Notes de programme

La Moldau

Ven. 13 et sam. 14 mai 2022

Retour au concert des vendredi 13 et samedi 14 mai 2022

Programme détaillé

Bedřich Smetana (1824-1884)
Má Vlast
[Ma Patrie]

I. Vyšehrad
II. Vltava [La Moldau]
III. Šárka
IV. Z českých luhů a hájů [Par les prés et les bois de Bohème]
V. Tábor
VI. Blaník

Concert sans entracte.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction

Smetana, Ma Patrie

Composition : 1874-1879. 
Dédicace : à la ville de Prague. 
Création : Prague, palais Žofín, 5 novembre 1882, par l’Orchestre du Théâtre national sous la direction d’Adolf Cech.

Né dans une famille relativement aisée de la petite ville de Litomyšl, en limite de la Bohême et de la Moravie, Bedřich Smetana bénéficie dès son plus jeune âge d’une éducation musicale poussée. Il fréquente très tôt les milieux intellectuels tchèques où règne une atmosphère révolutionnaire prégnante dans l’Empire austro-hongrois, ce qui aura une grande influence sur le développement de sa personnalité. À 28 ans, il créé à Prague une première école de musique, et compose un chant choral en soutien aux émeutiers des événements prorévolutionnaires de mars à juin 1848. Fuyant un contexte politique de plus en plus compliqué pour les artistes et les journalistes aux aspirations nationalistes, il s’exile en Suède en 1856, où, outre une activité de chef d’orchestre, il fonde une autre école de musique.

En 1861, il fait la rencontre à Weimar de Franz Liszt, maître du poème symphonique, qui le marquera profondément. Il revient à Prague cette année-là après la chute du baron Alexander von Bach, provoquée par la défaite de l’Autriche contre le Royaume de Sardaigne et Napoléon III en 1859. Ce très autoritaire ministre de l’Intérieur de l’Empire austro-hongrois avait fait emprisonner nombre d’opposants politiques, dont le journaliste et homme politique nationaliste tchèque Karel Havliček Borovský. Smetana n’aura alors de cesse, encouragé par le soulèvement des peuples consécutif à cette défaite, et l’abolition par l’empereur François-Joseph en 1860 d’un décret imposant jusqu’alors dans tout l’empire l’absolutisme culturel des Habsbourg, de lutter pour la reconnaissance d’une identité musicale tchèque, ce dont les opéras qu’il compose à cette époque (La Fiancée vendue date de 1866) sont le reflet. Il est pour cela dans son pays considéré comme le père fondateur de la musique nationale tchèque moderne. En 1866, lorsqu’il prend la direction du Théâtre provisoire, l’hégémonie des opéras italiens s’effrite pour laisser la place à une programmation mêlant des créations italiennes, françaises et allemandes aux œuvres tchèques et slaves qu’il pouvait trouver. Il créé aussi une nouvelle école de musique, rattachée au théâtre, dans laquelle il dispense des cours de théorie musicale.

Smetana a tout juste 50 ans lorsqu’il commence la composition de Ma Patrie, à la fin de l’été 1874, à un moment dramatique de sa vie puisque son ouïe se dégrade alors subitement jusqu’à atteindre une surdité totale et définitive dans la nuit du 19 au 20 octobre. Obligé de se retirer de la vie musicale de son pays, il se lance alors à corps perdu dans la composition de cet hommage musical au peuple tchèque et de ses deux quatuors à cordes. Mais les dernières années verront le compositeur sombrer progressivement dans la folie jusqu’à sa mort dans l’asile d’aliénés de Keterinky en 1884.

Œuvre fondamentale de la musique nationale tchèque, Ma Patrie ouvre chaque 12 mai, jour de la mort de Smetana, depuis 1952, le festival international de musique du Printemps de Prague. Se présentant comme un cycle de poèmes symphoniques novateur, où la musique déploie des trésors de poésie et de subtilité orchestrale en étroite relation avec le programme, Ma Patrie puise son matériel thématique essentiellement dans le premier morceau, Vyšehrad, du nom de la résidence des premiers princes de Bohême, puisque plusieurs fragments thématiques reviendront dans les morceaux suivants.

Les six poèmes se découpent en trois paires, unis par des récurrences thématiques évidentes. Si le premier jette un regard sur le passé de la nation tchèque, le second projette l’auditeur sur les paysages tchèques actuels et sur son peuple. Mais les poèmes peuvent tout à fait être exécutés séparément, comme l’est souvent Vltava, ou La Moldau, selon le nom allemand de la rivière. Ils furent d’ailleurs créés au fur et à mesure de leur composition, avant la création complète du cycle en 1882.

«Vous qui êtes les guerriers de Dieu !»

Vyšehrad dépeint la gloire et la chute du siège mythique des premiers princes et rois de Bohême. C’est cette colline située sur la rive droite de la Vltava à l’extrémité méridionale de la ville de Prague, dans le cimetière du château datant du Xe siècle, que sont enterrés les héros nationaux tels que l’écrivain Jan Neruda, les compositeurs Bedřich Smetana et Antonín Dvořák. C’est aussi là que, selon la légende, la princesse Libuše aurait fondé au VIIIe siècle la ville de Prague. S’ouvrant par la harpe du barde médiéval Lumír, le morceau commence par décrire musicalement le château surplombant la colline, évoquant le passé tourmenté du peuple tchèque, et s’articule autour d’un thème unificateur, symbole de la nation tchèque, que l’on retrouvera dans Vltava et Blaník, le dernier morceau, donnant à l’œuvre son aspect cyclique. Le mouvement se termine par une évocation sereine de la Vltava coulant au pied de la colline.

La Vltava est une longue rivière traversant le centre de la Bohême du sud au nord, avant de se jeter dans l’Elbe. La place que lui accorde Smetana, en écho de Vyšehrad dont elle est en quelque sorte le développement, en dit long sur la valeur symbolique et nationaliste accordée à cette rivière. Métaphore de la naissance, du développement et du rayonnement futur de la nation tchèque, l’évocation de cette rivière mythique, de sa source dans la forêt de Bohême (massif de moyennes montagnes située à la croisée de la Bavière, de l’Autriche et de la République tchèque) à son éloignement majestueux et sa rencontre avec l’Elbe, devient le portrait de son peuple, dépeint fièrement dans la scène de chasse et les danses accompagnant celle du mariage.

Šárka relate l’histoire de cette amazone tchèque dont le récit apparaît dans des documents historiques datant du XVIe siècle. La tonalité tragique de la mineur s’impose pour peindre cette violente histoire d’amour et de vengeance où Šárka, trahie par son amant Ctirad, laisse éclater sa colère et simule un enlèvement en s’attachant elle-même à un arbre pour attirer Ctirad et ses hommes. Un lyrisme déchirant accompagne l’évocation de l’amour de Ctirad pour Šárka avant la scène du banquet et de l’endormissement des hommes et prélude, avant le signal donné par un appel de cor, au massacre de Ctirad et de ses compagnons par Šárka avec l’aide des amazones.

Par les prés et les bois de Bohême devait initialement apporter une conclusion apaisée au cycle après Šárka, mais l’enthousiasme soulevé par les amis de Smetana, et le succès public rencontré à chaque création successive des mouvements, l’ont poussé à en écrire deux autres trois ans plus tard. Cette pièce est un hymne à la beauté de la nature tchèque, à travers une peinture de ses oiseaux, de sa végétation, de sa lumière, et se conclut par une fête paysanne éloquente.

Tábor prend son titre d’une ville située à environ quatre-vingts kilomètres au sud de Prague. Elle est un des berceaux des guerres hussites, entre 1419 et 1434, qui opposaient le mouvement extrémiste hussite dirigé par Jan Žižka, réfugié à Tábor, aux armées impériales soutenues par l’Église catholique. Par ses victoires sur Rome et la domination allemande, Jan Žižka est considéré aujourd’hui comme un héros national. Mais lors de la cinquième et dernière croisade, une frange modérée des hussites s’allie avec les catholiques contre les taboristes, les plus extrémistes des hussites. Par la ruse, les taboristes finissent par tomber en 1434 après une série ininterrompue de victoires et cet épisode marque la fin du mouvement hussite. La Bohême passe alors sous domination autrichienne et l’allemand devient la langue officielle. Au temps de Smetana, dresser le portrait musical du mouvement hussite et de Tábor est un appel à l’indépendance. C’est un choral datant de ces guerres hussites, Ktož jsú boží bojovníci [Vous qui êtes les combattants de Dieu], redécouvert seulement au XIXe siècle et connu aujourd’hui de tous les Tchèques, qui sert d’unique matériau thématique au morceau.

Blaník tire son nom d’une colline située au sud-ouest de la Bohême. Selon la légende, elle est le lieu de repos éternel des chevaliers de l’armée du duc de Bohême Wenceslas Ier, qui veillent au destin du peuple tchèque et se réveilleront s’il devait être menacé. Ce morceau évolue dans une atmosphère solennelle ; après un passage de caractère bucolique en mineur, il décrit l’apparition d’une armée divine sur le mont Blaník, et son avancée vers la victoire dans une éclatante marche en majeur, métaphore de la renaissance future du peuple tchèque après une dernière croisade.

– Raphaël Charnay

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