Notes de programme

L’ARPEGGIATA / ROLANDO VILLAZÓN

Ven. 24 mars 2023

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Programme détaillé

Les amours impossibles
Scène I (Prologue) : La Mort (Danse macabre)

Emilio de Cavalieri (1550-1602)
Sinfonia (instrumental)
Extrait de l’oratorio Rappresentatione di Anima e di Corpo (Rome, 1600)

Anonyme (attribué à Stefano Landi, 1587-1939)
Homo fugit velut umbra (Passacaglia della vita), danse macabre
Extrait du recueil Canzonette spirituali, e morali, publié par Carlo Francesco Rolla, Milan, 1657 

Tarquinio Merula (1595-1665)
Il tempo di una vita e fragile (la Morte)

Scène II : Fête de noces d’Orphée et d’Eurydice

Giulio Caccini (1551-1618) 
«Al canto, al ballo» (instrumental)
Extrait de l’opéra L’Euridice, acte I sc. 1 (Florence, 5 décembre 1602)

Claudio Monteverdi (1567-1643)
«Rosa del Ciel — Io non dirò» (Orfeo, Euridice)
Extrait de l’opéra L’Orfeo, favola in musica, acte I (Mantoue, 24 février 1607)
Livret d’Alessandro Striggio (v. 1573-1630)

Luigi Rossi (1597-1653)
«Mio ben» (Euridice)
Extrait de l’opéra L’Orfeo, acte II (Paris, Théâtre du Palais-Royal, 2 mars 1647)
Livret de Francesco Buti (1604-1682)

Claudio Monteverdi
«Vi ricorda, o bosch’ombrosi» (Orfeo)
Extrait de l’opéra L’Orfeo, acte II

Lorenzo Allegri (1567-1648)
«Canario» (instrumental)
Extrait du ballet Quinto Ballo detto lo Ninfe di Senna (Il Primo Libro delle Musiche, Venise 1618)

Scène III : La mort d’Eurydice

Claudio Monteverdi
«Ahi, caso acerbo – In un fiorito prato» (Messaggera, Orfeo, Pastori)
«Tu sei morta» (Orfeo)
«Ma io in questa lingua» (Messaggera)
Extraits de l’opéra L’Orfeo, acte II

Scène IV : Orphée aux Enfers

Claudio Monteverdi
«Possente spirto» (Orfeo)
Extrait de l’opéra L’Orfeo, acte III

Antonio Sartorio (v. 1630-1680)
«Orfeo, tu dormi ?» (Euridice)
Extrait de l’opéra Orfeo ed Euridice, acte III (Venise, 1672)
Livret d’Aurelio Aureli (avant 1652 – après 1708)

Claudio Monteverdi
«Qual honor di te fia degno» (Orfeo, Euridice, Spiriti) 
Extrait de l’opéra L’Orfeo, acte IV

Luigi Rossi (1597-1653)
«Fantaisie : Les Pleurs d’Orphée ayant perdu sa femme» (instrumental)
Extrait de l’opéra L’Orfeo, acte III

Scène V (Interlude) : La Mort (danse macabre)

Pietro Andrea Ziani (1616-1684)
Dormite, o pupille (la Morte) 
Manuscrit conservé à la bibliothèque du Conservatoire San Pietro a Majella, Naples

Scène VI : Combat de Tancrède et Clorinde

Claudio Monteverdi
Il combattimento di Tancredi e Clorinda 
Extrait du recueil Madrigali guerrieri e amorosi (Huitième Livre, Venise, 1638)
Première représentation pendant le carnaval de Venise de 1624 chez le sénateur Girolamo Mocenigo 
Poème extrait de La Gerusalemme liberata (1581) de Torquato Tasso (1544-1595)

Durée totale : 1h30 sans entracte.

Distribution

Christina Pluhar concept, programme, dramaturgie, arrangements, direction musicale

Chanteurs

Rolando Villazón (ténor) Orfeo, Testo
Marco Beasley (ténor) la Morte, Pastore, Spirito
Céline Scheen (soprano) Euridice, Clorinda
Benedetta Mazzucato (contralto) Messagiera
Renato Dolcini (baryton) Pastore, Spirito, Tancredi

Orchestre

L’Arpeggiata – Christina Pluhar

Doron David Sherwin cornet à bouquin
Kinga Ujszászi violon baroque
Catherine Aglibut violon baroque
Ania Nowak alto
Diana Vinagre violoncelle baroque
Josep Maria Marti Duran théorbe et guitare baroque
Carlotta Pupulin harpe baroque
Margit Übellacker psaltérion
Tobias Steinberger percussions
Leonardo Terrugi contrebasse
Yoko Nakamura orgue et clavecin

Orphée et Eurydice

La légende (favola) d’Orphée, transmise par Virgile et Ovide, est le thème privilégié des premiers créateurs de l’opéra, en Italie au tout début du XVIIe siècle. En effet, il fallait d’une certaine manière justifier que des personnages s’exprimassent en chantant sur une scène théâtrale. La figure d’Orphée, héros surpassant la condition humaine par son lyrisme, capable de prodiges comme aplanir les rochers, déplacer des arbres ou dompter des bêtes sauvages, est  le symbole de l’union de la poésie et de la musique tant recherchée par les humanistes de la Renaissance dont les travaux académiques ont abouti à la création de ce nouveau genre, l’opéra. 

Mais très vite, sortant des cénacles aristocratiques aux spéculations néo-platoniciennes, ce nouveau type de spectacle va conquérir un public plus large, dans les cours comme Florence ou Mantoue, à Rome (où il est concurrencé par son homologue religieux, l’oratorio, dont le premier exemple, en 1600, est la Représentation de l’Âme et du Corps de Cavalieri), puis dans les premiers théâtres publics vénitiens. 
Après les deux premiers Euridice de Peri, puis de Caccini, à Florence en 1600 et 1602, expérimentations encore timides de recitar cantando (parlé-chanté), Monteverdi est le troisième compositeur à s’emparer de la légende d’Orphée en 1607, et le premier à lui donner véritablement chair par une musique riche, variée, expressive et dramatique. C’est pourquoi on peut le considérer comme le véritable créateur de l’opéra.

Après L’Orfeo de Monteverdi, Orphée restera un thème privilégié de l’opéra baroque, car il met en scène des sentiments puissants et universels, en rapport avec la vie et la mort, capable d’émouvoir profondément le spectateur. Quelques extraits du Romain Luigi Rossi et du Vénitien Sartorio figurent à ce programme.

L’amour d’Orphée pour Eurydice est empreint de démesure, c’est pourquoi, lorsque le héros est tragiquement bouleversé par la mort soudaine d’Eurydice, qu’il vient tout juste d’épouser, il n’hésite pas à transgresser les limites humaines pour descendre aux Enfers et tenter de la ramener à la vie. Son désir sera exhaussé, mais la transgression majeure, qui est pour un vivant de traverser la frontière de la mort, doit être sanctionnée par une épreuve. Pluton ordonne à Orphée de ne pas regarder en arrière vers sa bien-aimée, au risque de la perdre définitivement. Bien plus que sa descente aux Enfers, c’est là l’épreuve la plus insurmontable pour cet amoureux excessif et passionné qui, pris d’un doute funeste, échoue à ramener Eurydice. Celle-ci restera définitivement aux Enfers, laissant Orphée inconsolable dans une solitude définitive.

Ainsi, ce programme élaboré autour des «amours impossibles» commence par un prologue évoquant la mort, placé là comme un avertissement : «Le temps d’une vie est fragile...». La Passacaglia della vita, attribuée à Stefano Landi, l’un des pionniers de l’opéra à Rome dans les années 1620, est une sorte de «vanité» en musique sur un mouvement giratoire obstiné de passacaille, où les paroles «bisogna morire» [«il faut mourir»] reviennent sans cesse. Cette danse macabre porte en exergue la citation «Homo fugit velut umbra» (Job, 14), c’est-à-dire «L’homme passe comme l’ombre». 

Changement d’atmosphère, avec la célébration des noces d’Orphée et Eurydice, au milieu des danses champêtres des nymphes et bergers. Leur premier duo est empreint d’une gravité presque sacrée : Orphée, fils spirituel d’Apollon, adresse une prière au soleil, la «rose du ciel» témoin de son bonheur (peut-être une allusion alchimiste, savoir occulte que Monteverdi cultivait alors), et Eurydice lui répond sur le même ton, avec une grande réserve. Monteverdi emploie ici le recitar cantando, souple déclamation soutenue sobrement par les instruments de la basse continue, qui donne au texte une parfaite lisibilité tout en exaltant ses intonations expressives. 

Pour prolonger cet instant de communion amoureuse, la voix d’Eurydice chante une aria sur une basse obstinée de chacone tirée de L’Orfeo de Luigi Rossi, compositeur romain plus tardif : en 1647, la dimension purement mélodique du chant a gagné du terrain sur le recitar cantando, prenant le pas sur la déclamation du texte et devenant le vecteur primordial de l’émotion. 

Au début de l’acte II de l’opéra de Monteverdi, juste avant l’intervention funeste de la Messagère, Orphée chante encore son bonheur dans une canzonetta aux strophes entrecoupées de ritournelles instrumentales sur des rythmes dansants mesurés à l’antique : la vraisemblance dramatique justifie parfaitement que le poète-musicien s’exprime par cette chanson emprunte de joie et d’insouciance. 

Mais le drame prend soudain le dessus : au milieu de cette idylle, la Messagère accourt et se répand en lamentations, faisant durer le suspense avant d’en expliquer la cause dans un sobre récit. Il n’est plus temps alors de se répandre en mélodies : c’est «la chair nue de l’émotion» (pour reprendre une expression due à Debussy) qui s’exprime dans sa déclamation en recitar cantando. On remarquera le choc expressif des tonalités entre les répliques d’Orphée alarmé, et celles de la Messagère.

Eurydice est morte et Orphée resterait en vie ? Cela ne se peut ! Alors que les bergers se répandent en lamentations, Orphée prend la résolution d’aller la rechercher au royaume des morts, et d’y rester si le destin lui est contraire. Il fait ses adieux à la terre, au ciel et au soleil. Dans un profond désespoir, la Messagère qui a brisé par ses paroles le bonheur d’Orphée, devenue odieuse à elle-même, s’en va fuir le soleil et la compagnie des hommes pour un antre sombre et solitaire ou, maudite, elle finira ses jours.

Pour passer aux Enfers, Orphée doit d’abord circonvenir Charon, le nocher du Styx. C’est le moment pour Orphée de déployer toute sa virtuosité vocale dans le grand air «Possente spirto», dont les stances sont ponctuées par des interventions instrumentales concertantes. C’est un bel exemple de l’art des diminutions vocales ou instrumentales (broderies sur les notes constitutives du chant) en usage à la fin de la Renaissance.

L’Orfeo de Sartori (1672) est beaucoup moins connu, et son action surchargée d’épisodes annexes et de personnages secondaires, selon l’esthétique de l’opéra vénitien baroque, est bien loin de la noble simplicité du livret de Striggio sur lequel Monteverdi a composé son opéra. Dans une scène typique de sommeil d’opéra baroque, l’ombre d’Eurydice apparait à Orphée en rêve et, dans un chant aux volutes envoutantes, lui reproche de dormir ou de chanter, au lieu de venir la chercher aux Enfers où elle l’attend. Ce lamento sur une basse chromatique descendante (par demi-tons) entrecoupée de soupirs constitue un sommet de l’expressivité baroque.

Dans l’acte IV de L’Orfeo de Monteverdi, le héros obtient de remonter des Enfers suivi de son épouse. Il entame donc un chant joyeux au rythme de marche, accompagné de tous les instruments, à la gloire de sa lyre qui a lui permis de vaincre les esprits infernaux. Mais soudain, son chant régulier s’interrompt : le doute l’assaille et, dans une déclamation récitative passionnée, il exprime le cruel dilemme auquel il est soumis. Ayant choisi par amour de désobéir à l’ordre divin, il se retourne pour voir disparaître immédiatement sa bien-aimée, qui n’a que le temps d’exprimer en un souffle toute la perte qu’elle subit : la lumière, la vie et son amour. C’est à la musique instrumentale de Luigi Rossi que revient d’exprimer la déploration qui clôt cette scène, en un lamento chromatique chargé de dissonances expressives. 

En guise d’épilogue, la canzonetta Dormite pupille de Pietro Andrea Ziani évoque le sommeil des yeux, des pensées et de l’âme, sous la forme d’une berceuse funèbre.

Tancrède et Clorinde

Autres amours impossibles, celles du chevalier chrétien Tancrède et de la combattante musulmane Clorinde dont il est épris. Ces personnages prennent vie dans le poème épique La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso, sur un fond historique situé lors de la première croisade. Monteverdi a tiré de cet épisode une sorte de cantate dramatique, ni opéra ni madrigal (bien qu’il l’ait plus tard intégré dans son Huitième Livre de madrigaux, intitulé Madrigaux guerriers et amoureux). Le texte du poème est rigoureusement respecté, et comme c’est un récit, il faut un testo (récitant) qui assure la narration. Monteverdi théâtralise les répliques des protagonistes en les confiant à deux personnages en armure, et en précisant quelques éléments de mise en scène. Il en résulte un ouvrage inclassable de théâtre musical de chambre, où l’expressivité s’enrichit de nouveaux affects. Monteverdi expérimente ce qu’il appelle le stile concitato (style agité) pour dépeindre les passions extrêmes comme la haine et la colère, à l’aide de notes répétées rapides qui donnent au débit vocal une frénésie exaltée. 

De nuit, le chevalier Tancrède provoque au combat une silhouette en armure dont le heaume ne permet pas qu’il la reconnaisse. Le combat héroïque, à armes égales (le chevalier descend de sa monture) dure toute la nuit, jusqu’au corps à corps, et les combattants sont couverts de leurs sangs mêlés. Lors d’une pause, Tancrède demande à son adversaire de lui révéler son identité, pour qu’il sache à qui il devra la victoire ou la mort. Mais celui-ci refuse et le combat reprend de plus belle. L’aube va poindre lorsque Tancrède parvient à transpercer la poitrine de son adversaire. Un esprit de foi, de charité et d’espoir envahit alors celui-ci : «Ami, tu as vaincu... je te pardonne... pardonne, toi aussi […] et donne-moi le baptême qui lavera tous mes péchés.» Tancrède va chercher un peu d’eau au ruisseau et, soulevant la visière, reconnait avec stupeur Clorinde, qui meurt transfigurée au moment où Tancrède lui donne la vie du Ciel.

Cette action sublime est rendue encore plus prenante par la mise en musique, notamment le rôle descriptif que donne Monteverdi aux instruments, rendant présent le galop du cheval, l’entrechoquement des épées, l’excitation du combat porté par des fanfares. Malgré l’économie de moyens dramatiques, le Combattimento est pleinement, selon le projet quasiment expérimental du compositeur, une représentation en musique («in genere rappresentativo»). 

– Isabelle Rouard

Notre partenaire

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