Symphonie n° 2 de Sibelius
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Programme détaillé
Printemps, suite symphonique
I. Très modéré
II. Modéré
[15 min]
Yericho, concerto pour trombone et orchestre
Commande de l’Orchestre national de Lyon et de l’Orchestre symphonique de Toronto – Création mondiale
I. Inesorabile
II. Lo stesso tempo
III. A tempo
[25 min]
--- Entracte ---
Symphonie n° 2, en ré majeur, op. 43
I. Allegretto
II. Tempo andante ma rubato
III. Vivacissimo – Attaca :
IV. Finale : Allegro moderato
[43 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
Gemma New direction
Jörgen van Rijen trombone
Debussy, Printemps
Composition : achevée vers février 1887 à la villa Médicis, à Rome. Première version (perdue) pour chœur vocalisant, piano à quatre mains et orchestre. Seconde version élaborée en 1908 d’après la réduction pour piano à quatre mains de la première, puis orchestrée par Henri Büsser.
Création : Paris, Société nationale de musique, 18 avril 1913, sous la direction de Rhené-Baton.
«On dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps !», s’exclame Pelléas lors de ses ultimes retrouvailles avec Mélisande dans l’unique opéra achevé par Debussy. Dans l’attente du terrible dénouement, sachant bien que tout amour véritable est impossible sur cette île lugubre où souffrance et mort triompheront inévitablement, le spectateur est d’autant plus saisi par cette allusion printanière qu’elle surgit dans la scène la plus lumineuse et la plus sombre à la fois de tout l’ouvrage. Mais reviendrait-il en arrière que ce même spectateur constaterait déjà la présence chez Debussy, deux décennies plus tôt, d’une autre évocation où la saison prétendument la plus heureuse prenait une signification troublante et tout aussi humaine. Dans Printemps, le compositeur entrevoyait «la genèse lente et souffreteuse des êtres et des choses dans la nature, puis l’épanouissement ascendant, et se terminant par une éclatante joie de renaître à une vie nouvelle en quelque sorte».
Mai 1884, examen d’admission au concours du prix de Rome : au programme, des vers horatiens mais un peu fades de Jules Barbier : «L’aimable printemps ramène / Dans la plaine / Zéphyre avec les oiseaux.» Classé quatrième, Debussy peut se présenter à l’épreuve finale. Quelques mois plus tard, premier lauréat, il est appelé comme tous ses prédécesseurs à séjourner à la villa Médicis. De Rome, il est tenu d’envoyer régulièrement le fruit de son travail afin de le soumettre aux académiciens qui l’ont récompensé.
Aucun de ses deux envois de Rome n’obtient toutefois un avis favorable. Le second – Printemps – n’est même pas adressé sous sa forme orchestrale : le manuscrit aurait brûlé chez le relieur. De cette œuvre censée faire intervenir aussi un chœur sans paroles, ne subsiste qu’une réduction pour piano à quatre mains. C’est de cette réduction que Debussy fera renaître, en 1908, la version orchestrée ensuite par Büsser que nous écoutons aujourd’hui.
Les juges de l’académie des Beaux-Arts mettent aussitôt Debussy en garde «contre cet impressionnisme vague, qui est un des dangereux ennemis de la vérité dans les œuvres d’art». Bien qu’elle puisse paraître malheureuse avec le recul, cette comparaison avec l’impressionnisme pictural s’appuie au moins sur un constat justifié : le «sentiment de la couleur musicale» l’emporte sur «la précision du dessin et de la forme». Non que l’œuvre soit sans forme, mais la parcellisation des motifs, les relais instrumentaux et l’estompage des contours participent à une sorte de flou. Cette musique, Debussy l’a rêvée «dans une couleur spéciale et devant donner le plus de sensations possibles». Nul programme, ici, mais le souvenir d’un célèbre tableau de la galerie des Offices de Florence, le Printemps de Botticelli. Un chef-d’œuvre dont chaque ligne, chaque couleur, chaque geste de danse, chaque regard, chaque jeu de séduction est synonyme de grâce. Une peinture vieille de quatre siècles mais qui a néanmoins révélé à Debussy la palette harmonique et la liberté de ton qui lui étaient nécessaires pour s’extraire du carcan poussiéreux de la villa Médicis.
– François-Gildas Tual
Moussa, Yericho
Composition : 2023.
Commande : Orchestre national de Lyon et Orchestre symphonique de Toronto.
Création mondiale.
Samy Moussa, compositeur et chef d’orchestre canadien, est né à Montréal en 1984. Installé en Allemagne depuis plus de dix ans, il entretient des liens étroits avec ses racines nord-américaines, notamment avec l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Orchestre symphonique de Québec et l’Orchestre symphonique de Toronto, où il est actuellement artiste en résidence.
Comme compositeur, il a reçu des commandes et a été joué par l’Orchestre symphonique de Dallas, l’Orchestre philharmonique de Bruxelles, l’Orchestre symphonique allemand de Berlin, l’Orchestre symphonique de Toronto, l’Orchestre symphonique de Montréal et l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Il compten parmi les artistes qui défendent ses œuvres, des chefs d’orchestre comme Stéphane Denève, Christoph Eschenbach, Hannu Lintu et Kent Nagano.
En Europe, il a dirigé des orchestres tels que l’Orchestre de l’État de Bavière, l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne, l’Orchestre symphonique du MDR (Leipzig), la Staatskapelle de Halle et l’Orchestre de chambre de Zurich, dans un répertoire allant de la période classique au XXIe siècle. En 2010, il a été nommé directeur musical de l’ensemble Index à Munich.
Il dirige actuellement ou prochainement les Orchestres symphoniques de Toronto et de Vancouver, l’Orchestre Haydn de Bolzano et Les Violons du Roy, est invité par l’Opéra de Calgary, tandis que son agenda de composition comprend des œuvres pour l’Orchestre philharmonique de Vienne et pour l’Opéra et le Ballet nationaux des Pays-Bas.
Il a reçu la bourse Villa Massimo de l’Académie allemande de Rome (2018-2019), le prix Hindemith du Festival de musique du Schleswig-Holstein (2017), le prix du compositeur de la Fondation Ernst-von-Siemens pour la musique (2013). Il est lauréat de la Fondation Banque populaire (2020).
Sibelius, Symphonie n° 2
Composition : 1901-1902.
Création : Helsinki, 2 mars 1902, sous la direction de Robert Kajanus.
Appartenant à la minorité suédoise de Finlande, Sibelius n’en devint pas moins le porte-flambeau, dans ses premières œuvres, d’une nation finnoise en pleine lutte contre la domination de la Russie tsariste. Mais l’exploitation nationaliste de la Deuxième Symphonie se fit à l’insu de son auteur. Dès la création, le monumental finale fut considéré comme un hymne à la grandeur de la Finlande, et le mouvement lent comme le chant des Finnois opprimés. «L’Andante semble être la plus accablante protestation contre toute injustice qui, à notre époque, menace de ravir au soleil sa lumière et à nos fleurs, leur parfum», précisa Robert Kajanus, le chef d’orchestre qui avait dirigé l’événement.
Il faut plutôt reconnaître dans cette partition la fascination de Sibelius pour la nature qui l’entoure. Mystérieuse comme l’insondable forêt boréale, sa musique puise son énergie colossale dans les forces vitales les plus primitives, dans la rudesse d’un paysage minéral offert à la merci d’éléments indomptés. La lente succession des jours blafards et des nuits profondes fait naître une tension à nulle autre pareille, qui marque notamment les plages hypnotiques dont le finale de la Deuxième Symphonie offre un exemple saisissant.
«Une pâte sonore en perpétuelle mutation»
La partition naquit en 1901-1902. À 36 ans, Sibelius était depuis une dizaine d’années adulé dans son pays, mais il avait encore à prouver son talent hors des frontières nationales. Stylistiquement, il avait trouvé un ton propre, même si la Deuxième Symphonie appartient encore, par ses grands gestes, à la tradition postromantique. Le découpage en quatre mouvements de la symphonie romantique reste perceptible, mais le troisième mouvement (qui fait office de scherzo) est conçu comme une longue préparation au finale, flamboyante apothéose de la partition entière. Peu de véritables thèmes se déploient. Les motifs se font plus brefs que dans les œuvres antérieures, et les processus de métamorphose thématique esquissés dans les mouvements extrêmes de la Première Symphonie (1898-1899) prennent ici une dimension supplémentaire. L’Allegretto initial présente ainsi une pléiade de courts motifs soumis à d’incessantes transformations, jusqu’à leur fusion dans un creuset contrapuntique intense.
Timbres, hauteurs de sons et durées se fondent en un processus global, une pâte sonore en perpétuelle mutation. Démultipliant les possibilités de l’orchestre, Sibelius passe de solos suaves à des tutti féroces, de rythmes sauvages à des plages extatiques. Mais ces éléments juxtaposés ne sont que les reflets distordus et parcellaires d’un même matériau, les irisations d’un même magma qui, selon la pente et les obstacles qu’il rencontre, ralentit sa course ou l’accélère, s’étale en langues épaisses ou éclate en mille parcelles incandescentes. La polyphonie ressemble à ces coulées de lave se frayant des chemins séparés sur les flancs d’un volcan, avant de converger à son pied. Déjà présent dans le mouvement lent de la Première Symphonie, ce procédé est porté à un degré supérieur dans la Deuxième, surtout dans le finale, où il est souligné par la superposition de mètres différents.
Sibelius ne renonce pas à la tonalité. Il la renforce même en usant de longues pédales harmoniques et en glorifiant l’accord parfait. Mais il appréhende le temps et la matière sonore d’une manière complètement neuve, et c’est en cela qu’il ouvre tant de perspectives. Les œuvres orchestrales postérieures à la Deuxième Symphonie radicaliseront peu à peu ces éléments ; puis, arrivé au point de non-retour après la Septième Symphonie (1924), la musique de scène pour La Tempête (1925) et le poème symphonique Tapiola (1926), ultimes rejetons des trois genres dans lesquels il excella, Sibelius se murera dans un mutisme musical quasi absolu qui obscurcira les trente et une dernières années de sa vie.
- Claire Delamarche