (huit mesures formant un début de gamme ascendante puis une cadence parfaite). Ce cadre rigoureux se réfère, en deçà du modèle beethovénien, à la forme plus ancienne de la passacaille ou de la chaconne (danses nobles à trois temps sur basse obstinée), abondamment illustrées par les musiciens de l’époque baroque (le thème est d’ailleurs quasiment identique à celui du chœur final de la Cantate BWV 150 de Bach). Ici, cette basse sert essentiellement de cadre structurel harmonique, que Brahms va habiller d’une multitude de figures aux contours mélodiques et rythmiques les plus divers, dans une succession de trente et une variations suivies d’une grande coda.

On pourrait penser qu’il en résulterait une musique morcelée et monotone, puisque la structure harmonique obstinée ne permet pas grandes possibilités de modulation hors de mi mineur. Brahms parvient à se jouer de ces contraintes en enchaînant ou en contrastant les climats expressifs de ses variations (avec un grand passage central plus lent et détendu, en mi majeur), en les habillant de couleurs orchestrales somptueuses (comme le magnifique choral de trombone au centre du mouvement), et surtout, il crée de grandes progressions en regroupant les variations en une continuité nécessaire, animée d’un souffle épique. Loin d’être un exercice d’école, ce finale est avant tout (comme indiqué sur la partition) «énergique et passionné».

– Isabelle Rouard

Auditorium-Orchestre national de Lyon

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