Feu d’artifice de Stravinsky
◁ Retour au concert du ve. 19 nov. 2021
Programme détaillé
Feu d’artifice
[5 min]
Concerto pour violoncelle en la mineur, op. 129
I. Nicht zu schnell – Etwas zurückhaltend [Pas trop vite – En retenant un peu]
II. Langsam – Etwas lebhafter – Schneller – Schneller und Schneller [Lent – Un peu plus animé – Plus vite – De plus en plus vite]
III. Sehr lebhaft – Schneller [Très vif – Plus vite]
[25 min]
-- Entracte --
Alborada del gracioso
[8 min]
Waves, duo pour orgue et orchestre
[25 min]
Orchestre de la Suisse romande
Jonathan Nott direction
Steven Isserlis violoncelle
Olivier Latry orgue
Stravinsky, Feu d’artifice
Composition : 1908-1909.
Création : 6 février 1909 à Saint-Pétersbourg, sous la direction d’Alexander Siloti.
Dédicace : à Nadejda et Maximilien Steinberg.
Œuvre de jeunesse de Stravinsky, Feu d’artifice n’en est pas moins une œuvre emblématique du compositeur. En effet, elle symbolise, par les personnages qu’elle met en présence, le passage entre les années d’apprentissage du compositeur russe et les années qui le mènent à une reconnaissance internationale. Tournée vers le passé, Feu d’artifice l’est par le lien qu’elle entretient avec le maître de Stravinsky, Nicolaï Rimski-Korsakov, et sa fille Nadejda. À l’occasion des fiançailles de cette dernière, Stravinsky entreprend la composition d’une pièce véritablement pyrotechnique, dans laquelle il met en œuvre la connaissance de l’orchestration reçue de Rimski-Korsakov. Mais Feu d’artifice est aussi tourné vers l’avenir puisque, le jour de la création, Sergueï Diaghilev, imprésario des Ballets russes, se tient dans le public. La légende raconte que c’est en entendant cette œuvre qu’il aurait décidé de collaborer avec Stravinsky pour ses prochains ballets, notamment Le Sacre du Printemps, qui révélera le compositeur au monde. Lui-même évoque, dans ses mémoires, la brèche qu’a ouverte Feu d’artifice, racontant que «le jour de cette représentation [fut] une date importante pour tout l'avenir de [sa] carrière musicale».
Avant même que la flûte ne lance sa première fusée, l’œuvre nous happe par l’imposant orchestre qu’elle requiert : pas moins de six cors, deux harpes, un célesta, deux percussionnistes, trois clarinettes et une clarinette basse pour à peine 4 minutes de musique. Cette profusion de moyens annonce d’emblée une rhétorique fondée sur la couleur et Stravinsky déroule en effet les possibilités coloristes offertes par un grand orchestre.
Dans une célérité époustouflante, Feu d’artifice met l’orchestre à l’épreuve, réclamant une vivacité instrumentale qui semble crépiter de toutes parts. La partie centrale ouvre cependant une fenêtre sur un monde irréel, évoqué par le son vaporeux du célesta et les harmoniques des violons. Mais ce temps suspendu est rapidement rattrapé par l’urgence du début et, après un dernier appel de cor, le bouquet final éclate de manière irrépressible. Le feu d’artifice semble advenir devant nos yeux, la musique de Stravinsky étant autant l’imitation du sujet que sa sublimation par l’éblouissement sonore qu’elle suscite.
– Claire Lapalu
Le PODCAST
Schumann, Concerto pour violoncelle
Composition : octobre 1850.
Création : Leipzig, 9 juin 1860.
En septembre 1850, Robert Schumann s’installe avec sa famille à Düsseldorf, où il a accepté le poste de directeur musical de la Société de musique. Trois ans et demi plus tard, il tentera de se suicider en se jetant dans le Rhin. Interné à l’asile d’aliénés d’Endenich, près de Bonn, il y mourra au bout de deux ans et demi de tourments, hanté par des voix angéliques et la vision d’hyènes et de tigres.
Toutefois, les premiers temps à Düsseldorf sont heureux. Robert, qui souffrait à Dresde d’un manque de reconnaissance, se réjouit de disposer désormais d’un chœur et d’un orchestre grâce auxquels il pourra faire entendre ses nouvelles compositions. Cette satisfaction stimule sa créativité : en quelques semaines, il écrit le concerto pour violoncelle et la Troisième Symphonie, la «Rhénane», suivis par une longue série d’œuvres vocales et de chambre. Le 10 octobre, il avait noté dans son journal : «Besoin urgent de composer.» Le 24, il marque fièrement : «Le concerto pour violoncelle achevé.»
Le 16 novembre, Clara écrit à son tour : «Il me plaît beaucoup et me semble écrit dans un véritable style de violoncelle.» Un an plus tard, toutefois, la partition n’a toujours pas quitté le bureau du compositeur. En octobre 1851, Clara poursuit : «J’ai de nouveau joué de bout en bout le concerto pour violoncelle de Robert [au piano], et cela m’a procuré une heure vraiment musicale et heureuse. Le caractère romantique, la vivacité, la fraîcheur, mais également la manière très intéressante dont le violoncelle et l’orchestre se mêlent sont vraiment très séduisants, et quelle euphonie, quelle profondeur du sentiment on découvre dans tous ces passages mélodiques !»
Schumann n’entendra jamais le concerto autrement que sous les doigts de son épouse. La création aura lieu en 1860 seulement, quatre ans après sa mort, lors d’un concert donné à Leipzig à l’occasion du cinquantenaire de sa naissance.
Le lyrisme et la fluidité de l’œuvre lui donnent un caractère inédit. La voix du violoncelle coule sans efforts, virtuose sans être démonstrative, souveraine mais, comme le soulignait Clara, imbriquée à l’orchestre et ne s’opposant jamais à lui en luttes héroïques. Cette beauté tranquille produit un effet pervers : l’œuvre est souvent boudée par les violoncellistes, qui lui préfèrent des pages plus spectaculaires.
Jusqu’alors, le violoncelle était resté relativement discret dans l’œuvre de Schumann, qui ne lui avait dédié que les Fünf Stücke im Volkston [Cinq Pièces dans le style populaire], pour piano et violoncelle, en 1849. Le concerto se situe directement dans le prolongement de ces morceaux chantants, avec lesquels il présente même des parentés tonales et thématiques.
Même si le concerto adopte le découpage traditionnel en trois mouvements vif – lent – vif, ces mouvements présentent l’originalité d’être reliés par des transitions dans lesquelles le soliste joue un rôle prépondérant. La première d’entre elles ne dure que quatre mesures, mais la seconde est plus développée, formant une véritable cadence avec vingt-quatre mesures et trois indications de tempo principales.
Autre originalité, c’est le soliste – et non l’orchestre – qui introduit le thème principal du premier mouvement, après trois doux accords de bois et cordes en pizzicatos. Cette ample mélodie semble ne jamais devoir s’arrêter : elle se développe sur près de trente mesures, jusqu’à se fondre dans le tutti orchestral. Ce mouvement est assez fantasque, à l’image de son premier thème. L’humeur y varie promptement, et l’instabilité tonale accentue ce caractère changeant.
C’est presque imperceptiblement que l’on glisse dans le mouvement lent, qui semble tout d’abord n’être qu’un méandre supplémentaire du précédent. Le soliste entonne une nouvelle mélodie, chaude et expressive, hantée par les accords initiaux du premier mouvement. Ce thème présente la particularité d’être accompagné par un contre-chant joué par un autre violoncelle solo, issu de l’orchestre. (Brahms reprendra plus tard l’idée d’un solo de violoncelle dans le mouvement lent de son Concerto pour piano n° 2.) Ce beau duo n’est qu’un exemple parmi d’autres du dialogue constant entre le soliste et l’orchestre. Un autre exemple frappant survient bientôt : à la fin du mouvement lent, le tempo s’anime légèrement et les bois entonnent le thème initial du premier mouvement, relayés au bout de deux mesures et demie par le violoncelle.
Le tempo s’embrase, et une cadence du soliste conduit directement au finale, Sehr lebhaft [Très vif]. Son caractère enjoué tranche avec la rêverie passionnée qui a précédé. Au milieu du mouvement, la tonalité de la mineur s’éclaircit en la majeur. Après une dernière cadence du violoncelle, le tempo accélère pour amener une brillante coda.
– Claire Delamarche
Ravel, Alborada del gracioso
Pièce pour piano : extraite des Miroirs (1904-05), dédiée à Michel D. Calvocoressi.
Orchestration : Ravel, 1918.
Création (version orchestrale) : Paris, 17 mai 1919, par l’Orchestre Pasdeloup, sous la direction Rhené-Baton.
Voici un paradoxe fascinant : l’inspiration de Ravel est manifestement liée à son contact intime avec le clavier du piano, d’où sont nés la plupart de ses chefs-d’œuvre, et pourtant il fut aussi l’un des plus grands orchestrateurs de son temps, appliquant cet art de la couleur orchestrale à ses propres compositions pour piano, comme à celles de musiciens qu’il aimait (Moussorgski, Chabrier, Chopin, Schumann, Debussy…). Quand on écoute la version initiale pour piano de l’Alborada del gracioso, quatrième pièce du recueil Miroirs, on ne peut imaginer qu’une musique aussi tributaire de la technique du clavier comme de ses sonorités (notes répétées crépitantes, glissandos, énergie émanant de l’ampleur et de la vivacité des déplacements des mains) ait pu devenir également l’une des pièces d’orchestre les plus éblouissantes qui soit. Et le plus étonnant, c’est que l’absolue réussite de la seconde version n’a pas éclipsé la première, que tout pianiste virtuose se doit d’avoir à son répertoire.
Si Ravel a parfois adopté divers déguisements plus au moins exotiques, il parle ici une langue hispanisante qui montre chez ce Basque une compréhension profonde de l’âme espagnole. Cette langue, il l’a parlée depuis ses débuts, dans la Habanera pour deux pianos qui l’a fait connaître à l’âge de 20 ans, et il y revient encore dans sa dernière œuvre achevée, les mélodies Don Quichotte à Dulcinée. Entre temps, il aura écrit, entre autres chefs-d’œuvre, l’éblouissant opéra L’Heure espagnole, la Rapsodie espagnole pour orchestre, ou encore le célébrissime Boléro.
Le gracioso, c’est le bouffon des comédies espagnoles, croqué ici à la pointe sèche, en train de donner une sérénade sans espoir à une belle inaccessible. Le galant n’est sans doute pas de première jeunesse ; sa silhouette anguleuse, compassée et ridicule, se profile dans les accents heurtés de la musique, aux petites dissonances insistantes, dans la sécheresse de l’orchestre transformé au début en une immense guitare. Mais au cœur de la pièce, un récitatif quelque peu alambiqué mais d’autant plus poignant, confié à la voix noble du basson solo, laisse entrevoir une confidence où le grotesque et le tragique se mêlent intimement. Les brefs accents passionnés qui soulèvent par moment tout l’orchestre prennent un ton déchirant, s’achevant en hoquetant dans un sanglot étranglé. Et toute la fin de la sérénade oscille dans cette ambigüité expressive : rythmes de danse contre lyrisme vocal, ironie et sens du drame. Rarement, les martèlements et les tourbillonnements des rythmes espagnols auront pris un caractère plus désespéré.
– Isabelle Rouard
Dusapin, Waves
Création mondiale : Hambourg, Elbphilharmonie, 26 janvier 2020, par Iveta Apkalna (orgue) et le Philharmonisches Staatsorchester Hamburg sous la direction de Kent Nagano.
Création française : Paris, Philharmonie, 5 février 2021, par Olivier Latry (orgue) et l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la direction d’Alain Altinoglu.
Commande : Elbphilharmonie Hamburg, Orchestre symphonique de Montréal, La Monnaie / De Munt, Radio France, Philharmonie de Paris et Orchestre de la Suisse romande.
Il y a quelques années, Kent Nagano m’a demandé d’écrire une pièce pour l’orgue de la Philharmonie de l’Elbe et son orchestre de Hambourg conjointement à l’orgue et l’orchestre de Montréal. Il m’apparut progressivement qu’il y avait dans cette aventure la possibilité d’un défi nouveau. Comment composer un duo pour orgue et orchestre où chacun de ces deux-là tenterait de devenir l’autre et à la fin ne faire qu’un seul. Ce fut le projet de Waves…
Peu après avoir commencé la partition, je me suis intéressé aux vagues. Je ne sais trop pourquoi mais cette allégorie s’est imposée au cours du travail parce que c’est toujours ma musique qui invente son intention d’être et non le contraire. Une vague, c’est d’abord un phénomène physique. Une vague, c’est une variation et au même instant un renouvellement, une forme qui se déforme, la distorsion d’une masse. Son mouvement procède d’un principe de contraction et de déferlement à l’interface de forces opposées. C’est un événement dont j’ai aimé considérer en tout premier lieu le caractère abstrait car il m’inspirait comme principe de composition. L’orgue est orchestré avec l’orchestre, le contraire aussi. Les deux s’entrechoquent, se rétractent et s’abattent l’un sur l’autre, se gauchissent sous le flux constant d’énergies inverses jusqu’à se dissimuler l’un à l’autre en confondant leurs volumes harmoniques.
Au cours d’une séance préparatoire à la composition sur le grand orgue de Notre-Dame de Paris, Olivier Latry m’avait conseillé de ne pas trop penser en termes de doublures avec l’orchestre, qu’il convenait d’éviter aussi les unissons car la justesse risquait d’en souffrir. Il est vrai que la projection du son de l’orgue est directe, voire raide alors que l’orchestre a une flexibilité beaucoup plus souple tant au niveau de la dynamique qu’à celui du tempérament. Une des premières décisions relatives à la partition fut aussi de disposer deux bugles hors de l’enceinte de l’orchestre afin de créer un espace réverbérant concurremment aux sonorités de l’orgue. Comme un autre jeu. Et c’est aussi un jeu car ces deux bugles tracent des lignes en dehors, anticipent ou indiquent d’autres directions à l’ensemble. J’ai cherché à obtenir un timbre dual entre l’orgue et l’orchestre, en créant des masques, comme des troubles harmoniques, créant les conditions d’une possible confusion entre le soliste et l’orchestre en procédant par afflux, ressac et déferlante. Mais mon intention n’a jamais été de décrire les rouleaux des vagues ! La musique peut créer chez l’auditeur des images mentales mais nous savons bien qu’elle ne représente rien d’autre qu’elle-même. En revanche, l’exercice de la composition musicale a ceci de fascinant qu’il permet d’aller puiser dans des modèles naturels afin d’enrichir sa perception des formes.
Waves est dédié à Romie Laborde-Dusapin, née le 18 mars 2019.
– Pascal Dusapin
Pascal Dusapin parle de la genèse de «Waves»
Les musiciens
Premiers violons
Bogdan Zvoristeanu
Abdel-Hamid El Shwekh
Yumiko Awano
Caroline Baeriswyl
Linda Bärlund
Elodie Bugni
Theodora Christova
Stéphane Guiocheau
Guillaume Jacot
Yumi Kubo
Florin Moldoveanu
Bénédicte Moreau
Muriel Noble
Yin Shen
Michiko Yamada
Seconds violons
Sidonie Bougamont
François Payet-Labonne
Claire Dassesse
Rosnei Tuon
Florence Berdat
Gabrielle Doret
Véronique Kümin
Inès Ladewig
Claire Marcuard
Eleonora Ryndina
Claire Temperville-
Clasen
David Vallez
Cristian Vasile
Nina Vasylieva
Altos
Frédéric Kirch
Elçim Özdemir
Emmanuel Morel
Jarita Ng
Hannah Franke
Hubert Geiser
Stéphane Gontiès
Denis Martin
Marco Nirta
Verena Schweizer
Catherine Soris Orban
Yan Wei Wang
Violoncelles
Léonard Frey-Maibach
Cheryl House Brun
Hilmar Schweizer
Jakob Clasen
Laurent Issartel
Yao Jin
Olivier Morel
Caroline Siméand Morel
Son Lam Trân
Contrebasses
Héctor Sapiña Lledó
Bo Yuan
Alain Ruaux
Ivy Wong
Mihai Faur
Adrien Gaubert
Gergana Kusheva Trân
Nuno Osório
Flûtes
Sarah Rumer
Loïc Schneider
Raphaëlle Rubellin
Jerica Pavli
Hautbois
Nora Cismondi
Simon Sommerhalder
Vincent Gay-Balmaz
Alexandre Emard
Sylvain Lombard
Clarinettes
Dmitry Rasul-Kareyev
Michel Westphal
Benoît Willmann
Camillo Battistello
Guillaume Le Corre
Bassons
Céleste-Marie Roy
Afonso Venturieri
Francisco Cerpa Román
Vincent Godel
Katrin Herda
Cors
Jean-Pierre Berry
Julia Heirich
Isabelle Bourgeois
Alexis Crouzil
Pierre Briand
Clément Charpentier-Leroy
Agnès Chopin
Trompettes
Olivier Bombrun
Giuliano Sommerhalder
Gérard Métrailler
Claude-Alain Barmaz
Laurent Fabre
Trombones
Matteo de Luca
Alexandre Faure
Vincent Métrailler
Andrea Bandini
Laurent Fouqueray
Tuba
Ross Knight
Timbales
Arthur Bonzon
Olivier Perrenoud
Percussions
Christophe Delannoy
Michel Maillard
Michael Tschamper
Harpe
Notburga Puskas
Étudiants (Diploma of advanced studies)
Cristian Zimmerman (violon)
Beatriz Amado Acosta (alto)
Gabriel Esteban (violoncelle)
Jeanne Maugrenier (cor)