Notes de programme

NATHALIE STUTZMANN

Jeu. 7 avr. & sam. 9 avr. 2022

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Programme détaillé

Antonín Dvořák (1841-1904)
Concerto pour violoncelle en si mineur, op. 104

I. Allegro    
II. Adagio, ma non troppo    
III. Finale : Allegro moderato

[40 min]

Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n° 5, en mi mineur, op. 64

I. Andante – Allegro con anima
II. Andante cantabile, con alcuna licenza
III. Valse : Allegro moderato
IV. Finale : Andante maestoso – Allegro vivace

[45 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nathalie Stutzmann direction
Alisa Weilerstein violoncelle

Dvořák, Concerto pour violoncelle

Composition : novembre 1894 – juin 1895.
Création : Londres, Queen’s Hall, 19 mars 1896, par Leo Stern (violoncelle) et l’Orchestre philharmonique de Londres, sous la direction du compositeur.

Probablement Antonín Dvořák n’aurait-il jamais composé de concerto pour violoncelle s’il n’avait passé trois ans aux États-Unis, appelé à la direction du Conservatoire national de musique de New York par sa riche fondatrice, Mrs. Jeannette Thurber. Il s’était toujours refusé à écrire pour cet instrument, dont il détestait la sonorité «avec ses aigus nasillards et ses graves qui marmonnent» ; sa place, confia-t-il par ailleurs, «est au sein de l’orchestre et dans la musique de chambre». En 1894, entendant à Brooklyn un concerto de Victor Herbert, il révisa son opinion. Dès le mois de novembre, il se lança dans la composition de ce qui formerait sa dernière page orchestrale. Mais en trichant un peu : le concerto, dépourvu de virtuosité démonstrative, s’apparente parfois à une symphonie avec violoncelle principal. Certains des passages les plus acrobatiques du violoncelle sont non pas des solos, mais les accompagnements de mélodies confiées à d’autres instruments. 

Si de nombreux accents américains émaillent la Symphonie «Du Nouveau Monde», le Concerto pour violoncelle est une œuvre profondément tchèque. La mélancolie qui le tenaille apparaît notamment dans le second thème du premier mouvement, énoncé par le cor solo – un thème dont Dvořák avoua à son ami Aloïs Göbl qu’il ne pouvait l’écouter sans trembler. Il se traduit également par le lyrisme du mouvement lent, ouvert par une magnifique cantilène.

Mais le concerto recèle une plainte plus secrète. Trente ans plus tôt, en 1865, Dvořák s’était épris d’une jeune élève en piano, Josefina Čermáková. Cette passion s’exprima dans un cycle de mélodies, Les Cyprès, partiellement arrangé ensuite pour quatuor à cordes. Josefina resta insensible à la flamme de son professeur, pour peu qu’elle l’ait soupçonnée : le jeune Dvořák était semble-t-il d’une timidité absolue. Mais Dvořák continua de fréquenter la famille Čermák et épousa la cadette, Anna, tandis que Josefina convolait avec le comte Wenzel Robert von Kaunitz. Les deux ménages restèrent toujours très liés.

«Ah ! le bonheur était possible, si proche…»

Le choc fut rude lorsque Dvořák, en pleine composition du concerto, apprit que Josefina était gravement malade. Aussitôt, il ajouta au cœur du mouvement lent une nouvelle section, qui module brutalement de sol majeur en sol mineur, avec un effet dramatique. Après quelques mesures martelées, le violoncelle solo énonce un thème au lyrisme intense, emprunté à une mélodie de Dvořák, Lasst mich allein, op. 82/1, que Josefina adorait et qui lui était dédiée. L’accompagnement insolite (la clarinette à la sixte du soliste, les cordes dans un brouillard d’arpèges, de contretemps et de basses en pizzicatos) transporte immédiatement dans un village d’Europe centrale.

Le concerto fut achevé le 9 février 1895 à New York. En avril, définitivement rentré en Bohême, Dvořák y apporta une première révision. En juin, Josefina s’éteignit. Dvořák inséra alors une nouvelle section dans la coda du finale. Le violon solo de l’orchestre y rappelle, dans l’aigu, la mélodie de Josefina – souvenir fugitif de la chère défunte. Quelques mesures plus tard, après un long trille, le violoncelle lui répond par une étrange mélodie descendante, empruntée au duo final d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, que Dvořák aimait beaucoup. Dans sa jeunesse, Eugène a repoussé Tatiana ; il la retrouve, des années plus tard, mariée au riche prince Grémine et lui déclare enfin sa flamme, mais il est trop tard. Le thème en question porte tous les regrets de Tatiana : «Ah ! le bonheur était possible, si proche…» La parenté entre ces thèmes est-elle un hasard, une réminiscence inconsciente ou un clin d’œil voulu ? Alors que le concerto débordait à l’origine d’une douce nostalgie pour la lointaine patrie, la figure fragile de Josefina l’infléchit finalement vers une tragédie feutrée.

– Claire Delamarche

Tchaïkovski, Symphonie n° 5

Composition : mai-août 1888.
Création : Saint-Pétersbourg, 5 novembre 1888, sous la direction de l’auteur.
Dédicace : à Théodor Ave-Lallemant.

Bien qu’assez espacées dans le temps (1877, 1888, 1893), les trois dernières symphonies de Tchaïkovski (nos 4, 5 et 6) sont toutes unies par une idée de programme commune, celle de sa hantise du fatum, angoisse perpétuelle devant la vie et attente de tout ce qui peut arriver de pire. À la conscience de la faiblesse de l’humain face aux verdicts de la destinée, s’opposent des tentatives désespérées de trouver des palliatifs.
C’est pendant l’année 1888 que Tchaïkovski conçoit, écrit et fait entendre sa Cinquième Symphonie, achevée au cours du mois d’août, et dont il assure lui-même la première exécution. Elle suscite l’enthousiasme du public, mais est plutôt mal jugée par la presse, un cas de figure dont le compositeur est assez coutumier. Le 15 mars 1889, au cours d’une tournée en Allemagne, elle est chaleureusement accueillie à Hambourg, en présence de Brahms, resté spécialement pour l’entendre.

Une intention de programme pour la Cinquième Symphonie est attestée par des annotations sur les premières esquisses : «Introd. Soumission totale devant le destin ou, ce qui est pareil, devant la prédestination inéluctable de la providence. Allegro I) Murmures, doutes, plaintes, reproches à XXX. II) Ne vaut-il pas mieux se jeter à corps perdu dans la foi ? Le programme est excellent, pourvu que j’arrive à le réaliser.» Une autre note, concernant le second mouvement, mentionne un thème désigné comme «consolateur» et «rayon de lumière», et une réponse aux instruments graves : «Non, point d’espoir.»

«Non, point d’espoir.»

La Cinquième Symphonie est une œuvre intégralement cyclique, c’est-à-dire qu’un même thème se retrouve à un moment ou à un autre dans les quatre mouvements. Ce motif, que l’on peut identifier à la «soumission totale devant le destin», s’entend dès le début de l’introduction, dans le registre grave des clarinettes, faisant songer à la fois à un choral et à une marche funèbre. On verra au fil des mouvements suivants les transformations que Tchaïkovski lui fait subir. Il s’enchaîne à l’Allegro principal, avec un premier thème aux clarinettes et bassons, tout à la fois alerte et inquiet. Après une première culmination cuivrée des intonations plaintives surgissent – peut-être ces «murmures, doutes, plaintes»… Puis une éclaircie bienvenue fait retentir les sonneries rustiques du second thème, en mode majeur, auxquelles succède aussitôt une ébauche de valse lyrique. Tout Tchaïkovski est là : tourmenté, mais aussi ouvert sur le populaire, et conservant sa fibre chorégraphique. Le développement est basé sur un travail à partir d’éléments des deux premiers thèmes de l’Allegro. Après la réexposition, la coda fait entendre sous forme de sonnerie lapidaire la cellule rythmique du motif cyclique.

L’Andante débute par une introduction ténébreuse aux cordes graves. Le cor, bientôt orné d’un contrechant à la clarinette, puis le hautbois, développent ce qui aurait pu être un grand duo d’amour dans une scène d’opéra. Un solo de clarinette évocateur de chants d’oiseaux précède l’irruption aux cuivres du motif cyclique, avec une violence qu’on ne lui a pas encore connue : «Non, point d’espoir !» Ce rappel de la fatalité sera réitéré après la réexposition du duo amoureux.

Le troisième mouvement est une valse qui se ressent de celle de la Symphonie fantastique de Berlioz. C’est le moment de détente, une musique aimable, servie par une orchestration allégée. Pourtant la partie centrale, en staccatos serrés aux violons, donne la sensation d’une nervosité contenue. La valse revient avec sa bonne humeur mais, peu de mesures avant la coda, le thème cyclique se rappelle à notre souvenir, dans un mi-voix des clarinettes et basson.

«Se jeter à corps perdu dans la foi»… Le long finale donne l’impression d’aller dans ce sens en faisant entendre une métamorphose du thème cyclique, en mode majeur, retentissant avec la ferveur d’un cantique. Mais si la première partie est maintenue dans ce climat hiératique, le mouvement évolue ensuite vers une vitalité survoltée, où l’abondance de matériau et l’étendue du discours attestent d’une agitation fiévreuse. On y réentendra une variante menaçante du thème obsessionnel, venant contredire ce qu’avait suggéré le début de mouvement. Après la fausse conclusion d’un arrêt sur un accord cuivré, suivi d’un silence, le retour du thème cyclique sous sa variante en majeur s’amplifie dans un hymne grandiose ; mais juste avant la fin, la trompette fait entendre un retour du thème de l’Allegro du premier mouvement, clamé à présent avec la solennité d’un verdict – de la victoire de l’homme ou de celle de la fatalité…

– André Lischke
 

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