Une histoire plus que centenaire
En 2005, l’Orchestre national de Lyon fêtait son centenaire. Cet âge respectable en fait l’une des phalanges françaises les plus anciennes. Sous son statut actuel d’orchestre permanent financé par la Ville de Lyon, l’ONL est plus récent : cette étape a été franchie en 1968 sous l’impulsion conjointe de l’adjoint aux Beaux-Arts de Lyon, Robert Proton de la Chapelle, et de Marcel Landowski, directeur de la Musique au ministère des Arts et Lettres. Mais si le futur ONL a été le premier orchestre de province ainsi établi, c’est qu’il suffisait de développer et pérenniser l’orchestre symphonique présent à Lyon depuis 1905, la Société des Grands Concerts de Lyon.
Georges Martin Witkowski
La Société des Grands Concerts de Lyon est l’œuvre de Georges Martin Witkowski (1867-1943). Né en Algérie, fils d’un officier mort quand il avait deux ans, ce musicien largement autodidacte doit l’essentiel de sa formation musicale à sa mère, d’ascendance polonaise (le «Witkowski» ajouté à son patronyme de «Martin» à la demande du grand-père qui l’avait élevé). S’il embrasse la carrière militaire de son père, il continue de développer sa passion pour la musique, recevant conseils et encouragements de la part d’Emmanuel Chabrier, César Franck, Guy Ropartz ou Vincent d’Indy. Installé définitivement à Lyon en 1895, il s’y fixe le but d’y développer la vie musicale. Après le succès d’une société chorale, une Schola cantorum fondée en 1903 avec Charles Bordes sur le modèle de celle de Paris, puis la création de la Société des Grands Concerts de Lyon en 1905, Witkowski quitte l’armée en 1906. En 1924, il succède à Florent Schmitt à la tête du Conservatoire de Lyon, où il demeurera jusqu’en 1941.
Société des Grands Concerts de Lyon
Association rassemblant de grands noms du commerce, de la banque et de la médecine à Lyon, la Société des Grands Concerts compte à ses débuts quatre-vingts musiciens. Witkowski prend garde de ne les recruter ni au Conservatoire ni à l’Opéra, afin d’éviter les conflits d’agenda. Le premier concert est donné le 28 novembre 1905 à la salle des Folies-Bergère, avenue de Noailles (aujourd’hui avenue Foch). L’illustre violoniste belge Eugène Ysaÿe y joue la Symphonie espagnole de Lalo, dans un programme rassemblant également Bach, Beethoven, Saint-Saëns et Wagner.
Salle Rameau
La salle des Folies-Bergère montre vite ses limites et l’on décide la construction d’une nouvelle salle au pied de la colline de la Croix-Rousse. Au printemps 1907, la première pierre est posée par le président de la République, Armand Fallières, et le président du Conseil, Georges Clemenceau. Les travaux sont menés sous la direction des architectes François Clermont et Eugène Riboud, qui ont déjà construit vingt-cinq immeubles alentour. Cette salle Art nouveau, qui prend le nom du compositeur Jean-Philippe Rameau, compte alors 1650 places et suit un plan intérieur déjà éprouvé au Gewandhaus de Leipzig. L’inauguration, qui a lieu le 8 novembre 1908, est marquée de fausses notes protocolaires. Ainsi le maire, Édouard Herriot, ne fait-il mention dans son discours ni du fondateur et directeur artistique de la Société des Grands Concerts, Georges Martin Witkowski, ni du président de l’association, Maurice Vallas. On joue comme il se doit une œuvre de Rameau (un extrait des Fêtes d’Hébé), ainsi que la Neuvième Symphonie de Beethoven.
Un répertoire éclectique
Dans ces premières années, le répertoire de l’orchestre se montre particulièrement éclectique, de L’Orfeo de Monteverdi et des Passions de Bach à la musique française contemporaine, en particulier celle de Vincent d’Indy, ami proche de Witkowski, fréquemment invité à la tête de l’orchestre. Beethoven compte également parmi les compositeurs fétiches de Witkowski, et sa Neuvième Symphonie devient un pilier du répertoire commun de la Schola et de la Société des Grands Concerts. Saint-Saëns, Franck, Lalo, Chausson, Wagner et le concerto pour piano de Schumann sont régulièrement à l’affiche. Brahms, Dvořák, Berlioz, Debussy, Ravel sont en revanche peu représentés.
Après la Première Guerre, le répertoire se diversifie encore avec les ballets de Stravinsky, des incursions dans la musique russe (Rimski-Korsakov, Borodine, Moussorgski) et des pièces récentes d’Honegger, Roussel, Dukas, Ibert, Falla et de deux jeunes Lyonnais, Antoine Mariotte et Pierre-Octave Ferroud. Francis Poulenc y est invité pour la première fois en 1930, soliste de sa propre Aubade. Ce sera le début d’une fructueuse collaboration. Un autre événement est la venue en 1934 de Karol Szymanowski, qui tient la partie de piano dans sa propre symphonie concertante.
Côté solistes, les noms les plus illustres se succèdent : les pianistes Blanche Selva, Yves Nat, Alfred Cortot, Marguerite Long et Robert Casadesus, la claveciniste Wanda Landowska, le violoncelliste Pablo Casals, les violonistes Fritz Kreisler, Jacques Thibaud, Ginette Neveu, Zino Francescatti, Christian Ferras et Georges Enesco, les cantatrices Claire Croisat, Germaine Lubin, Jane Bathory, Ninon Vallin, Suzanne Balguerie ou le baryton Charles Panzéra…