◁ Retour au concert du mar. 7 juin 2022
programme détaillé
Ouverture de Scylla et Glaucus
Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, livret de d’Albaret
[5 min]
Suite d’orchestre d’Hippolyte et Aricie
Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin, d’après Phèdre de Racine
I. Ouverture
II. 1er et 2e Airs
III. Bruit de tonnerre
IV. 1er et 2e Airs des matelots
VI. 1er et 2e Rigaudons
VI. 1re et 2e Gavottes
[15 min]
Concerto pour violon en la mineur, op. 7 n°5
Extrait des Six Concerto [sic] a tre violini, alto et basso, per organo e violoncello
I. Vivace
II. Largo
III. Allegro assai
[15 min]
Suite d’orchestre des Indes galantes
Opéra-ballet en un prologue et quatre entrées, livret de Louis Fuzelier
I. Ouverture
II. Entrée des quatre nations
III. Air polonais
IV. Musette en rondeau
V. Air pour les esclaves africains
VI. Rigaudons
VII. Tambourins
VIII. Danse du grand calumet de la paix
IX. Chaconne
X. Contredanse
[20 min]
Concert sans entracte.
Distribution
Les Nouveaux Caractères
Sébastien d’Hérin direction
Armelle Cuny violon
Rameau
Malgré une carrière lyrique tardive (c’est seulement à l’âge de 50 ans que Rameau fit représenter son premier opéra, Hippolyte et Aricie), le compositeur devint vite célèbre sur la scène de l’Académie royale de musique (l’Opéra de Paris). La réception de sa première tragédie en musique fut pourtant un événement houleux : tout en s’inscrivant dans la tradition lyrique française, Rameau osait détrôner la suprématie de Lully et ses continuateurs par un surcroit d’invention musicale : richesse de l’écriture et de l’orchestration, audaces harmoniques, vitalité rythmique inégalée, splendeurs des chœurs et des ensembles, en bref : trop de notes ! Campra aurait déclaré, sans doute avec une pointe de jalousie : «Il y a dans cet opéra assez de musique pour en faire dix !» Des clans de partisans se formèrent au sein du public et de la critique : les «lullistes» contre les «ramistes», les premiers prenant le prétexte que Rameau était jusque-là exclusivement réputé pour être l’auteur d’un monument théorique, le Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, pour lui reprocher son excès de science au détriment du naturel, de la simplicité et du bon goût. Mais bien vite, une fois l’effet de surprise passé, le succès public s’avéra complet.
Deux ans plus tard, Rameau donna son second ouvrage lyrique, cette fois-ci dans le genre plus léger de l’opéra-ballet, en plusieurs actes autonomes précédés d’un prologue, réunis sous le thème général des amours exotiques : Les Indes galantes. Le public fut surpris par la nouveauté du spectacle (une éruption volcanique sur scène !), l’expressivité dramatique du ballet d’action et l’opulence de la musique, mais les nombreuses reprises, tant à la ville qu’à la cour jusqu’en 1773, attestent de son succès complet et durable.
Lorsqu’il s’est agi de publier (à compte d’auteur) la partition des Indes galantes, en 1736, Rameau réalisa une version «à géométrie variable», réduite sur deux ou trois portées, qui omettait les «scènes» en récitatifs (donc la partie proprement dramatique de l’action) pour se limiter aux «symphonies entremêlées des airs chantants, ariettes, récitatifs mesurés, duos, trios, quatuor et chœurs» (les «symphonies» désignant l’ensemble de la musique instrumentale : ouverture, passages descriptifs et danses). Le but était de permettre aux amateurs de jouer sa musique dans différentes configurations : avec ou sans voix, au clavecin seul ou en «concert» de musique de chambre. À l’époque de Rameau, vers 1755, d’autres versions de concert pour ensemble à cordes à cinq parties tirées de plusieurs opéras de Rameau avaient aussi été réalisées à l’usage du comte d’Artois. Il est donc tout à fait légitime de jouer sur scène la musique purement instrumentale de ses opéras en recréant des suites de concert qui réunissent des mouvements parmi les plus plaisants de la version originale (c’est l’option qu’ont choisie Sébastien d’Hérin et les Nouveaux Caractères, pour conserver à cette musique toute sa richesse initiale).
Dans Les Indes galantes comme dans Hippolyte et Aricie, l’ouverture suit encore d’assez près le modèle établi par Lully de l’ouverture à la française, avec son introduction majestueuse aux rythmes pointés caractéristiques du «style français», suivie d’un fugato foisonnant. L’ouverture était jouée avant et après le prologue, qui était lui aussi une survivance de l’époque de Lully, mais qui avait abandonné l’hommage au souverain pour devenir un grand divertissement vocal et chorégraphique aux personnages allégoriques ou mythologiques. Plus tard, à partir de 1749 (Zoroastre), Rameau supprimera le prologue de ses opéras en ne gardant qu’une ouverture, de forme plus diversifiée, «qui sert de prologue».
Dans l’opéra-ballet, l’équilibre entre les scènes dramatiques et les divertissements (chœurs, danses, airs et ensembles décoratifs, effets de mises en scène, sommeils, enchantements merveilleux…) est en faveur de ces derniers, puisque l’action de chaque acte ne semble qu’être un prétexte à leur déploiement. Mais même au sein de la tragédie lyrique, chacun des cinq actes se devait de présenter au moins un divertissement. Contrairement à l’opéra italien, l’opéra français ne pouvait se concevoir sans une abondance d’interventions chorégraphiques, la danse étant alors une passion française, prisée et pratiquée dans toute la société et faisant partie de la formation de tout gentilhomme. À l’époque de Rameau, la danse théâtrale est une affaire de professionnels dont les solistes virtuoses sont réputés à l’instar des chanteurs. Rameau a porté la musique de danse à un degré de raffinement et d’originalité sans égal, avec une énergie rythmique, un sens de l’espace et un goût pour les couleurs orchestrales qui transcendent les anciens modèles.
Création : Paris, Académie royale de musique, 23 août 1735.
Parmi les morceaux choisis pour former la présente suite des Indes galantes, certains proviennent du prologue : l’«Entrée des quatre nations», qui met en scène «une troupe de jeunesse française, espagnole, italienne et polonaise qui accourt et forme des danses gracieuses», l’«Air polonais» («fièrement et gravement», sans doute un hommage à l’épouse de Louis XV, la reine Marie Leszczynska), et la charmante et pastorale «Musette en rondeau».
L’«Air pour les esclaves africains» («lourdement») est tiré de la première entrée, Le Turc généreux, et introduit un exotisme plus lointain, d’une expression rude et accentuée, pleine de force et d’énergie. Les rigaudons et les tambourins terminent ce premier acte dans l’allégresse et une sorte de folie giratoire.
Le morceau le plus célèbre des Indes galantes est sans doute la «Danse du grand calumet de la paix» dans l’entrée Les Sauvages ajoutée en 1736. Elle reprend la musique d’une pièce de clavecin publié par Rameau dans ses Nouvelle Suites de 1728, elle-même inspirée par le spectacle auquel il avait assisté en 1725 à la Comédie-Italienne : deux véritables Indiens iroquois venus de Louisiane, exhibés sur scène dans leurs danses traditionnelles. Enfin, une brillante chaconne, vaste danse séquentielle à l’orchestration pleine de contrastes, conclut traditionnellement le spectacle.
Création : Paris, Académie royale de musique, 1er octobre 1733.
La suite d’Hippolyte et Aricie réunit, après l’ouverture, des extraits de l’acte I où se situe un divertissement en l’honneur de Diane, dansé et chanté par ses prêtresses virginales : un premier air de danse «tendre et doux», puis un second air «gay». Le «Bruit de tonnerre» est une cataclysmique symphonie descriptive répondant à l’imprécation de Phèdre jalouse qui en appelle à la vengeance des dieux. Les deux énergiques «Airs des matelots», se situent à l’acte III, lors du divertissement en l’honneur de Neptune, à l’occasion du retour de Thésée. Ils sont suivis par deux rigaudons qui prolongent l’inspiration populaire de la musique de ce passage. Quant aux deux gavottes («très gay»), elles se situent dans le divertissement final du dernier acte, lorsque tous les nuages qui obscurcissaient le destin amoureux d’Hippolyte et Aricie se sont enfin dissipés.
– Isabelle Rouard
Leclair
Création : Paris, Académie royale de musique, 4 octobre 1746.
Dans l’ombre de Rameau, Jean-Marie Leclair a fait une carrière tournée essentiellement vers la musique instrumentale. En effet, il n’a composé qu’un seul opéra, lui aussi à l’âge de 50 ans : la tragédie lyrique Scylla et Glaucus, qui fut joué avec succès à l’Académie royale de musique en 1746 durant dix-huit représentations. Ce musicien lyonnais était avant tout un danseur et un violoniste. Tout en ayant été formé comme artisan passementier, il se fait connaître dès adolescence comme violoniste et se produit comme danseur sur la scène de l’Opéra de Lyon. Il est engagé en 1722 à l’Opéra de Turin comme maitre de ballet et prend des leçons de violon auprès de Giovanni Battista Somis, qui lui transmet la tradition de Corelli et Vivaldi. De retour à Paris en 1728, il fait ses débuts au Concert spirituel et publie une série de recueils de sonates et duos pour violon. Veuf, il se remarie avec Louise Roussel, graveuse de musique de talent qui travaille à ses éditions. Sa renommée comme violoniste et compositeur le fait nommer en 1733 «premier symphoniste» de Louis XV. Sa brillante carrière en France mais aussi en Hollande et en Espagne, prend fin de manière obscure : il est assassiné dans une rue parisienne mal famée, sans que ce crime soit jamais élucidé.
Publication : 1737.
Dédicace : «à Monsieur Chéron, maître de chapelle».
Leclair est le plus célèbre compositeur de musique instrumentale en France au milieu du XVIIIe siècle, alliant une riche écriture contrapuntique, un discours harmonique solidement conduit et une virtuosité exigeante. Dans ses nombreux recueils de sonates pour un ou deux violons et de concertos, il accomplit parfaitement ce que François Couperin appelait la «réunion des goûts» : l’union harmonieuse des styles français et italiens. Il a publié deux recueils de six concertos pour violon solo (op. 7 et op. 10), dans la forme «moderne» en trois mouvements léguée par Vivaldi (on remarquera les titres et indications de tempi gravés en italien). Son op. 7 est dédié à André Chéron (1695-1766), son maître en contrepoint et harmonie, qui était aussi «batteur de mesure» à l’Académie royale de musique et assura la direction de l’orchestre lors de la création de Scylla et Glaucus. L’élégance et la sérénité règnent dans le Concerto op. 7 n° 5, dont le final, aux allures de danse populaire bien scandée, déploie des ressources virtuoses (bariolages, traits et arpèges véloces) qui ouvrent la voie à l’école classique française de violon.
– I. R.
Édition originale l’op. 7 de J.M. Leclair l’aîné, gravé par son épouse, en parties séparées.