Notes de programme

ANIMA ETERNA

Lun. 28 oct. 2024

Retour au concert du lun. 28 oct. 2024

Programme détaillé

Gustav Mahler
Rückert-Lieder

I. Ich atmet’ einen linden Duft [Je sentais un doux parfum]
II. Blicke mir nicht in die Lieder ! [Ne me regarde pas dans mes chants]
III. Ich bin der Welt abhanden gekommen’ [Je suis perdu au monde]
IV. Um Mitternacht [À minuit]
V. Liebst du um Schönheit [Aimes-tu pour la beauté]

[22 min]

--- Entracte ---

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 3, en ré mineur, «Wagner-Sinfonie»

Version originale de 1873

I. Gemäßigt [modéré], misterioso
II. Adagio : Feierlich [Solennel]
III. Scherzo : Ziemlich schnell [Assez rapide] – Trio : Gleiches Zeitmaß [Même tempo] – Scherzo da capo
IV. Finale : Allegro

[65 min]

Distribution

Anima Eterna Brugge
Pablo Heras-Casado 
direction
Dame Sarah Connolly mezzo-soprano

Anima Eterna vendra ses disques avant et après le concert, ainsi qu’à l’entracte. Pablo Heras-Casado les dédicacera à l’issue du concert.

Introduction

Naturellement porté au doute, Bruckner trouva sur sa route de compositeur une quantité d’obstacles et subit continuellement les pressions de conseillers plus ou moins bien intentionnés, si bien qu’il soumit ses symphonies à plusieurs vagues de coupures et de remaniements. À la tête d’Anima Eterna, Pablo Heras-Casado reprend l’un après l’autre ces monuments, avec la volonté de «démonter ces cathédrales pierre par pierre pour ensuite les reconstruire comme neuves». Surnommée «Symphonie Wagner» car dédiée au compositeur de Tristan et de Lohengrin, la Troisième Symphonie est l’une des symphonies qui repassa le plus souvent sur le métier. Nous en redécouvrons ici la version originale de 1873, telle qu’elle fut répétée par l’Orchestre philharmonique de Vienne, qui refusa de l’exécuter. Ils n’acceptèrent d’assurer la création que trois ans plus tard, après une révision drastique – dont firent les frais les citations des opéras de Wagner qui parsèment la version originale. Composés en 1901-1902 sur des poèmes de Friedrich Rückert, les Rückert-Lieder de Mahler furent créés eux aussi par l’Orchestre philharmonique de Vienne. Le compositeur les offrit à son épouse Alma, qui s’en montra particulièrement émue.

(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)

Mahler, Rückert-Lieder

Composition : 1901-1902.
Création : Vienne, 29 janvier 1905, par les barytons Friedrich Weidermann et Anton Moser, des membres de l’Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction du compositeur (excepté Liebst du um Schönheit).

«Après Des Knaben Wunderhorn, je ne pouvais poursuivre qu’avec Rückert. C’est de la poésie lyrique de première main ; tout le reste est de seconde main.»
(Gustav Mahler)

Presque tous les lieder écrits par Mahler entre 1887 et 1901 mettent en musique des poèmes du recueil Des Knaben Wunderhorn [Le Cor merveilleux de l’enfant], textes populaires recueillis puis publiés par Achim von Arnim et Clemens Brentano. Le compositeur se tourne ensuite vers Friedrich Rückert (1788-1866) pour cinq lieder communément appelés Rückert-Lieder et son cycle des Kindertotenlieder (deux partitions amorcées au même moment). L’intériorité de Rückert l’amène à renouveler ses moyens d’expression. Les rythmes de marche et de danses fréquents dans Des Knaben Wunderhorn sont abandonnés au profit de textures de musique de chambre, la voix chante des figures identiques à celles des instruments. 

Depuis l’année 1900, Mahler a pris l’habitude de s’installer à Maiernigg pendant ses congés estivaux. C’est dans cette localité au bord du Wörthersee, en Carinthie, qu’il s’adonne à la composition, temporairement libéré de sa charge de chef d’orchestre à l’Opéra de Vienne. Il s’est fait construire un petit studio de travail, à l’écart de la maison, où il peut composer en toute tranquillité. 

Susceptibles d’être chantés par des femmes comme par des hommes, les Rückert-Lieder constituent un recueil plutôt qu’un cycle, l’ordre des pièces variant au gré des interprètes. En outre, Liebst du um Schönheit a été orchestré, non par son auteur, mais par Max Puttmann en 1910. Mahler avait destiné ce lied strophique à Alma, sa jeune épouse depuis le printemps 1902. L’aveu d’amour au chromatisme wagnérien cite d’ailleurs le célèbre «leitmotiv du désir» de Tristan et Isolde de Wagner. 

L’expression du sentiment amoureux reste plus distanciée dans Ich atmet’ einen linden Duft. Transparente et lumineuse, la musique déroule une souple figure de croches, colorée des touches délicates des vents, de la harpe ou du célesta. Cette délicatesse est à l’image du poème et de la douceur de ses sonorités – consonnes liquides et nasales de lind [doux], Linde [tilleul], lieblich [aimable], gelinde [doux], Liebe [amour]. Mahler avouait que ce lied pudique reflétait «le sentiment que l’on éprouve en présence d’un être aimé dont on est entièrement sûr, sans que, dans l’échange entre deux âmes, la moindre parole soit nécessaire».

Le goût pour le secret, voire l’ellipse, affleure également dans Blicke mir nicht in die Lieder, où Rückert joue sur l’homophonie de Lider [paupières] et Lieder [chants]. L’évocation des abeilles zélées inspire une musique vive et fuyante, aussi insaisissable que les insectes industrieux. 

La méditation nocturne d’Um Mitternacht, en revanche, met au jour le doute et l’angoisse du poète solitaire. Deux motifs obsessionnels (une cellule de trois notes sur un rythme pointé, et une gamme descendante, dépressive et accablée) transposent la répétition des mots «Um Mitternacht» [À minuit], qui l’enferment dans un mode clos et étouffant. La couleur sombre de l’orchestration (sans instruments à cordes) renforce l’impression de désolation et d’oppression. Mais lors de la deuxième strophe, l’apparition du mode majeur diffuse une lueur d’espoir. À la fin du lied, l’affirmation de la foi dissipe enfin le trouble. L’apothéose finale s’accompagne d’appels de cuivres triomphants et de ruissellements de harpe. Mais cet apogée solennel et solaire signale également l’acceptation de la mort : «Seigneur, sur la mort et sur la vie, tu montes la garde.» 

Ich bin der Welt abhanden gekommen [Je suis perdu pour le monde] : Mahler aspire ici à la dissolution dans «l’âme du monde» (Weltseele). Dans l’illusion d’un temps suspendu, le monologue intérieur s’amorce de façon hésitante. Si l’effusion s’épanche peu à peu, l’intimité du ton n’est jamais troublée par quelque éclat. Les instruments (notamment le cor anglais, alter ego de la voix) prolongent sa confidence à la fois sereine et mélancolique. L’au-delà représente l’asile ultime pour l’artiste qui en appelle à la fusion spirituelle de l’amour et de la musique, invoquant l’union du ciel («meinem Himmel»), de l’amour («meinem Lieben») et du chant («meinem Lied»).

– Hélène Cao


Le lied avec orchestre

En 1855, Liszt orchestre l’accompagnement pianistique de ses Lieder aus Schillers «Wilhelm Tell» : il s’agirait de la première incursion du lied dans le genre symphonique. Dans la perspective d’exécutions dans de grandes salles de concert, Hugo Wolf, Alexander Zemlinsky et Richard Strauss orchestrent eux aussi leurs parties de piano, qui se parent de nouvelles nuances et d’une matière plus ample. 

À partir des années 1890, certains lieder sont d’emblée conçus avec orchestre (Herr Oluf de Hans Pfitzner, Kindertotenlieder de Mahler, Altenberg-Lieder d’Alban Berg, Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss), ce qui conduit à modifier la conception de la ligne vocale : celle-ci demande souvent la projection et la longueur de souffle d’un air d’opéra, tout en préservant le climat introspectif propre à l’univers du lied. 

– H. C.

Bruckner, Symphonie n° 3

Composition : 1873, révisée en 1874, puis lors de plusieurs phases entre 1876 et 1878, et enfin en 1889.
Création : Vienne, 16 décembre 1877, par l’Orchestre philharmonique de Vienne, sous la direction d’Anton Bruckner, dans une version révisée proche de celle éditée par Fritz Oeser.
Création de la version originale de 1873 : 1978, Festival des Arts d’Adélaïde (Australie), sous la direction de Hans-Hubert Schönzeler.
Création de la version de 1889 : Vienne, 21 décembre 1890, par l’Orchestre philharmonique de Vienne, sous la direction de Hans Richter.
Dédicace : à Richard Wagner.
Versions et éditions : version originale de 1873 publiée par Leopold Nowak en 1977. Version de 1874 préparée par William Carragan mais non publiée. Adagio de la version de 1876 publiée par Nowak en 1980 et les autres mouvements par Carragan en 2019. Version de 1877-1878 publiée par Fritz Oeser en 1950 puis par Nowak en 1981 (ajout de la coda du scherzo). Version de 1889 publiée par Nowak en 1959.

Le début des années 1870 est, d’un point de vue professionnel, plutôt heureux pour Bruckner : il occupe depuis juin 1868 un poste convoité de professeur d’orgue, de contrepoint et d’harmonie au Conservatoire de Vienne, remplaçant son cher professeur Simon Sechter, tout juste décédé. Organiste reconnu, il est en train d’éblouir l’Europe pas ses talents d’improvisateur ; il inaugure en 1869 l’orgue Merklin de la basilique Saint-Epvre de Nancy, puis joue à Notre-Dame de Paris, avant de se produire en 1871 au Royal Albert Hall de Londres. Mais c’est à présent en tant que symphoniste que Bruckner, déjà quadragénaire, souhaite s’imposer au monde et aux oreilles très conservatrices des Viennois. Une idée qui l’obsède depuis que son professeur d’orchestration Otto Kitzler, violoncelliste et chef d’orchestre, lui a fait découvrir en 1862 ce qu’on appelle alors la musique de l’avenir, en particulier la partition de Tannhäuser de Wagner, ainsi qu’une représentation exceptionnelles de cet opéra à Linz en 1863. Les trois messes avec orchestre composées entre 1864 et 1867 seront le terreau des symphonies à venir. La révélation viendra de ses auditions de Tristan et Isolde à Munich en 1865 sur l’invitation de Wagner (dont il repart avec… une photo dédicacée !), et de la Neuvième Symphonie de Beethoven en mars 1866 à Vienne. Son esprit enfin libéré des freins qu’il s’est lui-même longtemps infligés, les symphonies s’enchaînent : la Première Symphonie, achevée en 1866, et la suivante, la n° 0, dite «Nullte», en 1869, sont d’un romantisme ardent et passionné. L’ample et lyrique Deuxième Symphonie, composée en 1872, annonce les cathédrales sonores à venir et débute par un trémolo des cordes qui deviendra la marque des dernières symphonies.

«Symphonie en mineur, dédiée au si bien né Monsieur, Monsieur Richard Wagner, maître de la poésie et de la composition, sublime, illustre, inégalé.»

Entamée dès la fin de l’année 1872 et achevée le 31 décembre 1873, la Troisième Symphonie, en mineur, témoigne, par sa durée et la profondeur de ses sentiments, des très hautes ambitions de son auteur. Elle est d’ailleurs la composition la plus imposante de Bruckner, dépassant en nombre de mesures l’immense version originale de la Huitième. Bien loin de l’atmosphère alpestre et pastorale de la Deuxième, elle se pare d’un caractère héroïque et grandiose souligné par l’ampleur nouvelle des crescendos, un pupitre de cuivres qui semble entrer dans une nouvelle dimension, et son rapport bien particulier au temps musical et au silence. Ses proportions hors norme et plus simplement le contexte musical de l’époque font qu’elle a été pendant longtemps totalement incomprise de ses contemporains et en particulier de l’Orchestre philharmonique de Vienne, qui refusa à plusieurs reprises de la créer. Sa référence explicite à Wagner joua en effet contre Bruckner dans une Vienne enfermée dans une vision très conservatrice de la musique, entretenue par une puissante critique locale, avec en tête Eduard Hanslick, très réfractaire au «modernisme» de Wagner, auquel il préférera Brahms. 

Dans l’espoir d’être joué, Bruckner procéda à plusieurs révisions, jusqu’à cette indigne version de 1889 réalisée sous l’influence de ses amis les frères Schalk* : taillée à la serpe, en particulier dans le finale, elle défigurait les intentions formelles de Bruckner et le sens de cette symphonie ; mais sa publication par Leopold Nowak dès 1959, au début de l’âge d’or de l’enregistrement phonographique, l’imposa au monde entier. La symphonie sera finalement créée le 16 décembre 1877 avec Bruckner lui-même à la baguette, remplaçant au pied levé Johann von Herbeck, qui avait défendu contre l’orchestre le projet de créer la symphonie mais été décédé peu de temps avant l’événement. Face à un Philharmonique de Vienne frondeur, un Bruckner sans grande expérience de la direction d’orchestre tenta de défendre une version maladroitement révisée pour la création à l’issue d’un concert interminable, devant une salle qui se vida progressivement de son public. À la fin, au cœur d’un parterre composé seulement d’élèves du conservatoire, figurait un certain Gustav Mahler, fasciné par la modernité de l’œuvre, qui réalisa aussitôt une transcription pour piano à quatre mains de la symphonie.

Wagner accepta que la symphonie porte son nom. Bruckner en obtint l’autorisation au cours d’une visite à l’improviste pour le moins rocambolesque chez le maître de Bayreuth, en septembre 1873**. C’est à la suite de cette visite que Bruckner ajouta des citations ou réminiscences de différents opéras de Wagner, qui parsèment ainsi subtilement la partition. On y trouve notamment le «Sommeil de Brünnhilde», emprunté à La Walkyrie dans les deux premiers mouvements, Tannhäuser et Tristan et Isolde dans l’Adagio et Rienzi dans le finale, juste avant la réexposition qui précède la coda. Toutes ces citations ont été coupées lors des révisions effectuées entre 1876 et 1878.

Une nouvelle dimension spatio-temporelle, un ballet des planètes

Suivant le modèle de la symphonie classique, les deux mouvements adoptant une forme sonate (premier et dernier) sont structurés selon le plan usuel de cette forme : exposition, développement, réexposition et coda. En revanche, Bruckner se démarque du schéma beethovénien par ses formes sonates à trois thèmes (ou groupes thématiques) au lieu de deux, le second, que Bruckner appelait la Gesangperiode [la «section de chant»], très chantant et lyrique, souvent confié aux cordes, se trouvant généralement encadré par deux thèmes plus véhéments et rythmiques.

L’héroïque premier mouvement, qui peut atteindre la demi-heure d’exécution, adopte ce schéma déjà éprouvé dans les symphonies précédentes, mais va nettement plus loin dans l’élaboration des crescendos, hypnotiques, qui se déploient sur un nombre conséquent de mesures et leur conférant un sentiment de puissance contenue. Ses contrastes abrupts, sa tension rythmique engendrée par la confrontation de ses rythmes binaires et ternaires typiquement brucknériens, comme dans la Gesangperiode, ses dissonances, ses profonds silences séparant certains tuttis, participent à l’intensité dramatique du mouvement. Alors que son orchestration ne s’éloigne pas de l’orchestre beethovenien, avec ses bois par deux, les trois trombones apportent en revanche un mysticisme puissant. Le fameux thème à la trompette qui ouvre la symphonie, sur des arpèges d’accords brisés aux cordes, contient des intervalles de quarte, quinte et octave qui irrigueront la symphonie entière, en particulier les codas des mouvements extrêmes. Dans ce premier mouvement, il se fera régulièrement entendre tel un leitmotiv structurant.

Le mouvement lent constitue le premier grand adagio dramatique de Bruckner, qui nous transporte dans son univers intérieur, reflet de sa foi sincère, de sa solitude et de sa détresse sentimentale. Son atmosphère tristanesque lui confère un caractère hautement spirituel teinté de mélancolie. Ses trois thèmes se vêtent par ailleurs d’une grande religiosité, bien caractéristique chez Bruckner, le second adoptant un rythme assez rare de sarabande. Il préfigure les profonds adagios des dernières symphonies.

Véhément et diaboliquement dansant, le court scherzo démarre sur un doux motif tournoyant des cordes agrémenté de quelques pizzicatos. Son trio en la majeur apporte une douceur bienvenue. C’est un modèle de ländler, cette danse traditionnelle plutôt lente à trois temps née en Haute-Autriche, proposant un dialogue entre les altos et le violons. Il est intéressant de noter que Bruckner a rajouté, dans sa révision consécutive à la création, une puissante coda après le retour du scherzo, qui sera supprimée lors de la dernière révision.

Enfin, le finale nous emmène observer un véritable ballet des planètes. Un premier thème, sorte de variation du thème initial à la trompette, se déploie immédiatement aux cuivres sur un motif chromatique tournoyant des cordes. Le second groupe thématique, quant à lui, combine habilement une polka à un très beau motif de choral énoncé aux cors, concrétisation musicale, selon son ami et biographe August Göllerich, d’un soir où Bruckner, entendant au loin les échos d’un bal populaire, se souvint qu’était enterré à proximité un célèbre architecte. Ce genre de dichotomie sera typique de Mahler, mais elle est rare chez Bruckner. Le troisième thème, qui sera peu développé, apparaît ensuite en un puissant unisson syncopé. La coda, après une récapitulation très brucknérienne des thèmes de l’entière symphonie, se construit sur le thème de trompette initial. Elle apporte une conclusion éclatante, en majeur, à cette symphonie des sphères.

– Raphaël Charnay

* Qui sont les frères Schalk ?
Franz Schalk (1863-1931) est un chef d’orchestre autrichien, dont la carrière à son apogée de situe entre 1900 et 1929, quand il était chef d’orchestre puis directeur de l’orchestre de l’Opéra de Vienne. Il est aussi un des instigateurs de la création du Festival de Salzbourg. Lui et son frère aîné Joseph (1857-1900), également chef d’orchestre et fervent défenseur de la musique de Wagner, ont très tôt pris parti pour la musique d’Anton Bruckner, qu’ils ont aidé à diffuser à travers notamment des arrangements pour le piano. Ils sont aujourd’hui surtout célèbres pour avoir aidé Bruckner, à la fin de sa vie, à retoucher certaines symphonies (Troisième, Septième et Huitième) sans que l’on soit absolument certain du consentement de Bruckner. Franz, en particulier, a créé en 1894 la Cinquième Symphonie, dans une version entièrement modifiée, réorchestrée et avec de nombreuses coupures, sans que Bruckner ait été consulté. Il faudra attendre 1935 et l’édition de Robert Haas pour que soit édité le texte original.

** La visite de Bruckner chez Wagner
Cet épisode pittoresque est relaté Éric Chaillier dans une remarquable conférence sur les rapports entre Bruckner et Wagner, enregistrée à la bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu le 2 février 2024 et disponible sur Youtube. Éric Chaillier est l’auteur du livre Anton Bruckner, ou l’immensité intime, publié en 2022 chez Buchet-Chastel.

– R. C.

Rückert-Lieder, poèmes allemands

I. ICH ATMET’ EINEN LINDEN DUFT

Ich atmet’ einen linden Duft!
Im Zimmer standein Zweig der Linde,
Ein Angebilde von lieber Hand.
Wie lieblich war der Lindenduft,
Wie lieblich ist der Lindenduft,
Das Lindenreis brachst du gelinde!
Ich atmet leis im Duft der Linde,
Der Liebe linden Duft.

II. BLICKE MIR NICHT IN DIE LIEDER

Blicke mir nicht in die Lieder!
Meine Augen schlag’ ich nieder
Wie ertappt auf böser Tat.

Selber darf ich nicht getrauen,
Ihren Wachsen zuzuschauen.
Blicke mir nicht in die Lieder!
Deine Neugier ist Verrat!

Bienen wenn sie Zellen bauen,
Lassen auch nicht zu sieht schauen,
Schauen selbst auch nicht zu.

Wenn die reichen Honigwaben
Wie zu Tag gefördet haben,
Dann vor allen nasche du!

III. ICH BIN DER WELT ABHANDEN GEKOMMEN

Ich bin der Welt abhanden gekommen
Mit der ich sonst viele Zeit verdorben,
Sie hat so lange nichts von mir vernommen,
Sie mag wohl glauben ich sei gestorben!

Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,
Ob sie mich für gestorben hält.
Ich kann auch gar nichts sagen dagegen,
Den wirklich bin ich gestorben der Welt.

Ich bin gestorben dem Weltgetümmel
Und ruh’in einem stillen Gebiet!
Ich leb allein in meinem Himmel
In meinem Lieben in meinem Lied.

IV. UM MITTERNACHT

Um Mitternacht hab ich gewacht
Und aufgeblickt zum Himmel,
Kein Stern vom Sterngewimmel
Mir Trost gebracht um Mitternacht.

Um Mitternacht hab ich gedacht
Hinaus in dunkle Schranken.
Es hat kein Lichtgedanken
Mir Trost gebracht um Mitternacht.

Um Mitternacht nahm ich in acht
Die Schläge meines Herzens,
Ein einziger Puls des Schmerzens
War angefacht um Mitternacht.

Um Mitternacht kämpft’ich die Schlacht
O Menschheit, deiner Leiden,
Nicht konnt’ich sie entscheiden
Mit meiner Macht um Mitternacht.

Um Mitternacht hab’ich die Macht
in Deine Hand gegeben!
Her! Her über tod und Leben:
Du hältst die Wacht um Mitternacht!

V. LIEBST DU UM SCHÖNHEIT

Liebst du um Schönheit?
O nicht mich liebe!
Liebe die Sonne,
Sie trägt ein goldenes Haar!
Liebst du um Jugend?
O nicht mich liebe!
Liebe den Frühling,
Der jung ist jedes Jahr!
Liebst du um Schätze?
O nicht mich liebe!
Liebe die Meerfrau,
Sie hat viel Perlen klar!
Liebst du um Liebe?
O ja, mich liebe!
Liebe mich immer,
Dich lieb’ich immerdar!

– Friedrich Rückert

Rückert-Lieder, traductions françaises

I. JE SENTAIS UN DOUX PARFUM* !

Je sentais un doux parfum ! 
Dans la chambre se trouvait 
Une petite branche de tilleul, 
Un don d’une main aimée. 
Comme le parfum du tilleul était doux ! 
Comme le parfum du tilleul est doux ! 
La brindille de tilleul 
Tu l’as cueillie si doucement ! 
Je respire silencieusement 
Le parfum du tilleul, 
Le doux parfum de l’amour.

* Le poème allemand joue sur la proximité sans équivalent en français entre Linde/tilleul et lind/doux.

II. NE ME REGARDE PAS DANS MES CHANTS 

Ne me regarde pas dans mes chants, 
Je baisse les yeux 
Comme si je me surprenais à mal agir, 

Moi-même je n’ose pas 
Les regarder grandir. 
Ta curiosité est trahison ! 

Les abeilles, quand elles construisent leurs nids, 
Ne se laissent pas regarder, 
Et ne se regardent pas elles-mêmes. 

Quand elles auront tiré jusqu’au jour 
Les riches rayons de miel 
Alors tu les grignoteras avant tous !

III. JE SUIS PERDU AU MONDE

Je suis perdu au monde, 
Avec qui j’ai déjà gâché bien du temps 
Il n’a depuis si longtemps plus rien entendu de moi 
Il peut bien croire que je suis mort. 

Cela n’a que peu d’importance pour moi
S’il me tient pour mort. 
Et je ne peux même rien dire contre 
Car vraiment je suis mort au monde. 

Je suis mort au tumulte du monde,
Et me repose en un pays silencieux. 
Je vis solitaire en mon ciel 
En mon amour, en mon chant.

IV. À MINUIT

À minuit je me suis éveillé 
Et j’ai levé les yeux vers le ciel ; 
Aucune étoile dans le foisonnement des étoiles 
Ne m’a souri à minuit.

À minuit j’ai lancé mon esprit
Au-delà de sombres limites. 
Aucune pensée lumineuse 
Ne m’a porté consolation à minuit.

À minuit j’ai prêté attention 
Aux battements de mon cœur ; 
Un seul pouls de douleur 
S’est attisé à minuit.

À minuit j’ai livré bataille, 
Ô humanité, ta souffrance 
Je n’ai pas pu la vaincre 
Avec ma force à minuit.

À minuit j’ai remis ma force
Entre tes mains ! 
Seigneur de vie et de mort, 
Tu montes la garde à minuit.

V. AIMES-TU POUR LA BEAUTÉ

Aimes-tu pour la beauté,
Ô, alors ne m’aime pas!
Aimes le soleil,
Il porte une chevelure d’or!
Aimes-tu pour la jeunesse,
Ô, alors ne m’aime pas!
Aimes le printemps,
Il est jeune chaque année.
Aimes-tu pour les trésors,
Ô, alors ne m’aime pas!
Aimes la sirène
Elle a plein de brillantes perles
Aimes-tu pour l’amour,
Ô, oui, alors aime-moi!
Aime-moi toujours,
Je t’aime pour toujours.

Traductions © Stephen Sazio

Auditorium-Orchestre national de Lyon

04 78 95 95 95
149 rue Garibaldi
69003 Lyon

The Auditorium and the Orchestre national de Lyon: music in the heart of the city. 160 concerts per season : symphonic concerts, recitals, films in concerts, family concerts, jazz, contemporary and world music, but also workshops, conferences, afterworks ...