Notes de programme

Isabelle Faust

Lun. 25 nov. 2024

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Programme détaillé

Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur, op. 120/2

I. Allegro amabile
II. Allegro appassionato – Sostenuto – Tempo I
III. Andante con moto – Allegro

[21 min]

Anton Webern (1883-1945)
Quatre Pièces pour violon et piano op. 7

I. Sehr langsam [Très lent]
II. Rasch [Vif]
III. Sehr langsam [Très lent]
IV. Bewegt [Animé]

[6 min]

Johannes Brahms
Sonate pour violon et piano en fa mineur, op. 120/1

I. Allegro appassionato
II. Andante un poco adagio
III. Allegretto grazioso
IV. Vivace

[23 min]

--- Entracte ---

György Kurtág (né en 1926)
Trois Pièces op. 14e

I. Öd und traurig [Morne et triste]
II. Vivo [Vif]
III. … aus der Ferne…  […de loin…]

[6 min]

Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour violon et piano n° 2, en ré mineur, op. 121

I. Ziemlich langsam – Lebhaft [Assez lent – Vif]
II. Sehr lebhaft [Très vif]
III. Leise, einfach [Doucement, simplement]
IV. Bewegt [Animé]

[33 min]

Distribution

Isabelle Faust violon
Alexander Melnikov piano

Chronologie des œuvres

Johannes Brahms
Sonates pour violon et piano op. 120

Composition de la version pour clarinette et piano : 1894.
Transcription pour violon et piano : 1895.
Création (privée) : Vienne, 11 mai 1895, par Marie-Soldat Roeger au violon et Brahms au piano.
Publication : juillet 1895, Berlin, Simrock.

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Anton Webern
Vier Stücke [Quatre Pièces] pour violon et piano op. 7

Composition : 1910.
Création : Vienne, 24 avril 1911, par Fritz Brunner au violon et Atta Jonas-Werndorff au piano.
Publication : 1922, Vienne, Universal Edition.

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György Kurtág 
Tre pezzi [Trois Pièces] op. 14e 

Composition : 1979.
Publication : 1996, Budapest, Editio Musica.

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Robert Schumann
Sonate pour violon et piano n° 2, en ré mineur, op. 121

Composition : novembre 1851.
Création : Düsseldorf, 29 octobre 1853, par Joseph Joachim au violon et Clara Schumann au piano.
Publication : 1853, Leipzig, Breitkopf und Härtel.

À propos des œuvres

L’histoire de la musique est faite de filiations et d’influences : on ne peut faire table rase du passé, quand bien même on le voudrait – et les compositeurs, en règle générale, ne le voulurent d’ailleurs pas. Isabelle Faust et Alexander Melnikov tirent quelques fils de cette histoire en prenant Schumann pour point de départ.

Un soir d’avril 1854, Clara Schumann et Joseph Joachim interprétaient, en compagnie de Brahms, la Deuxième Sonate pour violon de Schumann. Le compositeur avait été interné le mois précédent, après s’être jeté dans le Rhin. Mais l’émotion était trop forte, et les interprètes s’arrêtèrent de jouer. La création publique n’avait eu lieu que quelques mois avant cette soirée, en octobre 1853, et la publication restait encore à faire. «C’est pour moi l’une des plus belles créations des temps présents par l’unité de l’ambiance et la grande expressivité des motifs ; elle est pleine de passion aux accents âpres et abrupts», disait Joachim de cette «grande sonate», comme Schumann l’avait intitulée lors de sa composition à l’automne 1851. Grande, la sonate l’est indubitablement : ses quatre mouvements et son ampleur instrumentale confèrent à cette musique des dimensions parfois presque symphoniques. Ouvert comme la Sonate «À Kreutzer» de Beethoven par une introduction lente, le premier mouvement est plein de feu, oscillant entre une extériorité presque farouche, où chacun des instruments fait assaut de fougue, et des passages plus intérieurs. Un scherzo puissant au caractère pré-brahmsien, comme le remarque avec justesse Jean-Alexandre Ménétrier, ouvre ensuite sur des variations aussi délicates que réussies, avant un finale haletant.

Si le lien de Brahms et Schumann fut brisé par la mort de ce dernier, en 1856, la proximité de Brahms avec sa veuve Clara dura encore quatre décennies. Quatre décennies d’échanges, de compagnonnage et de partages autour de la musique en général et des œuvres du compositeur en particulier. En 1894, la pianiste et compositrice écrivait à son ami de toujours : «Plus j’entends les Sonates [op. 120] et plus elles me plaisent.» Cette année-là, Brahms venait d’ajouter au riche corpus formé par ses œuvres de musique de chambre deux dernières sonates. Il avait pourtant pensé arrêter de composer en 1890 ; mais la rencontre du clarinettiste Richard Mühlfeld lui inspira une dernière floraison aussi féconde qu’inattendue. Si les deux sonates doivent indubitablement le jour au son chaud et plein de la clarinette, Brahms en proposa cependant deux autres versions : d’abord une transcription pour alto, puis une autre pour violon. «Immédiatement après la première édition, j’ai l’intention de faire une édition pour violon, pour laquelle certaines choses devront être modifiées – donc une édition indépendante», écrit-il en février 1895 à son éditeur. Il y apporta un grand soin, et retravailla notamment le matériau musical afin d’assurer l’équilibre entre les instruments, échangeant çà et là des thèmes entre les protagonistes ou infléchissant quelques profils mélodiques. Habituellement peu friand de transcriptions, Joseph Joachim s’en fit l’interprète sans se faire prier.

D’une inventivité rythmique inépuisable, le premier mouvement de la Sonate op. 120/1 manifeste déjà la propension du dernier Brahms à la concision. L’Andante suivant est d’une délicatesse touchante, avant un Allegretto grazioso plutôt dansant qui adopte la forme traditionnelle d’un menuet avec trio. Enfin, un Vivace épanoui et direct, en fa majeur, achève l’œuvre dans la détente. La Sonate op. 120/2 choisit quant à elle de se contenter de trois mouvements admirablement balancés. Le premier conquit lors de sa création viennoise le célèbre critique Eduard Hanslick, qui le trouva «ravissant». Le scherzo qui suit a l’énergie compacte et l’élan fier de certaines œuvres pianistiques de Brahms, tandis que le finale adopte une forme où le compositeur excelle (on en trouve nombre d’exemples dans son œuvre) : le thème et variations. Il clôt le corpus de musique de chambre du compositeur sur une impression générale de douceur et d’apparente simplicité.

En guise d’intermèdes entre ces grandes sonates romantiques, Isabelle Faust et Alexander Melnikov proposent deux échappées vers la musique du XXe siècle. Tous deux marqués par des tendances aphoristiques, les Quatre Pièces op. 7 de Webern et les Trois Pièces op. 14e de Kurtág semblent se souvenir de l’esthétique romantique du fragment, particulièrement explorée par Schumann. On décèle d’ailleurs l’ombre schumannienne (et du «Wie aus der Ferne» [«Comme de loin»] des Davidsbündlertänze pour piano) derrière le titre «… aus der Ferne…» [«De loin»] de la troisième pièce de Kurtág. Écrites en 1979, ces courtes Trois Pièces, caractérisées par une atmosphère suspendue, seront d’ailleurs suivies en 1990 d’un Hommage à R. Sch. qui ne fait plus mystère de son influence. À propos de l’œuvre de Kurtág, Jérémie Szpirglas note : «À la fois hommage, inspiration, reprise ou recontextualisation, c’est de réinvention du matériau dont il est question.» Quant aux Quatre Pièces op. 7 de Webern, elles furent couchées sur le papier juste avant la Première Guerre mondiale et proposent une exploration des effets instrumentaux et des modes de jeu, en particulier du violon. Considérablement préoccupé du sens de l’histoire, le compositeur y aborde aux rivages de l’atonalité, dans une «poétique de l’essentiel» (Alain Poirier) d’une intense originalité où il craignait de n’être pas compris. 

– Angèle Leroy

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