Notes de programme

Concertos brandebourgeois

Ven. 14 oct. 2022

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Programme détaillé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Six Concerts avec plusieurs instruments (Concertos brandebourgeois)

Concerto n° 4, en sol majeur, BWV 1049
I. Allegro
II. Andante
III. Presto
[15 min]

Concerto n° 6, en si bémol majeur, BWV 1051
I. Allegro
II. Adagio ma non tanto
III. Allegro
[17 min]

Concerto n° 1, en fa majeur, BWV 1046
I. [Allegro]
II. Adagio
III. Allegro
IV. Menuet
[18 min]

--- Entracte ---

Concerto n° 5, en ré majeur, BWV 1050
I. Allegro
II. Affetuoso
III. Allegro
[16 min]

Concerto n° 3, en sol majeur, BWV 1048
I. [Allegro]
II. Adagio 
III. Allegro
[15 min]

Concerto n° 2, en fa majeur, BWV 1047
I. [Allegro]
II. Andante
III. Allegro assai
[12 min]

Distribution

Café Zimmermann
Céline Frisch clavecin et direction artistique
Pablo Valetti violon et direction artistique

Les Concertos brandebourgeois

Le recueil des six Concertos brandebourgeois ne fut longtemps qu’une partition manuscrite soigneusement calligraphiée, reléguée sur un rayon de bibliothèque au milieu d’une abondante collection d’œuvres musicales comportant quelque 170 concertos de divers auteurs. Son dédicataire, le margrave Christian Ludwig de Brandenbourg, grand amateur de musique, était le frère du premier roi de Prusse et l’oncle du «Roi-Sergent». Ce manuscrit copié de la main de Bach ne conserve aucune trace d’une quelconque exécution : sans doute la chapelle du margrave ne comportait-elle pas de musiciens en nombre suffisant et capables d’interpréter d’une manière satisfaisante des œuvres si complexes et virtuoses. Heureusement, cette musique a quand même résonné du vivant de Bach, car on en a conservé un grand nombre de copies d’époque, en partitions ou parties séparées, certaines autographes, et d’autres de la main de ses proches, mais aucune de ces sources n’est constituée en recueil. Selon son habitude, Bach lui-même a réutilisé certaines pages de ces concertos, notamment dans des cantates profanes ou sacrées de la période de Leipzig. Le recueil n’a été édité qu’en 1850 par Peters à Leipzig, à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur. 

Il semble que Bach a souhaité offrir au margrave un éventail aussi varié que possible de son art dans le domaine de la musique instrumentale concertante, qui était alors fort prisée dans les cours allemandes. Il a donc opéré un choix parmi ses nombreuses œuvres composées à la cour de Weimar (où il avait découvert les concertos de Vivaldi) puis à celle de Coethen, où il résidait alors, à la tête d’un orchestre de virtuoses.

Dans une préface au style cérémonieux rédigée en français, Bach se rappelle au souvenir du margrave rencontré deux années auparavant lors d’un voyage à Berlin, et mentionne la demande que celui-ci lui avait faite de lui envoyer quelques pièces de sa composition. Bach termine son épître ainsi : «Pour le reste, Monseigneur, je supplie très humblement Votre Altesse Royale d’avoir la bonté de continuer ses bonnes grâces envers moi, et d’être persuadée que je n’ai rien tant à cœur que de pouvoir être employé en des occasions plus dignes d’elle et de son service.» En effet, il ne fallait pas négliger l’opportunité de solliciter un éventuel poste prestigieux à Berlin, dans une ville où ses fils pourraient faire de bonnes études et trouver eux aussi des emplois dignes de leur talent (cette requête demeura sans suite). 

Le titre de Concertos brandebourgeois a été donné au recueil dans la seconde moitié du XIXe siècle par le musicologue Spitta, alors que Bach l’avait simplement intitulé Six Concerts avec plusieurs instruments. Dans ces œuvres, Bach se démarque du concerto à l’italienne pour un unique soliste et orchestre, qui tendait alors à s’imposer, pour adopter toutes sortes de configurations instrumentales, certaines insolites et inédites dans le choix des timbres. La diversité des formes, des styles et des techniques d’écriture est tout aussi remarquable : vivacité italienne, goût français, sévérité allemande, mouvements de danses, déploiement de virtuosité, rigoureuse polyphonie fuguée voisinent d’une œuvre l’autre, d’un mouvement au suivant, pour constituer un répertoire complet des possibilités de la musique instrumentale concertante de cour, du reste toujours brillante et prestigieuse. 

Quand on considère l’intégrale de ces concertos, surtout si on les joue dans l’ordre où ils ont été copiés (qui n’est pas l’ordre chronologique de composition), on s’aperçoit qu’ils forment deux groupes symétriques de trois œuvres. Le premier de chaque groupe évoque des sonorités de plein air : divertissement de chasse (cors, hautbois et basson dans le n° 1) ou idylle pastorale (les flûtes à bec du n° 4). Le second concerto de chaque groupe représente un point culminant de splendeur (la trompette royale du n° 2, la tonalité brillante de ré majeur du n° 5, d’une ampleur souveraine). Enfin, les derniers de chaque groupe nous introduisent dans l’intimité de la cour, où l’on apprécie le raffinement de la musique pour les cordes seules. 

Le musicologue Gilles Cantagrel y voit un hommage au noble dédicataire, dans ses attributs et prérogatives aristocratiques : la chasse, la gloire militaire, le goût distingué, la culture musicale férue des styles français et italiens à la mode… Bach s’inscrit lui-même dans le cadre de ce portrait, apparaissant en majesté comme virtuose du clavecin dans le Cinquième Concerto.

Concerto n° 1

Effectif : 2 cors, 3 hautbois, basson, violino piccolo, cordes et continuo.
Composition : v. 1713 (?), v. 1717.

Le Concerto n° 1, en fa majeur, BWV 1046 adopte un effectif inédit et foisonnant de cordes et vents, et instaure un style concertant opposant trois groupes instrumentaux : trois hautbois et basson, deux cors de chasse (cors naturels), les cordes. Le seul véritable timbre soliste est un violino piccolo, petit violon accordé une tierce au-dessus du violon standard, et dont la présence révèle une référence au style français (c’était l’instrument des maîtres à danser). Cette référence est confirmée par la forme inédite de l’œuvre, qui combine le concerto à l’italienne et la suite de danses à la française. Malgré tout, le premier hautbois se détache parfois du groupe des anches pour dialoguer mélodiquement avec le violino piccolo, notamment dans l’Adagio en mineur, très expressif, où les cors se taisent pour reprendre haleine et ménager leurs lèvres. 

Le troisième mouvement, au rythme entraînant de gigue, a une allure de finale, mais il est suivi par un menuet, danse de cour française par excellence, aux multiples épisodes : celui-ci alterne avec trois trios (dons le second est une polonaise) et prend donc l’allure d’un refrain de rondeau (forme française caractéristique). L’aspect concertant entre groupes instrumentaux s’efface au profit d’une écriture plus orchestrale, mais les trios font entendre des combinaisons sonores nouvelles en petits effectifs : trio d’anches (deux hautbois et basson), cordes seules (sans le violino piccolo), et enfin une amusante combinaison des deux cors dans l’aigu accompagnés d’une basse formée des trois hautbois à l’unisson. L’imagination de Bach est à son sommet !

Concerto n° 2

Effectif : trompette, flûte à bec, hautbois, violon, cordes et continuo.
Composition : v. 1717-1718 (?).

Le Concerto n° 2, en fa majeur, BWV 1047 rassemble quatre solistes aux timbres bien individualisés : petite trompette naturelle en fa, flûte à bec, hautbois et violon, qui se partagent également la vedette, accompagnés par un ripieno de cordes. Dans le premier mouvement, le motif de ritournelle qui rassemble tous les instruments est remarquable par son dynamisme joyeux, scandé par des rythmes dactyliques (croche, deux doubles-croches). Les solistes en émergent, individuellement ou par deux, et en dépit de leurs modes d’émission sonore différents, énoncent un même thème en guirlande sonore à la virtuosité déliée. Un véritable jeu s’instaure entre les protagonistes qui se relancent les uns les autres, dans des combinaisons sonores toujours renouvelées, en une savante marqueterie de motifs. 

L’Andante contraste par son caractère élégiaque et sa formation réduit : flûte, hautbois et violon solistes, sur l’accompagnement régulier de la basse continue. L’accentuation des mélodies évoque des plaintes et soupirs, d’une expression poignante. 

Le finale, emmené par les aigus héroïques de la petite trompette, tranche par sa joie et son énergie débordantes. Bach combine cette exubérance sonore à une savante écriture fuguée, la spontanéité apparente des idées musicales étant toujours sous-tendue par une construction rigoureuse. 

Concerto n° 3

Effectif : 3 violons, 3 altos, 3 violoncelles et continuo.
Composition : v. 1712-1713 (?).

Le Concerto n° 3, en sol majeur, BWV 1048 présente une autre manière d’envisager la musique concertante : il ne comporte pas d’instrument soliste mais oppose trois groupes de trois instruments à cordes (trois violons, trois altos et trois violoncelles) accompagnés d’une basse continue comprenant clavecin et violone (contrebasse). La texture sonore qui en résulte, très travaillée dans la masse, est d’une grande densité. En l’absence de contrastes de timbres, ce n’est que par l’écriture en oppositions de masses que se révèlent les imitations et les échos du principe concertant.

Cette œuvre a la particularité de ne comporter que deux mouvements rapides, entrecoupés par une sorte de transition adagio, simplement constituée de deux accords formant une demi-cadence qui invitent à une brève improvisation.

Le premier mouvement, d’une robuste vigueur, déroule dans une absolue continuité ses figures bien scandées, où règne le rythme d’anapeste (deux doubles-croches, croche). Le finale, dans un mouvement ininterrompu en mesure ternaire, fait tourbillonner des lignes ondulantes animées d’une inépuisable charge d’énergie chorégraphique.

Concerto n° 4

Effectif : violon, 2 flûtes à bec, cordes, continuo.
Composition : v. 1720.708-1710 (?).

Le Concerto n° 4, en sol majeur, BWV 1049 revient aux oppositions entre solistes et ripieno et aux contrastes de timbres entre les cordes et les vents. Il met en valeur un violon soliste d’une part et deux «flûtes d’écho» (selon l’indication de Bach), sans doute une sorte de flûte à bec champêtre appelée aussi «flageolet». Le violon se détache nettement, se livrant parfois à des traits virtuoses (vélocité, doubles cordes…), alors que les flûtes s’expriment constamment en duo, plus «sagement». 

Après un premier Allegro d’allure pastorale, l’Andante nous transporte dans un monde idyllique, une sorte de «scène aux champs Élysées» où les rythmes de deux croches liées, figure baroque codifiée, évoquent des eaux qui s’écoulent calmement, ou encore un sommeil paisible. Le trio de solistes se présente fréquemment en écho du ripieno, et se fond davantage dans l’ensemble. 

Le finale est une fugue, à la fois joyeuse et savante, où Bach donne libre cours à sa veine contrapuntique tout en ménageant des divertissements confiés aux solistes, brillants et volubiles. 

Concerto n° 5

Effectif : violon, flute traversière, clavecin, cordes (sans violons 2) et continuo.
Composition : 1719 (?).

Le Concerto n° 5, en ré majeur, BWV 1050 est sans doute le plus célèbre de cet ensemble de chefs-d’œuvre. Pour la première fois, le clavecin va quitter son rôle d’accompagnateur pour devenir également soliste. On peut imaginer, au clavier, Bach lui-même qui mène le jeu et se réserve d’étonner son auditoire par la puissance de sa pensée et son incroyable maitrise digitale. Au début, les trois solistes forment un concertino équilibré, comme dans un concerto grosso, mais bientôt le clavecin prend son envolée, jusqu’à faire entendre vers la fin du premier mouvement une extraordinaire cadence de soixante-cinq mesures, aux flamboyances dignes du stylus fantasticus le plus échevelé. Cela fait de cette œuvre singulière une préfiguration du concerto moderne pour clavier. Le mouvement lent, mélancolique et très expressif (affetuoso), est écrit simplement pour le trio de solistes, mais c’est en fait un riche contrepoint en quatuor, car le clavecin, dans une écriture «obligée», ne se borne pas à la simple basse continue. Un mouvement fugué sur un rythme de gigue termine l’œuvre sur une note alerte et joyeuse.

Concerto n° 6

Effectif : 2 altos, 2 violes de gambe, violoncelle, continuo.
Composition : 1708-1710 (?).

Le Concerto n° 6, en si bémol majeur, BWV 1051 est conçu pour les cordes seules, avec un effectif singulier au registre concentré dans le médium. En effet, celui-ci est dépourvu de violons et ce sont deux altos qui assurent la partie concertante principale. Deux violes de gambe (au registre médium très proche des altos) jouent essentiellement un rôle de «remplissage». Un violoncelle se détache parfois, comme un soliste secondaire (notamment dans le troisième mouvement) et la basse continue est réalisée par le violone (contrebasse) et le clavecin. Le mélange de timbres très voisins qui en résulte est plutôt insolite, et comme dans le Troisième Concerto, seule l’écriture polyphonique très travaillée met en valeur le jeu des différentes parties instrumentales. On a avancé que ce concerto avait été écrit à Coethen, permettant au prince d’Anhalt-Coethen de se joindre à ses musiciens en interprétant une des parties de viole de gambe, d’une difficulté modérée, alors que Bach tenait sans doute lui-même une partie d’alto. Mais selon une autre hypothèse, l’écriture de ce concerto apparaissant quelque peu archaïque, celui-ci aurait été le premier composé de toute la série, bien avant la période de Coethen, sans qu’on puisse dater son élaboration avec précision. 

Le premier mouvement frappe par ses longues harmonies scandées en notes répétées, sur lesquelles brodent les altos. Le second mouvement, dépourvu des violes de gambe, se présente comme un Adagio de sonate en trio, de caractère méditatif, alors que le finale retrouve l’ensemble de l’effectif, en un joyeux mouvement de gigue. 

– Isabelle Rouard

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