Rameau

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Programme détaillé

Opéra-ballet
(Extraits)

Ouverture (1757)
– Le plus vite possible
– Adagio. Sans lenteur
– Gai

Le Retour d’Astrée
(Prologue, 1748)
Livret de Gentil-Bernard

Anacréon
(1757, révisé en 1758)
Livret de Gentil-Bernard

--- Entracte ---

Les Sybarites (1753, 1757)
Livret de Jean-François Marmontel

Distribution

Les Nouveaux Caractères
Sébastien d’Hérin direction
Caroline Mutel soprano
Anne-Catherine Gillet soprano
Mathias Vidal ténor
Christophe Gay baryton

Les Surprises de l’amour

Création (version initiale) : château de Versailles, théâtre des Petits Appartements, 27 novembre 1748.
Version remaniée : Paris, Académie royale de musique, 31 mai 1757.
Reprise encore remaniée : ibid. 10 octobre 1758. 

Sous le règne de Louis XV, à partir du milieu des années 1740, apparaît à la cour comme à la ville le goût pour un type de spectacle nouveau, conjuguant légèreté et brièveté, dans une esthétique galante qu’on peut qualifier de «rocaille» par sa recherche d’élégance décorative, dénuée de décorum trop fastueux et de grandeur tragique. Il s’agit de brefs spectacles lyriques et chorégraphiques en effectif réduit, constitués en actes autonomes, parfois juxtaposés sous un même thème général (ce qu’on connaît déjà alors, depuis L’Europe galante de Campra en 1697, sous le terme d’«opéra-ballet»), parfois indépendants et joués séparément (sous l’appellation «acte de ballet»), ou encore regroupés de manière plus arbitraires sous forme de «fragments» (spectacles hétérogènes pouvant rassembler du théâtre, de l’opéra et de la danse, de divers auteurs). Ayant reçu en 1745 le titre de compositeur de la musique de la Chambre du roi, Rameau a participé à ce mouvement, en honorant des commandes de cour souvent destinée à célébrer des événements tels que victoires militaires, mariages ou naissances princière… 

Les aléas des productions, avec leurs reprises dans différents théâtres, donnent fréquemment lieu à de multiples remaniements, et c’est ce qui est arrivé aux Surprises de l’amour, dénommé d’abord «divertissement» lors de sa création à la cour, par des artistes amateurs nobles sous l’égide de la marquise de Pompadour, qui chantait elle-même dans le spectacle. Ce divertissement en un prologue et deux actes indépendants, composé pour fêter le traité de paix d’Aix-la Chapelle, connut en novembre et décembre 1748 à Versailles deux représentations privées dans le théâtre des Petits Appartements, qui pouvait accueillir une centaine de spectateurs. 

Lors de la saison 1757 de l’Académie royale de musique (l’Opéra de Paris), Les Surprises de l’Amour, désormais dénommé «ballet» ou «opéra-ballet», fut reprogrammé avec de notables changements. Le prologue de circonstance, qui fêtait la paix et la gloire du souverain, selon une pratique qui datait de l’époque de Louis XIV et Lully, fut supprimé et remplacé par une nouvelle ouverture, de type italien (c’est-à-dire moderne, au goût du jour), en trois mouvements brefs vif/lent/vif instrumentés avec cors et hautbois (la pompeuse ouverture à la française à la Lully étant à cette époque tombée en désuétude). Les deux actes du divertissement, appelés maintenant «entrées» dans l’opéra-ballet, virent leur ordre interverti, leur musique remaniée, et une nouvelle entrée, Anacréon, fut ajoutée au spectacle, qui obtint un grand succès public. Après dix-huit représentations, Rameau décida de substituer à la deuxième entrée (intitulée La Lyre enchantée) un acte de ballet composé auparavant et représenté en 1754 au château de Fontainebleau en l’honneur de la naissance du duc d’Aquitaine, Les Sybarites, pour encore quinze représentations. Mais ce n’est pas tout : lors de la reprise de l’année suivante, les deux entrées initiales furent rétablies dans leur ordre premier, mais La Lyre enchantée et Anacréon furent profondément remaniés (livret et musique), et après dix-neuf représentations, Rameau remplaça Anacréon par Les Sybarites, pour encore neuf soirées.

Ce spectacle dont la forme a tant varié au fil des représentations autorise de nos jours toutes sortes de configurations sur scène ou en enregistrement discographique. C’est ainsi qu’en 2013 Sébastien d’Hérin a enregistré avec son ensemble Les Nouveaux Caractères la version de 1758 (mais sans inclure Les Sybarites). Les choix inhérents à toute production laissent donc de côté des musiques de grande qualité, qu’il serait dommage de voir définitivement reléguées au silence des rayons des bibliothèques. Pour ce concert, le projet de Sébastien d’Hérin est précisément de compléter le cycle, en faisant entendre Les Sybarites, entrée qui avait été écartée de son enregistrement, et en jouant des scènes qui n’ont jamais été redonnées depuis l’époque de Rameau, et dont il n’existe aucun enregistrement : il s’agit précisément du prologue Le Retour d’Astrée. 

Le Retour d’Astrée

Le Retour d’Astrée est une allégorie emplie d’allusions à la situation historique du temps, qui a pour but d’annoncer le thème général des entrées suivantes de l’opéra : le pouvoir qu’a l’Amour de renverser à son profit les situations les plus conflictuelles.

Ce prologue commence par une scène où Vulcain et les Cyclopes s’acharnent à forger des armes (notes répétées et «coups» à l’orchestre). Ils sont interrompus par l’arrivée d’Astrée (accompagnée de flûtes), divinité suivie d’une troupe d’Amours et de Plaisirs qui combattent les Cyclopes et en sont les vainqueurs. Les flèches de l’Amour seront désormais les seules armes en usage. Le Temps vient confirmer la fin des hostilités, comparant le «héros de la paix» (c’est-à-dire le roi Louis XV) au soleil. Astrée et le Temps unissent leurs voix en un duo pour le célébrer : 

Qu’il règne à jamais 
Entre les beaux-arts et la gloire ;
Élevons ce héros du char de la victoire
Au trône de la paix. 

L’ensemble du prologue est ponctué de danses qui figurent l’action et sont une part essentielle du divertissement ramiste, délicatement ciselées et orchestrées avec raffinement.

Anacréon

Le sujet d’Anacréon joue sur l’opposition supposée entre Bacchus et Amour, l’appétence pour le vin ou l’attrait pour les ébats amoureux. L’action met en scène le poète antique Anacréon, homme d’âge mûr adepte de ces plaisirs. Elle s’ouvre par une scène de banquet où Anacréon et ses convives célèbrent Bacchus et la joie de boire sans cesse. Mais une prêtresse de Bacchus et sa suite de Ménades font irruption dans la fête sur des accents belliqueux, furieuses de voir Anacréon partagé entre son goût du vin et son tendre amour pour sa maîtresse Lycoris. Dans un ballet figuré, elles attaquent à coup de batteries de violons et bassons la douce Lycoris, symbolisée par deux petites flûtes. Anacréon se rebelle et est prêt à abandonner le culte de Bacchus s’il en coûte à l’Amour. Mais soudain le sommeil le prend, donnant matière à un morceau de choix des opéras baroques, prétexte à la fantaisie des songes funestes ou agréables. En l’occurrence, il s’agit d’un sommeil aviné, figuré par une musique aux harmonies errantes et chromatiques. Des gouttes de pluie (note tenue de flûtes et pizzicati des violons) annoncent un violent orage qui réveille Anacréon.

Le musicologue spécialiste de Rameau Graham Sadler a souligné la ressemblance de cette brève page avec des extraits des Quatre Saisons de Vivaldi : le sommeil des ivrognes dans L’Automne, les gouttes de pluie en pizzicati de L’Hiver et l’orage de L’Été, sans qu’il s’agisse d’une véritable citation. Cela montre combien ces concertos de Vivaldi étaient devenus populaires à cette époque à Paris, joués dans le cadre du Concert spirituel depuis 1725. 

Mais un enfant ruisselant et glacé gémit au cœur de la tempête. Recueilli par Anacréon, il raconte comment la belle Lycoris est mourante, se languissant de l’ingratitude de son amant qui l’a abandonnée en préférant s’endormir dans les vapeurs éthyliques de Bacchus. Ce discours réveille la conscience d’Anacréon qui avoue être lui-même cet amant ingrat, et reconnait en l’enfant mystérieux le dieu Amour en personne. La troupe des amours (chœur) rend Lycoris à son amant qui supplie Amour de ne pas se formaliser : s’il boit encore, c’est pour mieux chanter Vénus et ses plaisirs. Les réjouissances dansées s’enchainent, à l’arrivée de la troupe des Plaisirs, ce qui provoque le retour des furieuses Ménades, immédiatement repoussées par Amour qui déclare être «le dieu de la paix». En guise de réconciliation, Amour invite Bacchus à partager ses conquêtes en se lançant dans une «ariette», grand air de style italien avec vocalises virtuoses sur une basse en notes répétées caractéristiques. Le divertissement dansé, très contrasté, peut reprendre. La morale de l’histoire s’exprime dans le très brillant chœur final qui rassemble tous les protagonistes : «Bacchus ne défend pas d’aimer, et Amour nous permet de boire», suivi d’une joyeuse contredanse qui les entraine tous dans une réjouissance effrénée. 

Les Sybarites

Le sujet des Sybarites, situé également dans l’Antiquité, oppose les habitants de deux cités voisines et rivales de la Grande-Grèce, au sud de l’Italie (Calabre). Sybaris, gouvernée par la reine Hersilide, s’adonne aux joies champêtres et aux plaisirs amoureux, tandis que Crotone, commandée par le général Astole, ne rêve que d’exploits guerriers. Les Crotoniates envahissent Sybaris dans le but d’y faire régner des mœurs plus viriles, austères et vertueuses.

Des «bruits de guerre», à grand renfort de trompettes et timbales, se font entendre à l’arrivée des Crotoniates, interrompant les danses des Sybarites. La reine Hersilide exhorte son peuple à ne pas fuir devant les envahisseurs, mais pour les vaincre, à leur offrir des fleurs. Elle invoque l’Amour, pour qu’il lui vienne en aide, et dans une «ariette gracieuse et un peu gaie», accompagnée seulement dans l’aigu par les flûtes et violons, elle lui demande d’enchainer le peuple rebelle au moyen de la volupté et la beauté. L’affrontement des deux nations a lieu dans un chœur où les voix aiguës des Sybarites s’opposent aux voix mâles des guerriers accompagnées des trompettes, dans une étonnante superposition sonore. Le général Astole parait enfin, exhortant les Sybarites à chercher la gloire des combats. Au cours d’un débat avec la reine où chacun défend ses arguments, il sent faiblir sa détermination, saisi par le charme de la souveraine, et il lui demande d’où vient son pouvoir. Dans une ariette gracieuse et délicatement ciselée, Hersilide lui fait découvrir cet «enfant qui vous enchaîne», l’Amour, qui voltige et folâtre au gré de ses vocalises légères. Astole convertit son peuple au pouvoir de la beauté qui triomphe de la gloire, dans un chœur richement agencé. Le divertissement final célèbre, par des danses où se conjuguent la grâce et la vigueur, l’union des deux peuples et de leurs souverains respectifs. 

– Isabelle Rouard

Pour aller plus loin

• Partitions gravées d’Anacréon (1758) et des Sybarites (1757) sur le site de la Bibliothèque nationale de France. 
• En un acte, les Actes de ballet de Jean-Philippe Rameau (1745-1757), études réunies par Raphaëlle Legrand et Rémy-Michel Trotier, éditions Aedam Musicae, 2019. On y trouve l’article de G. Sadler, p. 129. 

Les musiciens des Nouveaux Caractères

Viole de gambe : Martin Bauer 
Violoncelle : Frédéric Baldassare
Contrebasse : Roberto Fernandez de Larrinoa
Violons solo : Fabien Roussel, Armelle Cuny
Clavecin : François Guerrier

Violons : Benjamin Chenier, Iris Scialom, Roxana Rastegar, Christophe Robert, Stéphan Dudermel
Violons altos : Myriam Cambreling, Reynier Guerrero, Delphine Millour
Violoncelles : Clara Fellmann, Alix Verzier
Flûtes : Zuzanna Dubisweska 
Hautbois : Timothée Oudinot, Hélène Mourot
Basson : Florian Gazagne, Isaure Lavergne
Percussions / timbales : Olivia Martin

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